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légèreté change si souvent et si rapidement les choses les plus importantes, il faut voir avec quel respect religieux nous tenons à la lettre d'un règlement! Un homme exerce les fonctions de député depuis quinze ans il vient d'être réélu; il a quatre-vingts ans. Son âge est bien connu; il est écrit sur son visage. N'importe; on ne le recevra point qu'il n'ait produit son acte de baptême, qu'on ne l'ait vu, examiné, retourné. S'il ne l'a pas encore reçu, s'il s'avise de réclamer le témoignage de deux cents collègues, s'il atteste ses rides, tout cela est inutile; on veut la preuve écrite, on la demande, on l'exige d'un ton d'importance, et l'on vient déclarer solemnellement à la tribune qu'on a la preuve, la preuve certaine qu'un homme de quatre-vingts ans a qua

rante ans.

Toutes ces petitesses ont paru, surtout dans les deux élections de M. de Marchangy. S'il eût été un homme insignifiant, il aurait été reçu sans difficulté, comme tant d'autres qu'on sçavait être moins en règle qu'il ne l'était. Mais, doué d'un beau talent bien connu, qui s'était manifesté surtout dans un grand et beau réquisitoire sur la faction qui travaillait et la France et l'Europe, il arma contre lui la puissance souveraine de l'envie; et la jalouse médiocrité, toujours scrupu

leuse, s'unit à sa sœur l'envie. Elles trouvèrent, la première fois, qu'il payait en contributions quelques francs de moins que la loi ne l'exigeait; et la seconde fois, elles démontrèrent, à leur façon, qu'il s'en fallait de quelques jours que la date certaine d'une formalité n'eût le délai prescrit par la loi.

A sa première élection, après que j'eus soutenu sa cause, Stanislas Girardin me dit : « Vous venez de faire l'action d'un ami, en défendant une mauvaise cause. » Je lui répondis : « Ecoutez, mon cher collègue, nous nous connaissons depuis long-temps; nous avons défendu la même cause, et couru les mêmes dangers. Si M. de Marchangy était de votre parti, l'auriez-vous reçu ? Oui, certainement. - Convenez donc que nous sommes bien imbécilles. Très-certainement, oui.Encore un mot: Avouez franchement que vous êtes bien décidés à profiter de notre imbécillité. » Il se mit à rire. «Eh bien! lui dis-je, je répondrai pour vous. Vous en profiterez, et vous réussirez. »

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Je vois, en 1832, un article du Rénovateur, écrit par un ancien ministre d'Etat, qui ne se nomme pas. L'auteur y remarque qu'après l'éloquent réquisitoire de M. de Marchangy sur la faction qui travaillait la France et l'Europe, on

trouva qu'il n'était plus bon à rien. Il en fut consolé par une lettre autographe de l'empereur Alexandre; mais ce puissant monarque ne pensait pas, en l'écrivant, qu'auprès de lui la même faction tramait une conspiration contre son autorité, contre sa personne. C'est une chose remarquable qu'un empereur de Russie louant un magistrat français d'une action courageuse qui ne plaisait pas aux ministres du roi de France.

Une autre 'combinaison, bien digne de toutes les autres, ordonne de partager la Chambre en bureaux tirés au sort. Il en résulte que le sort peut mettre dans un ou deux bureaux touts les députés qui entendent une partie spéciale de législation, et en priver les autres bureaux. Un exemple prouvera l'absurdité. Lorsque je fis une proposition sur le commerce, elle fut envoyée dans les bureaux : touts la désapprouvèrent, excepté un seul. Elle était donc bien mauvaise? Point du tout; cela prouve, au contraire, que la proposition était très-bonne. Voici comment : le sort avait mis dans ce bureau trois négociants expérimentés dans les intérêts du commerce. L'un d'eux, surtout, montra les avantages de la proposition; elle y fut adoptée. Dans un autre bureau, le sort n'avait mis personne qui s'intéressât au commerce; il n'y avait même que quatre

membres présents, deux militaires, un académicien et un fermier. Les autres bureaux, d'ailleurs, n'étaient guère plus nombreux; car ces réunions, presque toujours très-ennuyeuses, attirent peu de députés, excepté quand il s'agit d'une chose qui excite les passions.

Ces bureaux nomment, touts les mois, un président et un secrétaire ; et comme il y en a douze, si la session dure six mois, cela compose une liste de cent quarante-quatre personnes honorées de ces dignités temporaires, et souvent nommées par quatre ou cinq collègues seulement. Mais les noms brillent dans les journaux; et de braves gens tirent de ces choix des augures heureux ou malheureux. Ces enfantillages sont ridicules, dégoûtent les hommes qui ont un peu d'élévation dans le caractère, et finissent par leur inspirer une sorte de pitié d'eux-mêmes et de leurs fonc

tions.

Au commencement de la session, le doyen d'âge préside: c'est sans doute pour honorer la vieillesse. Le vieillard préside dans les jours les plus difficiles; car, avant que la Chambre ne soit constituée, et pendant qu'elle procède au long enfantement des président, vice-présidents et secrétaires, c'est un désordre, une mutinerie qu'il faut voir pour les comprendre. Si le vieillard pré

sident n'a plus de bonnes oreilles ni une bonne voix, il ne peut conduire cette cohue; il est souvent traité fort lestement; et après dix ou douze jours de fatigues, on le remercie. On voulait sans doute honorer la vieillesse : on a fait le contraire; on l'a exposée au ridicule.

On nommait d'abord le président avec une certaine franchise. On présentait au roi cinq candidats capables de présider; mais ensuite on imagina de présenter quatre incapables et un capable c'était forcer le choix du : monarque; c'était honorable pour l'homme capable, puisqu'on ne lui donnait pas de rival; c'était un peu outrageant pour le roi, puisqu'il ne pouvait choisir que le capable; en sorte que le président était nommé par la Chambre, et non par le roi.

peu

Henri IV avait auprès de lui deux députés protestants, qu'il choisissait sur une liste de candidats. On s'avisa, un jour, d'en présenter d'incapables, afin de le forcer à choisir le capable: il se fàcha, car il sçavait se fâcher, et fit recommencer l'élection.

Comparez ces pénibles scrutins, pour nommer un président, à l'usage de la Chambre des communes: là, point de scrutin; un membre propose un candidat; d'autres parlent franchement pour ou contre lui. Il répond, s'il veut, aux re

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