Images de page
PDF
ePub

en esclavage, parce que leur roi avait refusé de le reconnaître pour Dieu. Vous verrez encore comment cet autre fit ceindre de murailles construites avec les os et les cranes de ses habitants une ville voisine qui avait eu la généreuse audace de lui résister. Ces faits, vous les trouverez partout dans les histoires, où ils sont connus sous le nom de mémorables. Mais voulez-vous savoir qui a doté les hommes de l'architecture, qui leur a appris l'art de fixer la pensée, de transmettre aux générations futures le souvenir des actes accomplis par les aïeux? Vous chercherez vainement, ou, si vous rencontrez quelque nom, ce sera celui d'une divinité de l'Olympe ou d'un héros non moins imaginaire. Aussi, faut-il s'attendre à ne trouver que peu de documents relatifs à l'éducation des peuples primitifs, et doit-on, pour découvrir les moyens et les procédés d'enseignement dont ils usèrent, chercher dans les institutions générales de ces époques et surtout dans l'esprit qui les dicta.

A mesure que l'on s'éloigne des origines, néanmoins, les renseignements deviennent plus nombreux. Ils suftisent déjà, chez les Grecs et chez les Romains, pour permettre d'édifier l'histoire, et, de nos jours, on peut dire qu'ils surabondent. Trop heureux si, sous cette apparente richesse, ne se cachait une pénurie réelle ! Mais n'anticipons pas.

Il serait dans une erreur complète celui qui prétendrait juger des institutions et des lois des peuples primitifs par les institutions et les lois des peuples modernes. Fondés sur le dogme chrétien de la réhabilitation, ces derniers croient à la liberté et à l'égalité humaines, et l'œuvre essentielle des gouvernements consiste à fa

voriser ces tendances, et à réunir les diverses nations et les hommes de chaque nation dans un sentiment commun de fraternité et d'amour. C'est là le progrès social dont parlent tant de personnes, quoique si peu en comprennent les conditions et veulent coopérer à son avénement.

Rien de tel dans les sociétés antiques. Au lieu du progrès, l'immobilité; au lieu de la liberté, le fatalisme; l'inégalité originelle tenant lieu du dogme évangélique de l'égalité; les hommes de chaque nation divisés en castes incommunicables, et les nations tellement hostiles que le même mot sert, chez elles, pour désigner l'étranger et l'ennemi.

La connaissance des faits qui précèdent est indispensable à qui veut comprendre le mécanisme de ces sociétés, le jeu de leurs institutions et se rendre compte des actes accomplis par elles dans la durée des siècles. C'est en nous appuyant sur ces notions acquises que nous espérons présenter à nos lecteurs quelques données exactes sur les institutions d'enseignement à l'usage des peuples qui ne sont plus.

« La religion et la politique se touchent partout et se confondent, eu quelque sorte, quand on remonte à l'origine des sociétés, » a dit, avec beaucoup de raison, un auteur moderne '. C'est, en effet, dans le mélange et la pénétration mutuelle des deux pouvoirs religieux et politique, c'est dans la suprématie incontestée de leurs représentants que gìt la logique de toutes les in stitutions de l'antiquité, de celle de l'enseignement, comme des autres. Pourquoi, par exemple, un ensei

1 Voy. Hue, l'Empire chinois, t. II, ch. 2.

gnement intellectuel ou moral aux classes inférieures de ces sociétés? Ceux qui les composent ne sont-ils pas fils des ténèbres et privés d'âme, comme les animaux? Pourquoi encore l'enseignement aux femmes? Ne sontelles pas de nature infime et destinées à l'obéissance passive? Distribuer aux multitudes l'éducation qui anoblit et l'instruction qui éclaire, ce serait, de la part des privilégiés, porter atteinte au lien social, nier la caste et préparer de leurs mains la fin de leur suprématie. «< Un brahmane, dit la loi de Manou ', ne doit enseigner à un soudra, ni la loi, ni aucune pratique de dévotion expiatoire, car s'il le fait, il est précipité avec lui dans l'enfer. Il ne doit même les lire ni en sa présence ni en celle d'une femme. » Et ce sentiment des privilégiés d'autrefois s'est perpétué chez ceux de nos jours, puisque, maîtres d'esclaves, de serfs et de salariés, tous s'entendent pour maintenir dans l'ignorance leurs subordonnés.

