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excuser.

Avec beaucoup de finesse et de vivacité, vous aviez beaucoup de chose d'une tête un peu démontée. Ce n'était pas pour rien que vous étiez fils d'un homme qui s'était laissé mourir de faim, et petit-fils d'un autre qui avait été renfermé tant d'années. Votre fils même n'a la cervelle guère assurée; et ce sera un grand bonheur pour la France, si la couronne passe après lui dans une branche plus sensée. Louis. J'avoue que ma tête n'était pas tout-à-fait bien réglée, J'avais des faiblesses, des visions noires, des emportemens furieux; mais j'avais de la pénétration, du courage, de la ressource dans l'esprit, des talens pour gagner les hommes, et pour accroître mon autorité; je savais fort bien laisser à l'écart un pédant inutile à tout, et découvrir les qualités utiles dans les sujets les plus obscurs. Dans les langueurs même de na dernière maladie, je conservai encore assez de fermeté d'esprit pour travailler à faire une paix avec Maximilien. Il attendait ma mort, et ne cherchait qu'à éluder la conclusion. Par mes émissaires secrets je soulevai les Gantois contre lui: je le réduisis à faire malgré lui un traité de paix avec moi, où il me donnait, pour mon fils, Marguerite sa fille, avec trois provinces. Voilà mon chef-d'œuvre de politique dans ces derniers jours, où l'on me croyait fou. Allez, vieux pédant, allez chercher vos Grecs, qui n'ont jamais su autant de politique que moi: allez chercher vos savans, qui ne savent que lire, et parler de leurs livres; qui ne savent ni agir, ni vivre avec les hommes.

Le C. J'aime encore mieux un savant qui n'est pas propre aux af-. faires et qui ne sait que ce qu'il a lu, qu'un esprit inquiet, artificieux, et entreprenant, qui ne peut souffrir ni la justice, ni la bonne foi, et qui renverse tout le genre humain,

Le Prince de Galles et Richard, son fils.

Caractère d'un prince faible.

Fénélon.

Le P. de Galles. Hélas! mon cher fils! je te vois avec douleur ; j'espérais pour toi une vie plus longue, et un règne plus heureux. Qu'est-ce qui a rendu ta mort si prompte? N'as-tu point fait la même faute que moi, en ruinant ta santé par un excès de travail dans la guerre contre la France?

Richard. Non, mon père, ma santé n'a point manqué. D'autres malheurs ont fini ma vie.

Le P. Quoi donc! quelque traître a-t-il trempé ses mains dans ton sang? Si cela est, l'Angleterre, qui ne m'a pas oublié, vengera ta mort. Rich. Hélas! mon père, toute l'Angleterre a été de concert pour me déshonorer, pour me dégrader, pour me faire périr.

Le P. O Ciel! qui l'aurait pu croire! A qui se fier désormais! Mais, qu'as-tu donc fait, mon fils? n'as-tu point de tort? dis la vérité à ton père.

Rich. A mon père! ils disent que vous ne l'êtes pas, et que je suiș le fils d'un chanoine de Bordeaux.

Le P. C'est de quoi personne ne peut répondre: mais je ne saurais le croire. Ce n'est pas la conduite de ta mère qui leur donne cette pensée: mais n'est-ce point la tienne qui leur fait tenir ce discours?

Rich. Ils disent que je prie Dieu comme un chanoine, que je ne sais ni conserver l'autorité sur les peuples, ni exercer la justice, ni faire la guerre.

Le P. O mon enfant! tout cela est-il vrai? Il aurait mieux valu pour toi, passer ta vie moine à Westminster, que d'être sur le trône avec tant de mépris.

Rich. J'ai eu de bonnes intentions, j'ai donné de bons exemples, j'ai eu même quelquefois assez de rigueur. Par exemple, je fis enlever et exécuter le duc de Glocester, mou oncle, qui ralliait tous les mécontens contre moi, et qui m'aurait détrôné si je ne l'eusse prévenu.

Le P. Ce coup était hardi et peut-être nécessaire; car je connaissais bien mon frère, qui était dissimulé, artificieux, entrèprenant, ennemi de l'autorité légitime, propre à rallier une cabale dangereuse. Mais, mon fils, ne lui avais-tu donné aucune prise sur toi? D'ailleurs, ce coup était-il assez mesuré? l'as-tu bien soutenu?

Rich, Le duc de Glocester m'accusait d'être trop uni avec les Fran. çais, ennemis de notre nation. Mon mariage avec la fille de Charles VI. roi de France, servit au duc à éloigner de moi les cœurs des Anglais.

Le P. Quoi, mon fils! tu t'es rendu suspect aux tiens, par une alliance avec les ennemis irréconciliables de l'Angleterre? Et que t'ont-ils donné par ce mariage? As-tu joint le Poitou et la Touraine à la Guienne, pour unir tous nos états de France jusqu'à la Normandie.

Rich. Nullement: mais j'ai cru qu'il était bon d'avoir hors de l'Angleterre un appui contre les Anglais factieux.

