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de courage en présence d'un tyran ou dans une assemblée délibérante. Une femme qui tremble au bruit d'un coup de fusil, peut trouver dans son caractère le courage de dire la vérité à des tyrans et de braver les échafauds.

Entre le courage guerrier et le courage politi

que,

il existe une différence qui rend le second bien plus rare. Dans un jour de combat, on est environné de ses camarades, on est sous leurs yeux; il faut marcher ou être déshonoré. Mais dans une assemblée délibérante, on est le maître de parler ou de ne point parler; on peut même cacher entièrement sa faiblesse sous le voile honteux du vote secret.

Nous pouvons dire avec certitude que dans toutes nos assemblées, la peur a régné en souveraine. Elles ont toujours redouté les révolutionnaires; elles ont craint de les offenser. Combien de fois des honnêtes gens n'ont-ils pas reproché aux hommes qui avaient de la fermeté, de parler contre les factieux! Vous les exaspérez, vous les poussez à bout, c'était la phrase ordinaire. J'ai entendu des discours de ce genre, qui me faisaient rougir d'être homme.

Les femmes sont moins esclaves

que nous de

la peur politique. Elles ont plus de courage d'esprit, parce qu'elles ont des sentiments plus pro

fonds. Elles ne transigent point sur les devoirs commandés par la religion et inspirés par les qualités de mères et d'épouses. Les exceptions sont rares, et confirment ce que j'avance. Les femmes, pendant la révolution, ont montré beaucoup plus que les hommes ce courage d'esprit. Elles ne se trompaient point sur nos affreux gouvernements, et découvraient dans leurs effets le sort de tout ce qui leur était cher. Tandis que les hommes raisonnaient misérablement pour se rassurer, et cherchaient à se tromper, les femmes, n'écoutant que cet instinct sublime que le Ciel a mis en elles, avaient horreur des outrages faits au trône et à la religion, et annonçaient hautement des désastres épouvantables. Il n'est personne qui n'ait été témoin de ce que j'avance. Je sçais que la s'est montrée dans touts les temps, dans touts les pays et dans toutes les assemblées; mais jamais elle n'a eu des effets si terribles que parmi nous, parce que dans aucun pays, des assemblées n'ont exercé un pouvoir aussi monstrueux que les nôtres; et comme alors elles étaient dominées par la peur, il en résulte que la peur a fait les destinées de la France, bien plus qu'elle n'a contribué au sort d'aucune autre nation.

peur

« Je ne sçais guère, dit Montaigne, par quels

« ressorts la peur agit en nous; mais tant y a que « c'est une étrange passion; et disent les méde<< cins qu'il n'en est aucune qui emporte plutot << notre jugement hors de sa deue assiette. De vrai, j'ai vu beaucoup de gens, devenus in<< sensés de peur; et, au plus rassis, il est cer<«<tain, pendant que son accès dure, qu'elle en«< gendre de terribles éblouissemens. »

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Combien n'avons-nous pas vu de ces terribles éblouissements! C'était la peur qui nous rendait si cruels, et qui couvrait la France d'échafauds. Aussi Montaigne a-t-il intitulé un de ses chapitres Couardise, mère de la Cruauté.

Le vrai courage est de deux espèces: le courage actif et le courage passif. On peut avoir le plus grand courage pour souffrir, et n'en pas avoir pour agir. La différence est immense. Le courage passif est mille fois au-dessous de l'autre. Le courage actif demande un caractère aussi hardi qu'élevé, surtout dans les dissentions publiques.

Le raisonnement habituel de la peur est de se rassurer par la tranquillité du moment. Le danger extrême n'existe pas encore; cela lui suffit. Mais il est des causes journalières, toujours agissantes, qui amèneront nécessairement ce danger extrême. Les catastrophes des empires sont toujours précédées d'un calme trompeur. En 1787 et 1788,

vous étiez tranquilles, vous aviez un commerce immense, yous veniez d'affaiblir vos rivaux; ils convenaient eux-mêmes de leur abaissement. Mais des hommes prévoyants annonçaient une révolution, on leur répondait : Tout est tranquille, nous sommes riches et heureux.

Et, il y a peu d'années, à Madrid, à Naples, à Turin, tout était tranquille la veille d'une révolution. Au moment de la conjuration qui a éclaté à Pétersbourg, tout était dans la plus profonde tranquillité. Mais les causes existaient. Il en était de même en France. Des causes multipliées agissaient depuis long-temps, et ont entraîné la convocation des Etats-Généraux.

Et quand cette convocation fut amenée par ces causes que distinguaient très-bien les esprits clairvoyants, ces mêmes causes entraînèrent nos assemblées à ces folies et à ces fureurs que nous déplorons. La peur nous avait donc profondément aveuglés. Elle nous empêchait de voir les causes qui devaient bientôt amener le danger extrême. Le courage actif appartient aux femmes comme aux hommes. Il les élève et les rend immortelles. La peur flétrit le cœur de l'homme, anéantit ses facultés, son intelligence, et produit ces terribles éblouissements que nous avons vus pendant toute la révolution.

L'homme valeureux peut être téméraire, mais non pas l'homme courageux, parce que le courage ne peut appartenir qu'à l'intelligence, qui sait prévoir et prévenir. La valeur peut ne pas voir le danger, et s'y précipiter; le courage jamais. C'est lui qui inspirait au grand Condé la maxime que j'ai citée : Il faut craindre son ennemi de loin, pour ne pas le craindre de près. Bossuet, avant de citer ces paroles du prince, s'écrie: Ecoutez, c'est la maxime qui fait les grands hommes. Touts nos ministres ont suivi une maxime contraire. Ils n'ont pas craint les ennemis de loin; aussi, dans le dernier moment, les ont-ils craint de près. Cela ne pouvait être autrement; car, pour préparer le succès, il faut craindre de loin, et de fort loin. C'était le courage extraordinaire, inébranlable du grand Condé qui lui apprenait à craindre, et par conséquent à prévoir et à tout préparer pour le combat.

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