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Telle est la scène sur le bord occidental; mais elle change tout-à-coup sur la rive opposée, et forme avec la première un admirable contraste. Suspendus sur le cours des ondes, groupés sur les rochers et sur les montagues, dispersés dans les vallées, des arbres de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les parfums, se mêlent, croissent ensemble, montent dans les airs à des hauteurs qui fatiguent les regards. Les vignes sauvages, les bignouias, les coloquintes, s'entrelacent au pied de ces arbres, escaladent leurs rameaux, grimpent à l'extrémité des branches, s'élancent de l'érable au tulipier, du tulipier à l'alcée, en formant mille grottes. mille voûtes, mille portiques. Souvent égarées, d'arbre en arbre, ces lianes traversent des bras de rivières, sur lesquels elles jettent des ponts et des arches de fleurs. Du sein de ces massifs embaumés, le superbe magnolia élève son cône immobile. Surmonté de ses larges roses blanches, il domine toute la forêt, et n'a d'autre rival que le palmier, qui balance légèrement autour de lui ses éventails de verdure.

Une multitude d'animaux, placés dans ces belles retraites par la main du Créateur, y répandent l'enchantement de la vie. Le l'extrémité des avenues, on aperçoit des ours enivrés de raisins, qui chancelient sur les branches des ormeaux; des troupes de cariboux se baignent dans un lac, des écureuils noirs se jouent dans l'épaisseur des feuillages; des oiseaux moqueurs, des colombes virginiennes, de la grosseur d'un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises; des perroquets verts à tête jaune ; des piverts empourprés, des cardinaux de feu, grim. pent, en circulant, au haut des cyprès; des colibris étincellent sur le jasmin des Florides, et des serpens oiseleurs sifflent suspendus aux dômes des bois, en s'y balançant comme des lianes.

Si tout est silence et repos dans les savannes de l'autre côté du fleuve, tout ici, au contraire, est mouvement et murmure: des coups de bee contre le tronc des chênes, des froissemens d'animaux, qui marchent, broutent, ou broient entre leurs dents les noyaux des fruits; des bruissemens d'ondes, de faibles gémissemens, de sourds meuglemens, de doux roucoulemens, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage harmonie. Mais quand une brise vient à animer toutes ces solitudes, à balancer tous ces corps flottans,, à confondre tontes ces masses de blanc, d'azur, de vert, de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous les murmures; alors il sort de tels bruits du fond des forêts, il se passe de telles choses aux yeux, que j'essaierais en vain de les décrire à ceux qui n'ont pas parcouru ces champs primitifs de la nature. M. de Châteaubriand.

La Cataracte de Niagara.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissemens. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrens

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se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval. Entre les deux chutes, s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait que c'est une colonne d'eau du déAuge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vasté embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, de ́scendant en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendant par leurs longues quenes au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours.

Le même. Génie du Christianisme.

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Le Spectacle d'une Belle Nuit dans les Déserts du Nouveau Monde.

Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres; à l'horizon opposé, une brise embaumée qu'elle amenait de l'orient avec elle, semblait la précéder, comme sa fraîche haleine, dans les forêts. La reine des nuits monte peu-à-peu dans le ciel: tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée; tantôt elle reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d'écume, ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène, sur la terre, n'était pas moins ravissante; le jour bleuâtre et velouté de la lune, descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumières jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour-à-tour se perdait dans les bois, tour-à-tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés, çà et là, dans la savanne, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une iner immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissemens rares et interrompus de la hulotte; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulemens solemnels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines: les plus belles nuits en Europe

ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes: mais dans ces pays déserts, l'ame se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu. Le même. Génie du Christianisme.

Mœurs, Union, Bonheur des Familles dans l'Amérique Septentrionale.

