Images de page
PDF
ePub

fiques. Ces règles ont été utiles par leur généralité même, parce que la philosophie moderne avait surtout besoin de liberté.

Puisque nous recherchons l'évidence, nous devons, pour la trouver, aller du composé au simple, du tout aux parties, de ce qui est dépendant et intelligible par autre chose à ce qui est indépendant et intelligible par soi-même. Cette opération est l'analyse. La seconde règle de Descartes s'y rapporte - Diviser le sujet en autant de parcelles qu'il est possible pour mieux résoudre les difficultés. Par là, dit Descartes, «< on ramène graduellement les propositions embarrassées et obscures à d'autres plus simples'. » C'est principalement à l'emploi de cette analyse que Descartes attribue la grande découverte qu'il avait faite à l'âge de vingt-trois ans : l'application de l'algèbre à la géométrie. La « géométrie analytique » a été

1. Par là aussi, on remonte du relatif à l'absolu dans chaque question. « J'appelle absolu tout ce qui est l'élément simple et indécomposable de la chose en question, comme, par exemple, tout ce qu'on regarde comme indépendant, cause, simple, universel, un, égal, semblable, droit, etc.; et je dis que ce qu'il y a de plus simple est ce qu'il y a de plus facile, et ce dont nous devons nous servir pour arriver à la solution des questions.» (Règles pour la direction de l'esprit, VI.) Or, tout l'art consiste à chercher toujours ce qu'il y a de plus absolu... Dans les corps mesurables, l'absolu, c'est l'étendue; mais dans l'étendue, c'est la longueur, etc. » On divise ainsi les choses en séries dont l'ordre est tel que chaque chose est connue par la précédente, jusqu'à ce qu'on soit remonté à ce qui est le plus simple, le plus clair, le plus intelligible, le plus évident.

[ocr errors]

ments simples et absolus des figures géométriques; c'est l'ordre et la mesure. De même, sur quoi repose l'arithmétique? sur l'ordre et la mesure. Que doit exprimer l'algèbre? les lois les plus générales de l'ordre et de la mesure. Mais alors pourquoi n'existerait-il pas une science dont les formules, plus simples que celles de l'arithmétique et plus abstraites que les figures de géométrie, s'appliqueraient à la fois aux nombres et à l'étendue, ou, en général, à tout ce qui est ordonné et mesurable? Il doit y avoir une science générale qui explique tout ce qu'on peut trouver sur l'ordre et la mesure... Et cette science est appelée d'un nom propre les Mathématiques.» (Recherche de la vérité, éd. Cousin, XI, p. 223.) Partant de cette idée, Descartes représente les lignes d'une figure par des lettres, cherche les relations de ces lignes, les exprime par des lettres, et arrive ainsi à représen2. Avant lui, l'algèbre se perdait ter une figure, par exemple l'ellipse dans des artifices compliqués de for- ou la parabole, par une équation almules, et la géométrie était trop as- gébrique qui en exprime la propriété treinte à la considération des figures; fondamentale. Etant donnée cette équaen outre, ces deux sciences demeu- tion, il suffit d'en tirer les conséquences raient étrangères l'une à l'autre. Des- par l'algèbre pour découvrir toutes les cartes se demanda quels sont les élé-propriétés de la courbe.

l'origine des plus admirables découvertes mathématiques, et en particulier de l'invention du calcul infinitésimal par Leibniz.

Après que l'analyse a ramené le composé au simple, le dérivé au primitif, la méthode synthétique doit enchaîner les principes et les conséquences par une série de déductions qui permette de passer peu à peu du plus simple au plus composé. « Conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu par degrés, jusqu'à la connaissance des plus composés. » On examine d'abord un terme de la question, puis un second, puis le rapport des deux, puis un troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on ait introduit dans le problème, s'il est possible, tout ce qui est dans la réalité. La méthode synthétique de Descartes est donc une méthode de construction et de déduction.

Quelquefois on n'aperçoit pas l'ordre qui existe dans les choses mêmes en ce cas, il faut faire une hypothèse et imaginer un certain ordre, dont on cherchera ensuite les conséquences par la déduction et la vérification par l'expérience. Si l'hypothèse ne réussit pas, on en essayera une autre jusqu'à ce qu'on ait trouvé l'ordre convenable. Aussi Descartes dit-il dans sa troisième règle qu'il faut « supposer même de l'ordre entre les objets qui ne se précèdent point les uns les autres. » Descartes a parfaitement compris que, sans une hypothèse a priori, l'esprit humain ne saurait rien découvrir. On ne peut, en effet, trouver l'inconnu qu'en supposant un certain lien particulier qui le rattacherait au connu. Si, par exemple, Franklin n'avait pas supposé un lien entre 1. Discours de la méthode, II. 12. Discours de la méthode, II.

le principe inconnu de la foudre et le fait connu de l'électricité, et s'il n'en avait pas déduit a priori l'expérience du cerf-volant, sauf à réaliser ensuite cette expérience et à vérifier cette hypothèse, il n'aurait pas découvert la vraie théorie de la foudre. Le danger n'est donc pas de faire des hypothèses, mais de présenter une hypothèse pour autre chose que ce qu'elle est et de la confondre tout de suite avec la réalité.