L'enseignement moral, ou l'éducation, et l'enseignement des méthodes, ou l'instruction, restent donc partout, et chez tous les peuples de la haute antiquité, l'apanage exclusif des classes sacerdotale et militaire, de la première surtout. Et ce fait explique les luttes de pouvoir qui règnent entre elles et forment, à proprement parler, toute l'histoire intime de ces époques reculées.

Le peuple juif, dont les institutions diffèrent si complétement de celles des peuples contemporains, ne s'en distingue pas moins sous le rapport de l'en

1 Traduction de Loiseleur-Deslongchamps, liv. Iv, pages 135 et suiv.

seignement. Si les hautes sciences et les beaux-arts restent, chez lui, l'apanage de la classe sacerdotale, l'éducation et l'instruction primaire rentrent, du moins, dans le commun domaine. Plus favorisés, sous le rapport économique, qu'aucun autre peuple ancien ou moderne, puisque les lois confèrent à chaque citoyen, sans exception, l'instrument du travail, seul agent matériel de la liberté, tous en reçoivent encore l'agent spirituel, l'éducation. Distribuée, à l'origine, par les docteurs de la loi et dans les écoles des prophètes, elle est transmise, plus tard, par les Rabbins, dans des écoles ouvertes aux multitudes et connues sous le nom de Maisons de Dieu, « comme pour montrer qu'elles étaient ouvertes en son nom et y rappeler ses commandements. » Car Moïse avait prescrit l'étude des livres sacrés, et nul Israélite ne pouvait s'en dispenser. Leurs préceptes si beaux étaient confiés les premiers à la mémoire, et la lecture de la loi de Jéhova devenait obligatoire pour tous les fils d'Israël. Les mères étaient les premiers instituteurs de l'enfance; car, pour trancher plus profondément encore avec les mœurs et les institutions des peuples contemporains, le mosaïsme avait proclamé la réhabilitation de la femme et lui reconnaissait une âme spirituelle.

Plus tard, d'autres études étaient prescrites. Après le Pentateuque, qui était la première lecture, venait, à dix ans, celle de la Misna, et à quinze, celle du Talmud. Puis, des leçons et des conférences où les chefs de la religion développaient les points de doctrine et interprétaient les livres saints.

Telle fut, avec les éléments de la numération et quelques données sur l'histoire et sur le calendrier, la ma-.

tière de l'instruction primaire, qui devint obligatoire et commune pour tous les Hébreux. Quant à l'enseignement supérieur destiné aux sacerdotes, aux prophètes, aux médecins et aux juges, il comprenait l'étude de toutes les langues et de toutes les sciences alors connues, et était, par conséquent, fort complexe. Les maîtres chargés de le distribuer formaient le grand Sanhedrin, institution qui répondait à celles de notre Collège de France et de nos Facultés.

Les institutions et les méthodes d'enseignement chez les Grecs, pendant la période dite héroïque, ne paraissent pas avoir beaucoup différé des institutions analogues des peuples contemporains, et, notamment, de celles d'Égypte où leurs législateurs étaient allés puiser les éléments de civilisation. Dans la Grèce primitive, de même que chez les autres nations dont nous avons parlé déjà, la possession de la science et le privilége de l'enseigner restèrent exclusivement dévolus aux prêtres. Et, comme chez les Hindous et les Égyptiens, l'enseignement présenta le double caractère d'éxotérique et d'ésotérique, selon la qualité des élèves; et, seuls aussi, les aspirants au sacerdoce furent initiés au dernier.

C'est de Lycurgue, de Pythagore et de Solon que datent, à proprement parler, les institutions d'enseignement qui, de la Grèce, se répandirent à Rome, et, de Rome, dans le reste de l'univers. Ces grands hommes convaincus, comme Moïse, que les lois demeurent lettre morte pour les peuples, s'ils n'apprennent, de bonne heure, à les connaître et à les aimer, mirent tous leurs soins à chercher les meilleures méthodes pédagogiques. Et l'on peut affirmer, sans crainte, que le premier ci

« PrécédentContinuer »