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ses rapports, et par un violent ébranlement ne l'aide à retrouver une bonne assiette. Toutes ses habitudes étant rompues et toutes ses passions modifiées, dans ce bouleversement général, on reprend quelquefois son caractère primitif, et l'on devient comme un nouvel être sorti récemment des mains de la nature. Alors le souvenir de sa première bassesse, peut servir de préservatif contre une rechute. Hier on était abject et faible, aujourd'hui l'on est fort et magnanime. En se contemplant de si près dans deux états si différens, on en sent mieux le prix de celui où l'on est remonté : et l'on en devient plus attentif à s'y soutenir.

La jouissance de la vertu est toute intérieure, et ne s'aperçoit que par celui qui la sent: mais tous les avantages du vice frappent les yeux d'autrui, et il n'y a que celui qui les a qui sache ce qu'ils lui coûtent. C'est peut-être là la clef des faux jugemens des hommes sur les avantages du vice et sur ceux de la vertu.

Il n'y a que des ames de feu qui sachent combattre et vaincre. Tous les grands efforts, toutes les actions sublimes sont leur ouvrage; la froide raison n'a jamais rien fait d'illustre, et l'on ne triomphe des passions qu'en les opposant l'une à l'autre. Quand celle de la vertu vient à s'élever, elle domine seule, et tient tout en équilibre: voilà comme se forme le vrai sage, qui n'est pas plus qu'un autre à l'abri des passions, mais qui seul sait les vaincre par elles-mêmes, comme un pilote fait route par les mauvais vents.

La vertu est un état de guerre, et pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi.

Si la vie est courte pour le plaisir, qu'elle est longue pour la vertu ! il faut être incessamment sur ses gardes. L'instant de jouir passe et ne revient plus; celui de mal faire passe et revient sans cesse: on s'ou blie un moment, et l'on est perdu.

La fausse honte et la crainte du blâme inspirent plus de mauvaises actions que de bonnes, mais la vertu ne sait rougir que de ce qui est mal.

L'homme de bien porte avec plaisir le doux fardeau d'une vie utile à ses semblables. il sent ce que la vaine sagesse des méchans n'a jamais pu croire; qu'il est un bonheur réservé dès ce monde aux seuls amis de la vertu.

Il vaut mieux déroger à la noblesse qu'à la vertu, et la femme d'un charbonnier est plus respectable que la maîtresse d'un prince.

On a dit "qu'il n'y avait point de héros pour son valet de chambre:" cela peut être; mais l'homme juste a l'estime de son valet, ce qui montre assez que l'héroïsme n'a qu'une vaine apparence, et qu'il n'y a rien de solide que la vertu.

Charme inconcevable de la beauté qui ne périt point! Ce ne sont point les vicieux au faîte des honneurs, dans le sein des plaisirs, qui font envie; ce sont les vertueux infortunés, et l'on sent au fond de son cœur la félicité réelle que couvraient leurs maux apparens. Ce sentiment est commun à tous les hommes, et souvent même en dépit d'eux. Ce divin modèle que chacun de nous porte avec lui, nous enchante malgré que nous en ayons; sitôt que la passion nous permet de le voir, nous

lui voulons ressembler, et si le plus méchant des hommes pouvait être un autre qui lui-même, il voudrait être un homme de bien.

Les vertus privées sont souvent d'autant plus sublimes, qu'elles n'aspirent point à l'approbation d'autrui, mais seulement au bon témoignage de soi-même; et la conscience du juste lui tient lieu des louanges de l'univers.

La félicité est la fortune du sage, et il n'y en a point sans vertu. J. J. Rousseau.

Du Courage.

Le vrai courage est une des qualités qui supposent le plus de grandeur d'ame. J'en remarque beaucoup de sortes: un courage contre la fortune, qui est philosophie; un courage contre les misères, qui est patience; un courage à la guerre, qui est valeur; un courage dans les entreprises, qui est hardiesse; un courage fier et téméraire, qui est audace; un courage contre l'injustice, qui est fermeté; un courage contre le vice, qui est sévérité; un courage de réflexion, de tempérament,

&c.

Il n'est pas ordinaire qu'un même homme assemble tant de qualités. Octave, dans le plan de sa fortune, élevée sur des précipices, bravait des périls éminens; mais la mort présente à la guerre ébranlait son ame. Un nombre innombrable de Romains, qui n'avaient jamais craint la mort dans les battailles, manquaient de cet autre courage, qui soumit la terre à Auguste.

On ne trouve pas seulement plusieurs sortes de courages, mais dans le même courage bien des inégalités. Brutus, qui eut la hardiesse d'attaquer la fortune de César, n'eut pas la force de suivre la sienne; il avait formé le dessein de détruire la tyrannie avec les ressources de son seul courage, et il eut la faiblesse de l'abandonner avec toutes les forces du peuple Romain: faute de cette égalité de force et de sentiment, qui surmonte les obstacles et la lenteur des succès.

Je voudrais pouvoir parcourir ainsi en détail toutes les qualités bumaines: un travail si lõng ne peut manquer de m'arrêter. Je terminerai cet écrit par de courtes définitions.

