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mon seul amour que je prétends, auprès de vous, mériter quelque chose: et, quant aux scrupules que vous avez, votre père lui-même ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde: et l'excès de son avarice, et la manière austère dont il vit avec ses enfans, pourroient autoriser des choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce chapitre, on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes parens, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attends des nouvelles avec impatience; et j'en irai chercher moi-même, si elles tardent à venir.

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Elise. Ah! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie, et songez seulement à vous bien mettre dans l'esprit de mon père. Valère. Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il m'a fallu mettre en usage, pour m' m'introduire à son service: sous quel masque de sympathie, et de rapports de sentimens je me déguise pour lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afiu d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables, et j'éprouve que, pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voye, que de se parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance, *) et la manière dont on les joue a beau être visible, les plus fins sont toujours de grandes dupes du côté de la flatterie, et il n'y a rien de si impertinent et de si ridicule, qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on l'assaisonne en louanges. La sincérité souffre un peu au métier que je fais, mais, quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster à eux, et puis

qu'on ne sauroit les gagner que par-lå, ce n'est pas la faute

de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.

Elise. Mais que ne tâchez-vous aussi à gagner l'appui de mon frère, en cas que la servante s'avisât de révéler notre

secret?

Valère. On ne peut pas ménager l'un et l'autre **), et l'esprit du père et celui du fils sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez auprès de votre frère, et ser

*) Nämlich!! man darf sich eben nicht fürchten, dafs man die Gefälligkeit übertreibe. **) Man kann nicht beide zu

Freunden haben.

vez-vous de l'amitié qui est entre vous deux, pour le jetter dans nos intérêts. il vient. Je, me retire. Prenez ce temps pour lui parler, et ne lui découvrez de notre affaire que ce que vous jugerez à propos.

Elise. je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence.

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Cléante.

Je

e suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur, et je brûlois de vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret. Elise. Me voilà prête à vous ouir, mon frère. Qu'avezvous à me dire?

Cléante Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot. J'aime.

Elise. Vous aimez?

Cléante. Óui, j'aime. Mais, avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends d'un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés; que nous ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont nous tenons le jour; que le Ciel les a faits les maîtres des nos voeux, *) et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur conduite; **) que, n'étant prévenus, d'aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous, et de voir beaucoup mieux ce que nous est propre; qu'il en faur plûtôt croire les lumières de leur prudence que l'aveuglement de notre passion; et que l'emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices fàcheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire; car enfin mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.

Elise. Vous êtes-vous engagé, mon frère, avec celle que vous aimez?

Cléante. Non, mais j'y suis résolu, et je vous conjure, encore une fois, de ne me point apporter de raisons pour m'en dissuader.

*) Voeux hier: eheliche Verbindungen. **) Und dafs es uns geboten ist, nicht anders als unter ihrer Leitung darüber (über unsere Wünsche) zu verfügen.

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Elise. Suis-je, mon frère, une si étrange personne?

Cléante. Non, ma soeur, mais vous n'aimez pas. Vous ignorez la douce violence qu'un tendre amour fait sur nos coeurs, et j'appréhende votre sagesse.

Elise. Hélas! Mon frère, ne parlons point de sagesse. Il n'est personne qui n'en manque, du moins une fois en sa vie; et, si je vous ouvre mon coeur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous.

Cléante. Ah! Plût au Ciel, que votre ame comme la

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Elise. Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous aimez.

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Cléante. Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble être faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voyent. La nature, ma soeur, n'a rien formé de plus aimable: je me sentis transporté, dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit sous la conduite d'une bonne femme de mère qui est presque toujours malade, et pour qui cette aimable fille a des sentimens d'amitié qui ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint, et la console avec une tendresse qui vous toucheroit l'ame. Elle se prend d'un air le plus charmant du monde aux choses qu'elle fait; et l'on voit briller mille graces en toutes ses actions, une douceur pleine d'attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une ... Ah! Ma soeur, je voudrois que vous l'eus

siez vue.

