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Le lendemain, premier août, Henri III, à son lever, instruit qu'un religieux, chargé de quelques dépêches des prisonniers de Paris, demandoit à lui parler, ordonne qu'on le fasse entrer, s'avance vers lui, prend ses lettres; et, dans le moment qu'il les lisoit attentivement, l'assassin tire un couteau de sa manche et le lui plonge dans le ventre. Henri blessé s'écrie, retire luimême le couteau et en frappe le scélérat au visage. Aussitôt les gentilshommes présents, entraînés par un zéle inconsidéré, mettent en pièces le meurtrier, et enlévent par sa mort le moyen de connoître ses com

plices (1).

Quelques symtômes favorables firent d'abord conjecturer que la blessure ne seroit pas dangereuse, et on l'écrivit ainsi, par ordre du roi, à tous les gouverneurs de provinces, mais dès le soir elle fut jugée mortelle. Henri montra à sa dernière heure les dispositions les plus chrétiennes; il se confessa, demanda l'absolution des censures renfermées dans le monitoire du reçut la communion.

pape, et

Quand il eut mis ordre aux affaires de sa conscience, il fit ouvrir les portes de sa chambre. Autour de son lit se rangèrent les principaux seigneurs du royaume. Il leur dit que sa seule peine, en mourant, étoit de laisser la France dans un si triste état; qu'il avoit appris dès l'enfance, à l'école de Jesus-Christ, à pardonner, et qu'il ne desiroit pas qu'on vengeât sa mort. Il exhorta ensuite tous les assistants à reconnoître après lui le roi de Navarre. Il dit que lui seul avoit droit au trône, qu'il

(1) Mémoires d'Auvergne.

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ne falloit pas s'arrêter à la différence de religion; que ce prince, d'un naturel franc et sincère, rentreroit tôt ou tard dans l'église. Puis, le faisant approcher, il jeta ses bras à son cou, le tint long-temps pressé contre son sein, les yeux levés au ciel, comme s'il eût prié pour lui, et lui dit : « Soyez certain, mon cher beau-frère, << que jamais vous ne serez roi de France si vous ne * vous faites catholique. »

A cette scène attendrissante, toute l'assemblée fondit en larmes; on n'entendoit que soupirs et sanglots. Henri, roi foible sans doute, mais bon ami, excellent maître, étoit chéri comme un père par tous ceux qui l'approchoient. Il fallut une malice aussi profonde que celle des chefs de la ligue pour le faire détester de ses peuples. On a vu dans le cours de l'histoire comment des défauts qui auroient été sans conséquence dans un particulier chargèrent de la haine publique un monarque digne d'être adoré de son peuple. Toutes ses actions, mal interprétées, prirent, aux yeux du plus grand nombre de ses sujets, la couleur que vouloient lui donner ses ennemis. On ne vit dans ses dévotions que leur bizarrerie; dans ses libéralités, que leur profusion; dans sa patience, qu'un excès de timidité; dans sa politique, trop circonspecte, que de la fraude et de la mauvaise foi. On commença par le mépriser, et l'on finit par le haïr.

Mais, au moment d'une mort si tragique, la pitié effaça le souvenir de ses défauts. On ne se souvint plus que de ses vertus. Sa bonté sur-tout, son affabilité, cette douceur qui ouvroit si aisément son ame aux épanchements de la confiance et de l'amitié, sa bien

faisance naturelle, et ses autres qualités estimables le firent regretter sincèrement. Henri eut la consolation de voir couler pour lui des larmes véritables. Il expira le 2 août, âgé de trente-huit ans, entre les bras de ses serviteurs, persuadé par leurs regrets que ses fautes ne lui avoient pas enlevé tous les cœurs,

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FIN DU CINQUIÈME VOLUME.

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