Le P. O malheur de l'état! ô déshonneur de la maison royale! Tu vas mendier le secours de tes ennemis, qui auront toujours un intérêt capital de rabaisser ta puissance. Tu veux affermir ton règne en prenant des intérêts contraires à la grandeur de ta propre nation. Tu ne te contentes pas d'être aimé de tes sujets: tu veux en être craint comine leur ennemi, qui s'entend avec les étrangers pour les opprimer. Hélas! que sont devenus ces beaux jours où je mis en fuite le roi de France dans les plaines de Crécy, inondées du sang de trente mille Français, et où je pris un autre roi de cette nation, aux portes de Poitiers! Oh, que les temps sont changés! Non, je ne m'étonne plus qu'on t'ait pris pour le fils d'un chanoine. Mais qui est-ce qui t'a détrôné? Rich. Le comte de Derby.

Le P. Comment! a-t-il assemblé une armée? a-t-il gagné une bataille?

Rich. Rien de tout cela. Il était en France à cause d'une querelle avec le grand maréchal, pour laquelle je l'avais chassé : l'archevêque de Canterbury y passa secrètement, pour l'inviter à entrer dans une conspiration. Il passa par la Bretagne, arriva à Londres, pendant que je n'y étais pas, et trouva le peuple prêt à se soulever. La plupart des mutins prirent les armes; leurs troupes montèrent jusqu'à soixante mille hommes; tout m'abandonna: le comte vint me trouver dans un

château où je me renfermai. Il eut l'audace d'y entrer presque seul! je pouvais alors le faire périr.

Le P. Pourquoi ne le fis-tu pas, malheureux ?

Rich. Les peuples que je voyais de toutes parts armés dans la campagne m'auraient massacré.

Le P. Et ne valait-il pas mieux mourir en homme de courage? Rich. Il y eut d'ailleurs un présage qui me découragea.

Le P. Qu'était-ce?

Rich. Ma chienne, qui n'avait jamais voulu caresser que moi seul, me quitta d'abord pour aller caresser le comte. Je vis bien ce que cela signifiait, et je le dis au comte même.

Le P. Voilà une belle naïveté! Un chien a donc décidé de ton autorité et de ton honneur, de ta vie, et du sort de toute l'Angleterre. Alors que fis-tu?

Rich. Je priai le comte de me mettre en sureté, contre la fureur de ce peuple.

Le P. Hélas! il ne te manquait plus que de demander lâchement la vie à l'usurpateur. Te la donna-t-il au moins?

Rich. Oui, d'abord. Il me renferma dans la tour, où j'aurais vécu assez doucement: mais mes amis me firent plus de mal que mes ennemis. Ils voulurent se rallier pour me tirer de captivité, et pour renverser l'usurpateur. Alors il se défit de moi, malgré lui; car il n'avait pas envie de se rendre coupable de ma mort.

Le P. Voilà un malheur complet. Mon fils est faible et inégal: sa vertu mal soutenue le rend méprisable: Il s'allie avec ses ennemis, et soulève ses sujets: il ne prévoit point l'orage: il se décourage dès qu'il est attaqué: il perd les occasions de punir l'usurpateur: il demande lâchement la vie, et ne l'obtient pas. O ciel! vous vous jouez de la gloire des princes et de la prospérité des états. Voilà le petitfils d'Edouard qui a vaincu Philippe et ravagé son royaume! voilà mon fils, de moi, qui ai pris le roi Jean, et fait trembler la France et l'Espagne !

Un Seigneur et un Villageois.

Fénélon.

Le Bonheur Champêtre.

Le Seig. Dieu vous garde, bon homme! vous êtes bien gai!

Le Vil. Comme de coutume.

Le Seig. J'en suis bien aise; cela prouve que vous êtes content de votre état.

Le Vil. Jusqu'à présent j'ai lieu de l'être.

Le Seig. Etes-vous marié ?

Le Vil. Oui, grâce au ciel.

Le Seig. Avez-vous des enfans?

Le Vil. J'en avais cinq: j'en ai perdu un, mais ce malheur peut se

réparer.

Le Seig. Votre femme est jeune ?

Le Vil. Elle a vingt-cinq ans.

Le Seig. Est-elle jolie?

Le Vil. Elle l'est pour moi; mais elle est mieux que jolie, elle est bonne.

Le Seig. Et vous l'aimez ?

Le Vil. Si je l'aime! eh! qui ne l'aimerait pas?

Le Seig. Et vos enfans, viennent-ils bien?

Le Vil. Ah! c'est un plaisir. L'aîné n'a que cinq ans ; il a déjà plus d'esprit que son père! et mes deux filles! c'est cela qui est charinant. Le dernier tette encore: mais le petit compère sera robuste et vigoureux. Croiriez-vous bien qu'il bat ses sœurs, quand elles veulent baiser leur mère? il a toujours peur qu'on ne vienne le détacher du teton.