Elise. J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites; et, pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez.

Cléante. J'ai découvert, sous main, qu'elles ne sont pas fort accommodées, *) et que leur discrête conduite a de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma soeur, quelle joye ce peut être, que de relever la fortune d'une personne que l'on aime, que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes nécessités d'une vertueuse famille; et concevez quel déplaisir ce m'est de voir que, par l'avarice d'un père, je sois dans l'impuissance de goûter cette joye, et de faire éclater **) à cette belle aucun témoignage de mon amour,

*) Fort à l'aise. **) Öffentliche Beweise geben.

Elise. Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin.

Cleante. Ah! Ma soeur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car, enfin, peut-on rien voir de plus cruel, que cette rigoureuse épargne qu'on exerce sur nous, que cette sécheresse *) étrange où l'on nous fait languir? Hé que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir; et si, pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage **) de tous côtés; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours les secours des marchands. pour avoir moyen de porter des habits raisonnables? ***) Enfin, j'ai voulu vous parler, pour m'aider à sonder mon père sur les sentimens où je suis; et, si je l'y trouve contraire j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne, jour de la fo tune que le Ciel voudra nous offrir. Je fais chercher par-tout, pour ce dessein, de l'argent à emprunter; et si vos affaires, ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faill que notre père s'oppose à nos dèsirs, nous le quitterons - là tous deux, et nous affranchirons de cette tyran. nie, où nous tient, depuis si long-temps, son avarice insupportable.

Elise. Il est bien vrai que tous les jours il nous donne, de plus en plus, sujet de regretter la mort de notre mère;

et que

...

un peu

Cléante. J'entends sa voix. Eloignons-nous pour achever notre confidence, et nous joindrons après nos forces, pour venir attaquer la dureté de son humeur.

SCENE III.

HARPAGON, LA FLÈCHE.

Harpagon. Hors d'ici, tout à l'heure, et qu'on ne replique pas. Allons, que l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence.

La Flèche (a part). Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard; et je pense, sauf correction,†) qu'il a le diable au corps.

*) Mangel. **) Schulden machen. ***) Anständige Kleider. † Mit Erlaubnifs zu sagen.

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Harpagon. Tu murmures entre tes dents?
La Flèche. Pourquoi me chassez-vous?

Harpagon. C'est bien à toi, pendard, à me demander des raisons. Sors vîte, que je ne t'assomme.

La Flèche. Qu'est-ce que je vous ai fait?

Harpagon. Tu m'as fait, que je veux que tu sortes., La Flèche. Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre.

Harpagon. Va-t-en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je .ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes tions, dévorent ce que je possède, et furetent de tous côtés, pour voir s'il n'y a rien à voler,

ac

La Flèche. Comment diantre voulez vous qu'on fasse pour vous voler? Etes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit?

pas

de mes

Harpagon. Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà mouchards, qui prennent garde à ce qu'on fait. (bas à part)' Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon ar gent. (haut) Ne serois-tu point homme à faire courir le bruit que j'ai chez moi de l'argent caché?

La Flèche. Vous avez de l'argent caché?

Harpagon. Non, coquin, je ne dis pas cela (bas à part) J'enrage. (haut) Je demande si, malicieusement, tu n'irois point faire courir le bruit que j'en ai?

La Flèche. Hé, que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si c'est pour nous la même chose.

Harpagon. (levant la main pour donner un soufflet à la Flèche) Tu fais le raisonneur? Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. Sors d'ici encore une fois.

La Flèche. Hé bien, je sors.

Harpagon. Attends. Ne m'emportes-tu rien?

La Flèche. Que vous emporterois - je?

Harpagon. Vien ça que je voie. Montre-moi tes mains.

La Flèche. Les voilà.
Harpagon. Les autres.
La Fléchè. Les autres?
Harpagon, Oui,

La Flèche. Les voilà

Harpa

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