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Les jours d'un rapport, les députés qui voulaient parler dans la discussion faisaient mettre des bancs à droite et à gauche de la tribune, et déclaraient ainsi par leurs places, s'ils parleraient pour ou contre. Ils avaient l'air d'écoliers de quarante à quatre-vingts ans. C'était une chose nouvelle pour moi; je n'avais rien vu de semblable dans les assemblées précédentes. La première fois que je le vis, je déclarai que je ne m'assujettirais pas à une chose si inconvenante, et qui n'était pas dans le règlement. Quelques députés furent de mon avis. Nous fimes une liste suivant l'ordre de l'arrivée; mais cela aussi était bien ridicule.

Venir à dix heures du matin pour une séance qui ne devait commencer qu'à deux heures! se faire inscrire avec un empressement d'enfant! On ne s'arrêta point en si beau chemin; on se fit ouvrir la salle dès six heures du matin; et par degrés, poussés par une noble émulation, des députés se firent inscrire à minuit. Avant l'usage de ces inscriptions, les députés s'entassaient pêle-mêle auprès de la tribune et sur les marches, épiaient le moment où le rapporteur prononçait la dernière phrase, et s'élançaient au bureau des secrétaires, au risque d'étouffer le rapporteur, qui descendait, comme il pouvait, au milieu de la cohue des aspirants.

Le public et les étrangers voyaient et jugeaient. J'ai entendu, d'après ces choses, parler de nous d'une façon peu honorable, à des personnes qui arrivaient de la province, et qui, se trouvant pour la permière fois à une séance, étaient bien étonnées d'un si étrange spectacle. C'était bien pis encore quand, au moment de voter une loi, un secrétaire criait les noms, au milieu du tumulte, et sans pouvoir être entendu. Touts se lèvent, en riant et causant, s'entassent auprès de la tribune, et y montent sans observer l'ordre de l'appel. Cet appel, le réappel, cet entassement, ce brouhaha, ces éclats de rire montraient d'étranges législateurs. On a souvent parlé du tact des Français pour les convenances. Il n'en restait pas l'ombre depuis la révolution.

Le vote prononcé ouvertement, et à l'appel nominal, au milieu des fureurs de l'Assemblée législative et de la Convention, présentait un spectacle terrible, mais dans lequel au moins se manefestait un courage ferme et décidé, plus honorable encore par ses défaites. Touts les députés, à leur place, en silence et immobiles, voyaient ceux de leurs collègues qui étaient menacés par la faction, se lever à l'appel de leur nom voué aux fureurs; se lever, et prononcer d'une voix

ferme un non généreux. Il est des conventionnels qui vivront à jamais dans la mémoire des hommes, pour leurs votes énergiques.

Tout cela me rappelle qu'en 1789, au moment qui précéda la réunion de l'Assemblée constituante, un homme de lettres écrivit une brochure dans laquelle il examinait ce qui arriverait probablement dans les États Généraux. Il avançait que les provinciaux, ceux surtout du Midi, seraient honteux de leur accent, seraient embarrassés, et que leur manière de parler les couvrirait de ridicule dans la ville polie, dans la ville des arts, des Académies et de l'urbanité. Il se trompait étrangement. Ces provinciaux furent les plus hardis à parler. Cet écrivain raisonnait d'après l'antiquité; il savait combien les orateurs grecs et romains prenaient de peines, faisaient d'études assidues et fatigantes pour acquérir le talent de l'orateur, pour être seulement supportables devant un sénat ou un peuple qui avait l'oreille délicate. Les anciens ont appelé le sens de l'ouie le sens superbe, parce que parmi eux, il fallait le satisfaire pour être écouté. Mais parmi nous autres Français, cela est fort indifférent. Cet écrivain aurait dû savoir que notre oreille est dure et fausse, di corno, comme disait un ambassadeur napolitain, et comme le

montre assez le chant du peuple, que les étrangers ne peuvent entendre sans frissonner. Il ne se doutait pas d'ailleurs qu'il ne s'agirait pas de parler, mais de lire; qu'au lieu d'arriver avec des connaissances acquises et de parler d'après elles, on n'aurait que la peine de feuilleter l'Encyclopédie, et d'y chercher des discours tout faits qu'on mettrait dans sa poche; que les riches n'auraient pas même cette peine, et que des hommes complaisants les rendraient éloquents pour un peu d'argent, à tant la page, lesquels hommes feraient souvent des discours pour et contre, suivant le goût de celui qui les commandait, ce qui rendait leur esprit lumineux et bien utile à l'Etat, puisqu'ils examinaient les choses sous toutes les faces. Quant à la prononciation, qui donnait des craintes à ce bon académicien, jamais un Normand, un Dauphinois, ni un Gascon ne s'inquiètent de leur accent particulier.

Cet auteur académicien craignait que nous n'eussions pas un assez grand nombre d'orateurs provinciaux. «< Car enfin, disait-il, il en faut un «certain nombre pour établir un équilibre né<«< cessaire, afin que l'assemblée qui doit régé«nérer la France entière n'entende pas seule❝ment des Parisiens. » Il dut bientôt se rassurer. Sur douze cents députés, nous eûmes environ

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huit cents orateurs, ce qui était un nombre passable pour le siècle des lumières. Il put espérer dès lors qu'aucune vérité ne nous échapperait. Aussi cette assemblée témoigna-t-elle plus d'une fois un profond mépris pour les discussions du parlement anglais; car il ne compte qu'une douzaine d'orateurs qui prennent habituellement la parole. Indigence digne de pitié, si on la compare à la richesse de notre tribune.

La même ignorance qui, après avoir enfanté ce monstre qu'on appelait Assemblée unique, avait eu la belle conception de quatre Chambres, imagina, sous le consulat, de désigner par le sort les places du Corps-Législatif : c'était, disaiton, pour fondre les opinions, pour affaiblir les animosités. Ainsi, l'on pouvait se trouver auprès d'un homme qu'on n'estimait pas, et loin de celui qu'on affectionnait. Un homme vertueux aurait été condamné à se placer auprès de Robespierre. Lorsque Catilina entra dans le sénat, touts les sénateurs s'éloignèrent de lui, excepté un ou deux conjurés. En Angleterre, les deux partis sont toujours en présence. Notre étrange combinaison prouve bien la petitesse de notre esprit, toujours prêt à entrer dans la route des petits arrangements, des petites ruses et des pemoyens de toute espèce. Et nous, dont la

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