Le Seig. Tout cela est donc bien heureux ?

Le Vil. Heureux! je le crois. Il faut voir la joie quand je reviens du labourage. On dirait qu'ils ne m'ont pas vu d'un an: je ne sais auquel entendre. Ma femme est à mon cou, mes filles dans mes bras, mon aîné me saisit les jambes; il n'y a pas jusqu'au petit Jeannot, qui, se roulant sur le lit de sa mère, ne me tende ses petites mains, et moi je ris, et je pleure, et je les baise, car tout cela m'attendrit.

Le Seig. Je le crois.

Le Vil. Vous devez le sentir, car sans doute vous êtes père.
Le Seig. Je n'ai pas ce bonheur.

Le Vil. Tant pis: il n'y a que cela de bon.

Le Seig. Et comment vivez-vous?

Le Vil. Fort bien. D'excellent pain, de bon laitage, et du fruit de notre verger. Ma femme, avec un peu de lard, fait une soupe aux choux, dont le roi mangerait. Nous avons encore les œufs de nos poules, et le Dimanche nous nous régalons, et nous buvons un petit coup de vin.

Le Seig. Oui, mais quand l'année est mauvaise?

Le Vil. On s'y est attendu, et l'on vit doucement de ce que l'on a épargné dans la bonne.

Le Seig. Il y a encore la rigueur du temps, le froid, la pluie, les chaleurs que vous avez à soutenir.

Le Vil. On s'y accoutume; et si vous saviez quel plaisir on a de venir le soir respirer le frais après un jour d'été, ou l'hiver, se dégourdir les mains au feu d'une bonne bourrée entre sa femme et ses enfans! Et puis on soupe de bon appétit, et on se couche; et croyezvous qu'on se souvienne du mauvais temps? Allez, monsieur, il y a bien du monde qui ne vit pas aussi content que nous.

Le Seig. Et les impôts?

Le Vil. Nous les payons gaiement; il le faut bien. Tout le pays ne peut pas être noble. Celui qui nous gouverne, et celui qui nous juge ne peuvent pas venir labourer. Ils font notre besogne, et nous fesons la leur. Chaque état, comme on dit, a ses peines.

Le Seig. Quelle équité! qu'ils sont heureux !

Marmontel.

NARRATIONS, TABLEAUX, &c.

Soyez vif et pressé dans vos narrations;
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.

Les Bords du Meschacebé, ou Missisippi.

BOILEAU.

LE Meschacebé*, dans un cours de plus de mille lieues, arrose une délicieuse contrée, que les habitans des Etats-Unis appellent le nouvel Eden, et à qui les Français ont laissé le doux nom de Louisiane. Mille autres fleuves, tributaires du Meschacebé, le Missouri, l'Illinois, l'Akanza, l'Ohio, le Wabache, le Tenase, l'engraissent de leur limon, et Ja fertilisent de leurs eaux. Quand tous ces fleuves se sont gonflés des déluges de l'hiver; quand les tempêtes out abattu des pans entiers de forêts, le temps assemble, sur toutes les sources, les arbres déracinés. Il les unit avec des lianes, il les cimente avec des vases, il y plante de jeunes arbrisseaux, et lance son ouvrage sur les ondes. Charriés par les vagues écumantes, ces radeaux descendent de toutes parts au Meschacebé. Le vieux fleuve s'en empare, et les pousse à son embouchure, pour y former une nouvelle branche. Par intervalle, il élève sa grande voix en passant sous les monts, et répand ses eaux débordées autour des colonnades des forêts, et des pyramides des tombeaux Indiens: c'est le Nil des déserts. Mais la grâce est toujours unie à la magnificence dans les scènes de la nature; et tandis que le courant du milieu entraîne vers la mer les cadavres des pins et des chênes, on voit sur les deux courans latéraux remonter, le long des rivages, des îles flottantes de Pistia et de Nénuphar, dont les roses jaunes s'élèvent comme de petits pavillons. Des serpens verts, des hérons bleus, des flamans roses, de jeunes crocodiles s'embarquent passagers sur ces vaisseaux de fleurs, et la colonie, déployant au vent ses voiles d'or, va aborder, endormie, dans quelque anse retirée du fleuve.

Les deux rives du Meschacebé présentent le tableau le plus extraordinaire. Sur le bord occidental, des savannes se déroulent à perte de vue; leurs flots de verdure, en s'éloignant, semblent monter dans l'azur du ciel, où ils s'évanouissent. On voit dans ces prairies sans bornes, errer à l'aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. Quelquefois un bison chargé d'années, fendant les flots à la nage, se vient coucher parmi de hautes herbes, dans une île du Meschacebé. A son front orné de deux croissans, à sa barbe antique et limoneuse, vous le prendriez pour le dieu mugissant du fleuve, qui jette un œil satisfait sur la grandeur de ses ondes, et la sauvage abondance de ses rives.

* Vrai nom du Missisippi, vieux père des eaux.

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