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Justice, Egalité, Droiture,

Que n'avez-vous règné toujours?

Sort des bergers, douceurs aimables,
Vous n'êtes plus ce sort si doux;
Un peuple vil de misérables
Vit pasteur sans jouir de vous.

Ne peins-je point une chimère?
Ce charmant Siècle a-t-il été?
D'un Auteur témoin oculaire,
En sait-on la réalité?

J'ouvre les fastes sur cet âge,
Par-tout je trouve des regrets;
Tous ceux qui m'en offrent l'image,
Se plaignent d'être nés après.

J'y lis que la terre fut teinte
Du sang de son premier Berger;
Depuis ce jour, de maux atteinte,
Elle s'arma pour le venger.

Ce n'est donc qu'une belle fable;
N'envions rien à nos ayeux.
En tout temps l'homme fut coupable
En tout temps il fut malheureux.

5) OD F

Sur la Médiocrité.

Souveraine de mes pensées,

Tes loix sont-elles effacées?

Toi qui seule règnois sur les premiers mortels, Dans cette race misérable,

Sur cette terre déplorable, Heureuse liberté, n'as-tu donc plus d'autels?

De mille erreurs vils tributaires,

Les coeurs, esclaves volontaires,

Immolent ta douceur à l'espoir des faux biens; Lå je vois des chaînes dorées,

Là d'indignes, lå de sacrées,

Par-tout je vois des fers et de tristes liens.

N'est-il plus un coeur vraiment libre
Qui, gardant un juste équilibre,

Vive, maître de soi, sans asservir ses jours?
S'il en est, montre moi ce Sage,

Lui seul obtiendra mon hommage,

Et mon coeur sous sa loi se range pour toujours.

Tu m'exauces, Nymphe ingénue:
Dans une contrée inconnue,

Sur des ailes de feu je me sens enlevé;
Quel ciel pur! quel paisible empire!
Chante toi-même, prends ma lyre,
Et décris ce séjour par tes soins cultivé.

Aux bords d'une mer furieuse,

Où la fortune impérieuse

Porte et brise à son gré de superbes vaisseaux,
Il est un port sûr et tranquille,

Qui maintient, dans un doux asyle,
Des barques à l'abri du caprice des eaux.

Sur ces solitaires rivages

D'où l'oeil, spectateur des naufrages,

S'applaudit en secret de la sécurité,

Dans un temple simple et rustique
De la nature ouvrage antique,

Ce climat voit règner la Médiocrité.

Là, conduite par la Sagesse
Tu te fixas, humble Déesse,

Loin des palais bruyans du fastueux Plutus:
Là, sous tes loix et sous ton culte,

Tu rassemblas, loin du tumulte,
Le vrai, les plaisirs purs, les sincères Vertus.

Séduits par d'aveugles idoles,

Du bonheur fantômes frivoles,'

Le vulgaire et les grands ne te suivirent pas:
Tu n'eus pour sujets que ces sages
Qui doivent l'estime des âges

A la sagesse acquise en marchant sur tes pas.

Tu vis naître dans tes retraites

Ces nobles et tendres poêtes,

Dont la voix n'eût jamais formé de sons brillans, Si le fracas de la Fortune,

Ou si l'indigence importune

Eût troublé leur silence, ou caché leurs talens.

Mais en vain tu fuyois la Gloire:

La Renommée et la Victoire

Vinrent dans tes déserts se choisir des héros,
Mieux formés par tes loix stoïques

Aux vertus, aux faits héroïques,

Que parmi la noblesse et l'orgueil des faisceaux.

Pour Mars tu formois loin des villes
Les Fabrices et les Camilles,

Et ces sages vainqueurs, philosophes guerriers,
Qui, du char de la dictature
Descendant à l'agriculture,

Sur tes secrets autels rapportoient leurs lauriers.

Trop heureux, Déïté paisible

Le mortel sagement sensible

Qui jamais loin de toi n'a porté ses desirs!
Par sa douce mélancolie,

Sauvé de l'humaine folie

Dans la vérité seule il cherche ses plaisirs.