Observons néanmoins encore que la petitesse est la source d'un nombre incroyable de vices; de l'inconstance, de la légèreté, la vanité, l'envie, l'avarice, la bassesse, &c. elle rétrécit notre esprit autant que la grandeur d'ame l'élargit; mais elle est malheureusement inséparable de l'humanité, et il n'y a point d'ame si forte, qui en soit tout-à-fait exempte. Je suis mon dessein.

La probité est un attachement à toutes les lois civiles.

La droiture est une habitude des sentiers de la vertu.

L'équité peut se définir par l'amour de l'égalité : l'intégrité paraît une équité sans tache, et la justice une équité pratique.

La noblesse est la préférence de l'honneur à l'intérêt: la bassesse, la préférence de l'intérêt à l'honneur.

L'intérêt est la fiu de l'amour propre: la générosité en est le sacrifice. La méchanceté suppose un goût à faire le mal: la malignité, une méchanceté cachée: la noirceur, une malignité profonde.

L'insensibilitié, à la vue des misères, peut s'appeler dureté; s'il y entre du plaisir, c'est cruauté. La sincérité me paraît l'expression de la vérité; la franchise, une sincérité sans voile; la candeur, une sincérité douce; l'ingénuité, une sincérité innocente; l'innocence, une pureté sans tache.

L'imposture est le manque de la vérité; la fausseté, une imposture naturelle; la dissimulation, une imposture réfléchie; la fourberie, une imposture qui veut nuire; la duplicité, une imposture qui a deux faces.

La libéralité est une branche de la générosité; la bonté, un goût à faire du bien, et à pardonner le mal; la clémence, une bonté envers nos ennemis.

La simplicité nous présente l'image de la vérité et de la liberté.

L'affectation est le dehors de la contrainte et du mensonge; la fidélité n'est qu'un respect pour nos engagemens; l'infidélité, une dérogeance; la perfidie, une infidélité couverte et criminelle.

La bonne foi est une fidélité sans défiance et sans artifice.

La force d'esprit est le triomphe de la réflexion; c'est un instinct. supérieur aux passions, qui les calme ou qui les possède: on ne peut pas savoir d'un homme qui n'a pas les passions ardentes, s'il a de la force d'esprit; il n'a jamais été dans des épreuves assez difficiles.

La modération est l'état d'une ame qui se possède; elle naît d'une espèce de médiocrité dans les désirs, et de satisfaction dans les pensées, qui dispose aux vertus civiles.

L'immodération, au contraire, est une ardeur inaltérable et sans délicatesse, qui mène quelquefois à de grands vices.

La tempérance n'est qu'une modération dans les plaisirs, et l'intempérance, au contraire.

L'humeur est une inégalité qui dispose à l'impatience; la complaisance est une volonté flexible; la douceur, un fonds de complaisance et de bonté.

La brutalité est une disposition à la colère et à la grossièreté; l'irrésolution, une timidité à entreprendre; l'incertitude, une irrésolution à croire; la perplexité, une irrésolution inquiète.

La prudence, une prévoyance raisonnable; l'imprudence, tout au contraire.

L'activité naît d'une force inquiète: la paresse, d'que impuissance paisible.

La mollesse est une paresse voluptueuse.

L'austérité est une haîne des plaisirs; et la sévérité, des vices.

La solidité, une consistance et une égalité d'esprit; la légèreté, un défaut d'assiette et d'uniformité de passions ou d'idées.

La constance, une fermeté raisonnable dans nos sentimens; l'opiniâtreté, une fermeté déraisonnable; la pudeur, un sentiment de la diffor¬ mité du vice, et du mépris qui le suit.

La sagesse, la connaissance et l'affection du vrai bien; l'humilité, un sentiment de notre bassesse devant Dieu; la charité, un zèle de religion pour le prochain; la grâce, une impulsion surnaturelle vers le bien. Vauvenargues. Connaissance de l'Esprit Humain.

Louis XI. et le Cardinal Bessarion.

Un savant n'est pas propre pour gouverner; mais il vaut encore mieux qu'un bel esprit, qui ne peut souffrir ni la justice ni la bonne foi.

Louis XI. Bon jour, monsieur le cardinal. Je vous recevrai aujourd'hui plus civilement que quand vous vîntes me voir de la part du pape. Le cérémonial ne peut plus nous brouiller: toutes les ombres sont ici pêle-mêle et incognito; les rangs sont confondus.

Le C. Bessarion. J'avoue que je n'ai pas encore oublié votre injustice, quand vous me prîtes par la barbe, dès le commencement de ma harangue.

Louis. Cette barbe Grecque me surprit; et je voulais couper court pour la barangue, qui eût été longue et superflue.

Le C. Pourquoi cela? ma harangue était des plus belles; je l'avais composée sur le modèle d'Isocrate, de Lysias, d'Hypéridès, et de Périclès.

