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CHAPITRE IV.

Chambre des Députés en 1820. Renouvellement d'un cinquième. Je suis député du Calvados.

Tableau de la Chambre et de ses usages.

L'ASSASSINAT du duc de Berri rallia un moment les âmes généreuses. En tombant sous le fer de l'assassin, il déploya sa grande âme toute entière. Ses ennemis même en furent frappés; et le rapport si simple et si touchant de M. Dupuytren, son chirurgien, sera un monument éternel de la grandeur d'âme de ce prince.

Le cri de son sang nous appelait, nous animait; mais le gouvernement ne nous répondait

pas; nous rougissions de lui et de nous-mêmes. Les royalistes ne pouvaient rien sans lui; il les avait repoussés; et tel qu'il était il ne pouvait revenir vers eux. Je dois répéter qu'il ne se décida à parler du crime que quarante-trois jours après l'exécrable jour. Je fis alors un ouvrage intitulé du Gouvernement représentatif en France. Je le commençais par l'expression de nos douloureux regrets; j'y démontrais combien nous étions loin de comprendre ce genre de gouvernement, combien étaient fausses et ridicules nos imitations des usages et des lois de l'Angleterrre; j'y montrais combien notre caractère était opposé à l'esprit de ce gouvernement mixte. Je parlais de notre conduite parlementaire si légère, et souvent si puérile.

A la fin de 1820, un cinquième de la Chambre dut être renouvelé. Les royalistes voulurent bien se souvenir de moi, et me portèrent dans Seine-et-Marne, dans Indre-et-Loire, dans le Calvados, et dans l'arrondissement d'Aix. Ancien président de l'administration de Seine-etMarne, trois fois son député, nommé par ses électeurs candidat au Sénat, je penchais pour cette élection; mais la conduite de son préfet envers moi, me contraignit à me séparer de ce département; ce fut avec un regret infini. J'eus

une longue correspondance avec le préfet. Elle me convainquit que par faiblesse il faisait pencher la balance du côté des libéraux. Une preuve du crédit que j'avais conservé, malgré ses assertions et ses démarches, c'est que j'engageai mes amis à porter en ma place M. Emmanuel d'Harcourt. Ils le portèrent, et il fut nommé.

M. de Montlivaut, préfet du Calvados, se conduisit bien différemment envers moi. Il m'offrit

son crédit avec autant de franchise que de politesse; d'autres royalistes se joignirent à lui. Je regardai mon élection comme certaine, quoique je ne dusse pas me rendre dans ce département, parce que je n'y avais pas alors mon domicile politique. M. de Richelieu manifesta un vif désir que je ne fusse pas nommé; mais M. de Montlivaut lui déclara qu'on ne pourrait empêcher mon élection. Je dis ma détermination à M. le duc de Duras, qui devait présider le collége d'Indre-et-Loire, et qui voulait bien appuyer mon élection; j'en instruisis aussi M. Bacot de Roman, qui me portait dans ce département, ainsi que M. le sous-préfet d'Aix. Je priai celui-ci d'accorder son appui à M. le général Donnadieu, à qui les évènements de Grenoble avaient donné tant de titres auprès des royalistes. Il fut nommé.

Un article du Conservateur, signé de M. de

Châteaubriand, appuya noblement mon éléction. « M. de Vaublanc, disait-il, cinq fois proscrit, "condamné à mort au 13 vendémiaire, pour "avoir présidé une section de Paris, condamné «< à la déportation au 18 fructidor, est un can<«<didat pour toute la France. C'est le premier

ministre royaliste sacrifié au système ministé«riel. Il avait réglé l'intérieur avec tant de «< force et de propriété, que si quelque chose marche encore dans les préfectures, c'est un <«< reste de l'organisation par lui établie. »

Je cite ce passage pour montrer que les royalistes savaient alors se soutenir. Le Conservateur, dirigé par M. de Châteaubriand, contribua puissamment à former et cimenter leur parti.

A peine entré dans la Chambre des députés, j'y retrouvai toutes les misères de notre caractère anti-politique.

J'y retrouvai cette habitude de prononcer des discours écrits, faits long-temps d'avance, d'en prononcer jusqu'à cent sur un même sujet. Moyen admirable pour ne pas s'entendre! Ceux qui n'avaient pu les prononcer, imaginèrent des amendements, afin d'y trouver l'occasion de placer leurs vieux discours. On avait beau leur crier de toutes les parties de la salle : « Vous parlez sur la discussion générale, rentrez dans votre

amendement, »> ils résistaient et lisaient. Quelquefois ils sautaient des feuillets, afin d'apaiser l'assemblée; il en résultait qu'il y avait bien moins encore d'union dans les parties de leurs discours. Les clameurs recommençaient; quelques-uns cédaient; mais d'autres, plus intrépides, achevaient leur lecture au milieu des cris; d'autres encore usaient d'une petite finesse. Ils lisaient si bas qu'on ne pouvait les entendre. On les laissait achever leur lecture, on ordonnait l'impression; car dans ces temps on accordait cet honneur à touts les discours, excepté lorsqu'il y avait opposition. Le lecteur, descendu de la tribune, donnait son manuscrit au Moniteur. Plusieurs en avaient des copies ou des extraits dans leur poche, et les envoyaient à des journalistes dont ils étaient connus. Les voilà proclamés orateurs et même grands hommes dans leur village.

Mais il résultait souvent de ces discours écrits une chose bien dangereuse. Un député omettait les passages de son discours les plus violents, et qui auraient révolté la Chambre. Il livrait ensuite à l'impression son discours avec ces mêmes phrases; elles allaient dans son département avec la sanction apparente de l'approbation de la Chambre; elles y produisaient un effet d'autant plus funeste.

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