Ignoré de la multitude;

Libre de toute servitude

Il n'envia jamais les grands biens, les grands noms: Il n'ignore point que la foudre

A plus souvent réduit en poudre

Le pin des monts altiers, que l'ormeau des vallons.

Sourd aux censures populaires,

Il ne craint point les yeux vulgaires, Son oeil perce au-delà de leur foible horison: Quelques bruits que la foule en sème,

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Il est satisfait de lui-même,

S'il a su mériter l'aveu de la raison,

Il rit du sort, quand les conquêtes
Promenent de têtes en têtes

Les couronnes du nord, ou celles du midi;
Rien n'altère sa paix profonde,

Et les derniers instans du monde
N'épouvanteroient point son coeur encore hardi.

Amitié, charmante Immortelle,
Tu choisis à ce coeur fidèle

Peu d'amis, mais constans, vertueux comme lui:
Tu ne crains point que le caprice,

Que l'intérêt les désunisse,

Ou verse sur leurs jours les poisons de l'ennui,

Ami des frugales demeures,
Sommeil, pendant les sombres heures,
Tu répands sur ses yeux tes songes favoris;
Ecartant ces songes funèbres

Qui, parmi l'effroi des ténèbres,

Vont réveiller les grands sous les riches lambris.

C'est pour ce bonheur légitime
Que le modeste Abdolonyme
N'acceptoit qu'à regret le sceptre de Sidon;
Plus libre dans un sort champêtre,

Et plus heureux qu'il ne sut l'être
Sur le trône éclatant des ayeux de Didon. *)

C'est par ces vertus pacifiques,

Par ces plaisirs philosophiques,

Que tu sais, cher R***, remplir d'utiles jours
Dans ce Tivoli solitaire,

Où le Cher **) de son onde claire
Vient à l'aimable Loire associer le cours.

Fidèle à ce sage systême,

Là, dans l'étude de toi-même,

Chaque soleil te voit occuper tes loisirs:
Dans le brillant fracas du monde,

aus

*) Alexander der Grofse nahm die Herrschaft über Sidon dem Straton und übergab sie dem Aldolonymus, der zwar königlichem Geblüte stammte, bisher aber vom Throne entfernt, in der Einsamkeit und bey ländlichen Beschäftigungen seine Tage verlebt hatte. Dido, die nachmals Karthago gründete, war die Tochter des Belus, Königs der Phönizier, deren alte Hauptstadt Sidon hiefs. **) Cher, ein kleiner Flufs in Frankreich, der sich unterhalb Tours in die Loire ergiefst.

1

Ton nom, ta probité profonde

T'eût donné plus d'éclat, mais moins de vrais plaisirs.

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Chant premier.

Vous, près de qui les Graces solitaires
Brillent sans fard, et règnent sans fierté;
Vous, dont l'esprit, né pour la vérité,
Sait allier à des vertus austères
Le goût, les ris, l'aimable liberté;
Puisqu'à vos yeux vous voulez que je trace
D'un noble Oiseau la touchante disgrace,
Soyez ma Muse, échauffez mes accens,
Et prêtez-moi ces sons intéressans,
Ces tendres sons que forma votre lyre,
Lorsque Sultane,*) au printemps de ses jours,
Fut enlevée à vos tristes amours,

Et descendit au ténébreux Empire:
De mon Héros les illustres malheurs,
Peuvent aussi se promettre vos pleurs:
Sur sa vertu, par le sort traversée,
Sur son voyage et ses longues erreurs,
On auroit pu faire une autre Odyssée,
Et par vingt chants endormir les lecteurs:
On auroit pu, des fables surannées,
Ressusciter les Diables et les Dieux;

Des faits d'un mois, occuper des années;
Et, sur des tons d'un sublime ennuyeux,
Psalmodier la course infortunée
D'un Perroquet, non moins brillant qu'Enée,
Non moins dévot, plus malheureux que lui.
Mais trop de vers entraînent trop d'ennui.
Les Muses sont des abeilles volages:

Leur goût, voltige, il fuit les longs ouvrages;

Et ne prenant que la fleur d'un sujet,

Vole bientôt sur un nouvel objet.
Dans vos leçons j'ai puisé ces maximes;
Puissent vos loix se lire 'dans mes rimes!

*) Epagneule.

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