Louis. Je ne connais point tous ces messieurs-là. Vous aviez été voir le duc de Bourgogne mon vassal, avant que de venir chez moi, Il aurait bien mieux valu ne lire pas tant vos vieux auteurs, et savoir mieux les règles du siècle présent. Vous vous conduisites comme un pédant qui n'a aucune connaissance du monde.

Le C. J'avais pourtant étudié à fond les lois de Dracon, celles de Lycurgue et de Solon, les lois et la république de Platon, tout ce qui nous reste des anciens orateurs qui ont gouverné les peuples, enfin les meilleurs scoliastes d'Homère, qui ont parlé de la police d'une république.

Louis. Et moi, je n'ai jamais rien lu de tout cela; mais je sais qu'il ne fallait pas qu'un cardinal envoyé par le pape pour faire rentrer le duc de Bourgogne dans mes bonnes grâces, allât le voir avant que de venir chez moi.

Le C. J'avais cru pouvoir suivre l'Usteron Protèron des Grecs; je savais même, par la philosophie, que ce qui est le premier quant à l'intention, est le dernier quant à l'exécution.

Louis. Oh! laissons-là votre philosophie: venons au fait.

Le C. Je vois en vous toute la barbarie des Latins, chez qui la Grèce désolée, après la prise de Constantinople, essaya en vain de défricher l'esprit et les lettres.

Louis. L'esprit ne consiste que dans le bon sens, et point dans le Grec: la raison est dans toutes les langues. Il fallait garder l'ordre, et 'mettre le seigneur avant le vassal. Les Grecs, que vous vantez tant, n'étaient que des sots, s'ils ne savaient pas ce que savent les hommes

les plus grossiers. Mais je ne puis m'empêcher de rire, quand je me souviens comment vous voulûtes négocier. Dès que je ne convenais pas de vos maximes, vous ne me donniez pour toute raison que des passages de Sophocle, de Lycophron, et de Pindare. Je ne sais comment j'ai retenu ces noms, dont je n'avais jamais ouï parler qu'à vous; mais je les ai retenus à force d'être choqué de vos citations. Il était question des places de la Somme; et vous me citiez un vers de Ménandre, ou de Callinaque. Je voulais demeurer uni aux Suisses et au duc de Lorraine, contre le duc de Bourgogne, et vous me prouviez par Gorgiaset Platon, que ce n'était pas mon véritable intérêt. Ils s'agissait de savoir si le roi d'Angleterre serait pour ou contre moi ; vous m'alléguiez l'exemple d'Epaminondas. Enfin, vous me consolâtes de n'avoir jamais guère étudié. Je disais en moi-même : heureux celui qui ne sait pas tout ce que les autres on dit, et qui sait un peu ce qu'il faut dire !

Le C. Vous m'étonnez par votre mauvais goût; je croyais que vous aviez bien étudié. On m'avait dit que le roi votre père vous avait donné un assez bon précepteur, et qu'ensuite vous aviez pris plaisir en Flandres, chez le duc de Bourgogne, à faire raisonner tous les jours de la philosophie.

Louis. J'étais encore bien jeune quand je quittai le roi mon père et mon précepteur. Je passai à la cour de Bourgogne, où l'inquiétude et l'ennui me réduisirent à goûter un peu quelques savans: mais j'en fus bientôt dégoûté. Ils étaient pédans, imbécilles comme vous; ils n'entendaient point les affaires; ils ne connaissaient point les différens caractères des hommes; ils ne savaient ni dissimuler, ni se taire, ni s'insinuer, ni entrer dans les passions d'autrui, ni trouver des ressources dans les difficultés, ni deviner les desseins des autres. Ils étaient vains, indiscrets, disputeurs, toujours occupés de mots et de faits inutiles, pleius de subtilités qui ne persuadent personne, incapables d'apprendre à vivre et de se contraindre. Je ne pus souffrir de tels animaux.

Le C. Il est vrai que les savans ne sont pas d'ordinaire trop propres à l'action, parce qu'ils aiment le repos des muses: il est vrai aussi qu'ils ne savent guère se contraindre ni dissimuler, parce qu'ils sont au-dessus des passions grossières des hommes, et de la flatterie que les tyrans demandent.

Louis. Allez, grande barbe, pédant hérissé de Grec; vous perdez le respect qui m'est dû.

Le C. Je ne vous en dois point. Le sage, suivant les stoïciens et toute la secte du portique, est plus roi que vous ne l'avez jamais été par le rang et par la puissance. Vous ne le fûtes jamais comme le sage, par un véritable empire sur vos passions: d'ailleurs, vous n'avez plus qu'une ombre de royauté: d'ombre à ombre, je ne vous cède point. Louis. Voyez l'insolence de ce vieux pédant!

Le C. J'aime encore mieux être pédant, que fourbe et tyran du genre humain. Je n'ai pas fait mourir mon frère; je n'ai pas tenu en prisou mon fils; je n'ai employé ni le poison ni l'assassinat pour me défaire de mes ennemis; je n'ai point eu une vieillesse affreuse, semblable à celle des tyrans que la Grèce a tant détestés. Mais il faut vous

Ꮓ Ꮞ

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