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choses. Il y a déjà tant d'opinions en philosophie qui ont de l'apparence et qui peuvent être soutenues en dispute, que, si les miennes n'ont rien de plus certain et ne peuvent être approuvées sans controverse, je ne les veux jamais publier. Toutefois, pource que j'aurais mauvaise grâce si, après vous avoir tout promis et si longtemps, je pensais vous payer ainsi d'une boutade, je ne laisserai pas de vous faire voir ce que j'ai fait le plus tôt que je pourrai, mais je vous demande encore, s'il vous plaît, un an de délai pour le revoir et le polir. Vous m'avez averti du mot d'Horace, nonumque prematur in annum, et il n'y en a encore que trois que j'ai commencé le Traité que je pense vous envoyer. Je vous prie aussi de me mander ce que vous savez de l'affaire de Galilée.....

AU R. P. MERSENNE

Sur Galilée.

10 janvier 1634.

Mon révérend Père,

J'apprends par les vôtres que les dernières que je vous avais écrites ont été perdues, bien que je les pensais avoir adressées fort sûrement. Je vous y mandais tout au long la raison qui m'empêchait de vous envoyer mon traité, laquelle je ne doute point que vous ne trouviez si légitime, que tant s'en faut que vous me blâmiez de ce que je me résous à ne le jamais faire voir à personne, qu'au contraire vous seriez le premier à m'y exhorter, si je n'y étais pas déjà tout résolu. Vous savez sans doute que Galilée a été repris depuis peu par les inquisiteurs de la foi, et que son opinion touchant le mouvement de la terre a été condamnée comme hérétique; or je vous dirai que toutes les choses que j'expliquais en mon traité, entre lesquelles était aussi cette opinion du mouvement de la terre, dépendaient tellement les unes des autres que c'est assez de savoir qu'il y en ait une qui soit fausse pour con

naître que toutes les raisons dont je me servais n'ont point de force; et quoique je pensasse qu'elles fussent appuyées sur des démonstrations très-certaines et trèsévidentes, je ne voudrais toutefois pour rien du monde les soutenir contre l'autorité de l'Eglise. Je sais bien qu'on pourrait dire que tout ce que les inquisiteurs de Rome ont décidé n'est pas incontinent article de foi pour cela, et qu'il faut premièrement que le concile y ait passé; mais je ne suis point si amoureux de mes pensées que de me vouloir servir de telles exceptions pour avoir moyen de les maintenir; et le désir que j'ai de vivre au repos et de continuer la vie que j'ai commencée, en prenant pour ma devise benè vixit benè qui latuit, fait que je suis plus aise d'être délivré de la crainte que j'avais d'acquérir plus de connaissances que je ne désire, par le moyen de mon écrit, que je ne suis fâché d'avoir perdu le temps et la peine que j'ai employée à le composer.

Pour les expériences que vous me mandez de Galilée, je les nie toutes, et je ne juge pas pour cela que le mouvement de la terre en soit moins probable. Ce n'est pas que je n'avoue que l'agitation d'un chariot, d'un bateau ou d'un cheval, ne demeure encore en quelque façon en la pierre après qu'on l'a jetée étant dessus, mais il y a d'autres raisons qui empêchent qu'elle n'y demeure si grande; et pour le boulet de canon tiré du haut d'une tour, il doit être beaucoup plus longtemps à descendre que si on le laissait tomber du haut en bas, car il rencontre plus d'air en son chemin, lequel ne l'empêche pas seulement d'aller parallèlement à l'horizon, mais aussi de descendre. Pour le mouvement de la terre, je m'étonne qu'un homme d'église en ose écrire, en quelque façon qu'il s'excuse; car j'ai vu une patente sur la condamnation de Galilée, imprimée à Liége le 20 septembre 1633, où sont ces mots, quamvis hypotheticè à se illam proponi simularet, en sorte qu'ils semblent même défendre qu'on se serve de cette hypothèse en l'astronomie, ce qui me retient que je n'ose lui mander aucune de mes pensées sur ce sujet; aussi que ne voyant point encore que cette cen

sure ait été autorisée par le pape ni par le concile, mais seulement par une congrégation particulière des cardinaux inquisiteurs, je ne perds pas tout à fait espérance qu'il n'en arrive ainsi que des antipodes, qui avaient été quasi en même sorte condamnés autrefois, et ainsi que mon Monde ne puisse voir le jour avec le temps, auquel cas j'aurais besoin moi-même de me servir de mes raisons.

AU R. P. MERSENNE

Sur Galilée.