Les mœurs sont ce qu'elles doivent être chez un peuple nouveau, chez un peuple cultivateur, chez un peuple qui n'est ni poli ni corrompu par le séjour des grandes cités. Il règne généralement de l'économie, de la propreté, du bon ordre dans les familles. La galanterie et le jeu, ces passions de l'opulence oisive, altèrent rarement cette heureuse tranquillité. Les femmes sont encore ce qu'elles doivent être, douces, modestes, compatissantes, et secourables; elles ont ces vertus qui perpétuent l'empire de leurs charmes. Les hommes sont occupés de leurs premiers devoirs, du soin et du progrès de leurs plantations, qui seront le soutien de leur postérité. Un sentiment de bienveillance unit toutes les familles. Rien ne contribue à cette union, comme une certaine égalité d'aisance, comme la sécurité qui naît de la propriété, comme l'espérance et la facilité communes d'augmenter ces possessions, comme l'indépendance réciproque où tous les hommes sont pour leurs besoins, jointe au besoin mutuel de société pour leurs plaisirs. A la place du luxe qui traîne la misère à sa suite, au lieu de ce contraste affligeant et hideux, un bien-être universel, réparti sagement par la première distribution des terres, par le cours de l'industrie, a mis dans tous les cœurs le désir de se plaire mutuellement; désir plus satisfesant, sans doute, que la secrète envie de nuire, qui est inséparable d'une extrême inégalité dans les fortunes et les conditions. On ne se voit jamais sans plaisir, quand on n'est, ni dans un état d'éloignement réciproque qui conduit à l'indifférence, ni dans un état de rivalité, qui est près de la haîne. On se rapproche, on se rassemble; on mèue enfin dans les colonies cette vie champêtre, qui fut la première destination de l'homme, la plus convenable à la santé, à la fécondité. On y jouit peut-être de tout le bonheur compatible avec la fragilité de la condition humaine. On n'y voit pas ces grâces, ces talens, ces jouissances recherchées, dont l'apprêt et les frais usent et fatiguent tous les ressorts de l'ame, amènent les vapeurs de la mélancolie après les soupirs de la volupté; mais les plaisirs domestiques, l'attachement réciproque des parens et des enfans, l'amour conjugal, cet amour si pur, si délicieux pour qui sait le goûter et mépriser les autres amours. C'est-là le spectacle enchanteur qu'offre partout l'Amérique septentrionale; c'est dans les bois de la Floride et de la Virginie, c'est dans les forêts même du Canada, qu'on peut aimer toute sa vie ce qu'on aima pour la première fois, l'innocence et la vertu, qui ne laissent jamais périr la beauté toute entière. Raynal, liv. 18.

Orage sur Mer.

Cependant l'horizon se chargeait au loin de vapeurs ardentes et som→ bres; le soleil commençait à pâlir; la surface des eaux, unie et sans mouvement, se couvrait de couleurs lugubres, dont les teintes variaient sans cesse. Déjà le ciel, tendu et fermé de toutes parts, n'offrait à nos yeux qu'une voûte ténébreuse que la flamme pénétrait, et qui s'appesantissait sur la terre. Toute la nature était dans le silence, dans l'attente, dans un état d'inquiétude qui se communiquait jusqu'au fond de nos ames. Nous cherchâmes un asile dans le vestibule du temple, et bientôt nous vîmes la foudre briser à coups redoublés cette barrière de ténèbres et de feux suspendus sur nos têtes; des nuages épais rouler par masses dans les airs, et tomber en torrens sur la terre; les vents déchaînés fondre sur la mer, et la bouleverser dans ses abîmes. Tout grondait, le tonnerre, les vents, les flots, les antres, les montagnes; et de tous ces bruits réunis, il se formait un bruit épouvantable qui semblait annoncer la dissolution de l'univers. L'aquilon ayant redoublé ses efforts, l'orage alla porter ses fureurs dans les climats brûlans de l'Afrique. Nous le suivîmes des yeux ; nous l'entendîmes mugir dans le lointain; le ciel brilla d'une clarté plus pure; et cette mer, dont les vagues écumantes s'étaient élevées jusques aux cieux, traînait à peine ses flots jusque sur le rivage. Barthélemy.

Orage en Amérique.