L'induction elle-même semble n'être pour Descartes qu'une déduction provisoire, qu'on doit ensuite confirmer par l'expérience. Descartes rétablit ainsi jusque dans la méthode inductive l'importance des procédés déductifs, méconnue par Bacon. Ce n'est pas qu'il ignore l'art d'expérimenter il l'avait pratiqué lui-même avec une habileté rare, et il en connaissait toute la puissance 1. Mais l'expérience, pour Descartes, n'est qu'un moyen de suppléer à la déduction dans les questions qui embrassent une trop grande complexité de termes : on vient alors, dit-il, << au devant des causes par les effets. » L'expérience sert aussi à nous apprendre, parmi les diverses déAuctions hypothétiques qui pourraient rattacher un phénomène aux grandes lois de l'univers, quelle est celle qui a été réellement choisie par la nature.

On ne saurait méconnaître ce que ces pensées de Descartes, ont de profond, quoiqu'elles soient incomplètes et que Descartes ait lui-même abusé des constructions a priori. Le progrès des sciences expérimentales consiste certainement à se réduire de plus en plus aux sciences rationnelles; les parties les plus

1. Au lieu de cette philosophie | aussi distinctement que nous connaisspéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent,

sons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre maitres et possesseurs de la nature. » (Discours de la méthode, VI.)

achevées de la physique, par exemple, se ramènent à la mécanique, et la mécanique aux mathématiques. C'est ce que Descartes voulait : « Tout, selon moi, se fait mathématiquement: omnia, apud me, mathematice fiunt. »

Les mathématiques, à leur tour, se réduisent finalement à la logique, et par conséquent aux lois de l'intelligence. La science est donc une, et c'est dans l'intelligence qu'elle trouve son unité. «Les sciences, >> toutes ensemble, ne sont rien autre chose que l'in>> telligence humaine qui reste une et toujours la » même, quelle que soit la variété des objets auxquels » elle s'applique, sans que cette variété apporte à sa >> nature plus de changement que la diversité des » objets n'en apporte à la nature du soleil qui les » éclaire1. » Aussi «< une vérité découverte nous » aide à en découvrir une autre, bien loin de nous >> faire obstacle. Si donc on veut sérieusement cher» cher la vérité, il ne faut pas s'appliquer à une >> seule science. >>

Cette synthèse qui ramène progressivement la variété des idées à l'unité a besoin d'être fixée en des « dénombrements ou revues générales. » De là dérive la quatrième règle de la logique cartésienne : << Faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre 2. » C'est la science entière résumée et condensée dans la classification 3.

1. Règles pour la direction de l'esprit, XI.

2. Discours de la méthode, II. 3. Selon Descartes, les sciences qui offrent la meilleure réalisation de cette méthode idéale sont les mathématiques; mais la même méthode pourrait s'appliquer aux autres sciences. « Ces longues chaînes de raisons,

toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s'entresuivent en même façon, et que, pourvu seulement qu'on s'abstienne d'en re

Descartes en s'efforçant de construire ce qu'on appelle une « mathématique universelle », ne veut pas dire par là que toute sa méthode soit purement et simplement celle des mathématiques : sa méthode est applicable, dit-il, à une science plus haute, c'est-àdire à la métaphysique. « Les mathématiques n'en sont que l'enveloppe 1. »

[blocks in formation]

De l'âme. Son existence, ses facultés
et sa nature.

[ocr errors]

I. Existence de l'âme. Nous avons trouvé un principe inébranlable qui nous met en possession d'une première réalité : « Je pense, donc je suis ; >> mais il faut bien entendre le vrai sens de ce principe. Ce n'est pas un enthymème ou syllogisme abrégé. «< Lorsque quelqu'un dit - Je pense, donc je suis, il ne conclut pas son existence de sa pensée comme par la force de quelque syllogisme, mais, comme une chose connue de soi; il la voit comme par une simple inspection de l'esprit3. »

Descartes n'entend par l'âme que la pensée, c'està-dire la conscience avec tout ce qu'elle aperçoit immédiatement en elle-même : l'âme c'est le moi*.

cevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours l'ordre qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il ne peut y en avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre. (Discours de la méthode, ibid.)

1. Descartes nous révèle ici le caractère original de sa métaphysique, je veux dire l'application de ce qu'il y a de fondamental dans la méthode mathématique aux questions métaphysiques, de la déduction rationnelle à l'observation par la conscience.

2. Il y a, selon Descartes, deux espèces de principes: les uns, purement logiques, sont les conditions générales

de la démonstration: par exemple, une même chose ne peut à la fois être et ne pas être; tels sont les axiomes; les autres, vraiment métaphysiques, nous font connaitre des existences réelles; tel est le cogito (Lettres, I, 118, p. 379). L'existence de la pensée est un principe en ce second sens,

parce qu'il n'y a rien dont l'existence nous soit plus connue » ni antérieurement connue.

3. Réponse aux deuxièmes objections du P. Mersenne.

4. Par le mot de pensée, j'entends toutes ces choses que nous trouvons en nous avec la conscience qu'elles y sont, et autant que la conscience de ces choses est en nous. » (Principes,

« PrécédentContinuer »