Mon révérend Père,

Encore que je n'aie aucune chose particulière à vous mander, toutefois, à cause qu'il y a déjà plus de deux mois que je n'ai reçu de vos nouvelles, j'ai cru ne devoir pas attendre plus longtemps à vous écrire; car si je n'avais eu de trop longues preuves de la bonne volonté que vous me faites la faveur de me porter, pour avoir aucune occasion d'en douter, j'aurais quasi peur qu'elle ne fût un peu refroidie, depuis que j'ai manqué à la promesse que je vous avais faite de vous envoyer quelque chose de ma Philosophie; mais d'ailleurs la connaissance que j'ai de votre vertu me fait espérer que vous n'aurez que meilleure opinion de moi de voir que j'ai voulu entièrement supprimer le traité que j'en avais fait et perdre presque tout mon travail de quatre ans, pour rendre une entière obéissance à l'Eglise, en ce qu'elle a défendu l'opinion du mouvement de la terre; et toutefois pource que je n'ai point encore vu que ni le pape ni le concile aient ratifié cette défense, faite seulement par la congrégation des cardinaux établie pour la censure des livres, je serais bien aise d'apprendre ce qu'on en tient maintenant en France, et si leur autorité a été suffisante pour en faire un article de foi. Je me suis laissé dire que les N.1 1. « Les pères jésuites. »

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avaient aidé à la condamnation de Galilée, et tout le livre du P. N. montre assez qu'ils ne sont pas de ses amis; mais d'ailleurs les observations qui sont dans ce livre fournissent tant de preuves pour ôter au soleil les mouvements qu'on lui attribue que je ne saurais croire que le P. N., même en son âme, ne croie l'opinion de Copernic, ce qui m'étonne de telle sorte que je n'en ose écrire mon sentiment. Pour moi, je ne cherche que le repos et la tranquillité d'esprit, qui sont des biens qui ne peuvent être possédés par ceux qui ont de l'animosité ou de l'ambition; et je ne demeure pas cependant sans rien faire, mais je ne pense pour maintenant qu'à m'instruire moi-même, et me juge fort peu capable de servir à instruire les autres, principalement ceux qui, ayant déjà acquis quelque crédit par de fausses opinions, auraient peut-être peur de le perdre si la vérité se découvrait.

A M. DE ZUITLICHEN

Avril 1637.

Monsieur,

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Encore que je me sois retiré assez loin hors du monde, la triste nouvelle de votre affliction n'a pas laissé de parvenir jusqu'à moi. Si je vous mesurais au pied des âmes vulgaires, la tristesse que vous avez témoignée dès le commencement de la maladie de feu Mme de Z..." me ferait craindre que son décès ne vous fût du tout insupportable; mais ne doutant point que vous ne vous gouverniez entièrement selon la raison, je me persuade qu'il vous est beaucoup plus aisé de vous consoler et de reprendre votre tranquillité d'esprit accoutumée, maintenant qu'il n'y a plus du tout de remède, que lorsque vous aviez encore occasion de craindre et d'espérer; car il est certain que l'espérance étant du tout ôtée, le désir

1. Scheiner. » 2. Scheiner. »

3. Susanne Baerle..

cesse ou du moins se relâche et perd sa force; et quand on a peu ou point de désir de ravoir ce qu'on a perdu, le regret n'en peut être fort sensible. Il est vrai que les esprits faibles ne goûtent point du tout cette raison, et que, sans savoir eux-mêmes ce qu'ils s'imaginent, ils s'imaginent que tout ce qui a autrefois été peut encore être, et que Dieu est comme obligé de faire pour l'amour d'eux tout ce qu'ils veulent; mais une âme forte et généreuse comme la vôtre, sachant la condition de notre nature, se soumet toujours à la nécessité de sa loi; et bien que ce ne soit pas sans quelque peine, j'estime si fort l'amitié que je crois que tout ce que l'on souffre à son occasion est agréable, en sorte que ceux-mêmes qui vont à la mort pour le bien des personnes qu'ils affectionnent me semblent heureux jusqu'au dernier moment de leur vie; et quoique j'appréhendasse pour votre santé pendant que vous perdiez le manger et le repos pour servir vous-même votre malade, j'eusse pensé commettre un sacrilége si j'eusse tâché à vous divertir d'un office si pieux et si doux. Mais maintenant que votre deuil, ne lui pouvant plus être utile, ne saurait aussi être si juste qu'auparavant, ni par conséquent accompagné de cette joie et satisfaction intérieure qui suit les actions vertueuses et fait que les sages se trouvent heureux en toutes les rencontres de la fortune, si je pensais que votre raison ne le pût vaincre, j'irais importunément vous trouver, et tâcherais par tous moyens à vous divertir, à cause que je ne sache point d'autre remède pour un tel mal. Je ne mets pas ici en ligne de compte la perte que vous avez faite en tant qu'elle vous regarde et que vous êtes privé d'une compagnie que vous chérissiez extrêmement, car il me semble que les maux qui nous touchent nous-mêmes ne sont point comparables à ceux qui touchent nos amis, et qu'au lieu que c'est une vertu d'avoir pitié des moindres afflictions qu'ont les autres, c'est une espèce de lâcheté de s'affliger pour aucune des disgrâces que la fortune nous peut envoyer; outre que vous avez tant de proches qui vous chérissent que vous ne sauriez pour cela

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