Cependant l'obscurité redouble: les nuages abaissés entrent sous l'ombrage des bois. Tout-à-coup la nue se déchire, et l'éclair trace une rapide losange de feu. Un vent impétueux, sorti du couchant, mêle en un vaste chaos les nuages avec les nuages. Le ciel s'ouvre coup sur coup, et à travers ces crevasses, on aperçoit de nouveaux cieux et des campagnes ardentes. La masse entière des forêts plie. Quel affreux et magnifique spectacle! La foudre allume les bois; l'incendie s'étend comme une chevelure de flammes; des colonnes d'étincelles et de fumée assiégent les nues, qui dégorgent leurs foudres dans le vaste embrasement. Les détonations de l'orage et de l'incendie, le fracas des vents, les gémissemens des arbres, les cris des fantômes, les hurlemens des bêtes, les clameurs des fleuves, les sifflemens des tonnerres qui s'éteignent en tombant dans les ondes; tous ces bruits, multipliés par les échos du ciel et des montagnes, assourdissent le désert. M. de Châteaubriand.

L'Ouragan des Antilles.

L'ouragan est un vent furieux, le plus souvent accompagné de pluie, d'éclairs, de tonnerre, quelquefois de tremblemens de terre, et toujours

des circonstances les plus terribles, les plus destructives que les vents puissent rassembler. Tout-à-coup, au jour vif et brillant de la zône torride succède une nuit universelle et profonde; à la parure d'un printemps éternel, la nudité des plus tristes hivers. Des arbres aussi anciens que le monde sont déracinés, ou leurs débris dispersés; les plus solides édifices n'offrent en un moment que des décombres. Où l'œil se plaisait à regarder des côteaux riches et verdoyans, on ne voit plus que des plantations bouleversées et des cavernes hideuses. Des malheureux, dépouillés de tout, pleurent sur des cadavres, ou cherchent leurs parens sous des ruines. Le bruit des eaux, des bois, de la foudre, et des vents, qui tombent et se brisent contre des rochers ébranlés et fracassés; les cris et les hurlemens des hommes et des animaux, pêlemêle emportés dans un tourbillon de sable, de pierres, et de débris tout semble annoncer les dernières convulsions et l'agonie de la nature. Raynal, liv. 11.

Symptômes et Ravages d'un Ouragan à l'Ile de France.

Un de ces étés, qui désolent de tems à autre les terres situées entre les tropiques, vint étendre ici ses ravages. C'était vers la fin de Décembre, lorsque le soleil au Capricorne échauffe pendant trois semaines l'île de France de ses feux verticaux. Le vent du sud-est qui y règne presque toute l'année, n'y soufflait plus. De longs tourbillons de poussière s'élevaient sur les chemins et restaient suspendus en l'air. La terre se fendait de toutes parts; l'herbe était brûlée, des exhalaisons chaudes sortaient du flanc des montagnes, et la plupart de leurs ruisseaux étaient desséchés. Aucun nuage ne venait du côté de la mer. Seulement, pendant le jour, des vapeurs, rousses, s'élevaient de dessus ses plaines, et paraissaient, au coucher du soleil, comme les flammes d'un incendie. La nuit même n'apportait aucun rafraîchissement à l'atmosphère embrasée. L'orbe de la lune, tout rouge, se levait dans un horizon embrumé, d'une grandeur démesurée. Les troupeaux, abattus sur les flancs des collines, le cou tendu vers le ciel, aspirant l'air, fesaient retentir les vallons de tristes mugissemens: le Cafre même qui les conduisait, se couchait sur la terre, pour y trouver de la fraîcheur. Partout le sol était brûlant, et l'air étouffant retentissait du bourdonnement des insectes qui cherchaient à se désaltérer dans le sang des hommes et des animaux.

Cependant ces chaleurs excessives élevèrent de l'océan des vapeurs qui couvrirent l'île comme un vaste parasol. Les sommets des montagues les rassemblaient autour d'eux, et de longs sillons de feu sortaient de temps en temps de leurs pitons embrumés. Bientôt des tonnerres affreux firent retentir de leurs éclats, les bois, les plaines, et les vallons; des pluies épouvantables, semblables à des cataractes, tombèrent du ciel. Des torrens écumeux se précipitaient le long des flancs de cette montagne; le fond de ce bassin était devenu une mer; le plateau cù sont assises les cabanes, une petite île, et l'entrée de ce vallon, une écluse, par

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