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où sortaient pêle-mêle, avec les eaux mugissantes, les terres, les arbres, et les rochers. Sur le soir la pluie cessa, le vent alisé du sud-est reprit son cours ordinaire; les nuages orageux furent jetés vers le nord-ouest, et le soleil couchant parut à l'horizon.

-mens.

Bernardin de Saint-Pierre. Paul et Virginie.

L'Orage et la Caverne des Serpens au Pérou.

Un murmure profond donne le signal de la guerre que les vents vont se déclarer. Tout-à-coup leur fureur s'annonce par d'effroyables siffleUne épaisse nuit enveloppe le ciel, et le confond avec la terre; la foudre, en déchirant ce voile ténébreux, en redouble encore la noirceur; cent tonnerres qui roulent et semblent rebondir sur une chaîne de montagnes, en se succédant l'un à l'autre, ne forment qu'un mugissement qui s'abaisse, et qui se renfle comme celui des vagues. Aux secousses que la montagne reçoit du tonnerre et des vents, elle s'ébranle, elle s'entrouvre; et de ses flancs, avec un bruit horrible, tombent de rapides torrens. Les animaux épouvantés s'élançaient des bois dans la plaine; et à la clarté de la foudre, les trois voyageurs pâlissant, voyaient passer à côté d'eux, le lion, le tygre, le lynx, le léopard, aussi tremblans qu'eux-mêmes: dans ce péril universel de la nature, il n'y a plus de férocité, et la crainte a tout adouci.

L'un des guides d'Alonzo avait, dans sa frayeur, gagné la cime d'une roche. Un torrent qui se précipite en bondissant, la déracine et l'entraîne; et le sauvage qui l'embrasse, roule avec elle dans les flots. L'autre Indien croyait avoir trouvé son salut dans le creux d'un arbre; mais une colonne de feu, dont le sommet touche à la nue, descend sur l'arbre, et le consume avec le malheureux qui s'y était sauvé.

Cependant Molina s'épuisait à lutter contre la violence des eaux: il gravissait dans les ténèbres, saisissant tour-à-tour les branches, les racines des bois qu'il rencontrait, sans songer à ses guides, sans autre sentiment que le soin de sa propre vie; car il est des momens d'effroi, où toute compassion cesse, où l'homme, absorbé en lui-même, n'est plus sensible que pour lui.

Enfin il arrive en rampant au bas d'une roche escarpée, et à la lueur des éclairs, il voit une caverne, dont la profonde et ténébreuse horreur l'aurait glacé dans tout autre moment. Meurtri, épuisé de fatigue, il se jette au fond de cet antre; et là, rendant grâces au ciel, il tombe dans l'accablement.

L'orage enfin s'apaise: les tonnerres, les vents cessent d'ébranler la montagne; les eaux des torrens, moins rapides, ne mugissent plus à l'entour; et Molina sent couler dans ses veines le baume du sommeil. Mais un bruit, plus terrible que celui des tempêtes, le frappe au moment même qu'il allait s'endormir.

Ce bruit, pareil au broyement des cailloux, est celui d'une multitude de serpens, dont la caverne est le refuge. La voûte en est revêtue, et, entrelacés l'un à l'autre, ils forment, dans leurs mouvemens, ce bruit

qu'Alonzo reconnaît. Il sait que le venin de ces serpens est le plus subtil des poisons; qu'il allume soudain, et dans toutes les veines, un feu qui dévore et consume, au milieu des douleurs les plus intolérables, le malheureux qui en est atteint. Il les entend, il croit les voir rampans autour de lui, où pendus sur sa tête, ou roulés sur eux-mêmes, et prêts à s'élancer sur lui. Son courage épuisé succombe; son sang se glace de frayeur; à peine il ose respirer. S'il veut se traîner hors de l'antre,. sous ses mains, sous ses pas, il tremble de presser un de ces dangereux reptiles. Transi, frissonnant, immobile, environné de mille morts, il passe la plus longue nuit dans une pénible agonie, désirant, frémissant de revoir la lumière, se reprochant le crainte qui le tient enchaîné, et fesant sur lui-même d'inutiles efforts pour surmonter cette faiblesse.

Le jour, qui vint l'éclairer, justifia sa frayeur. Il vit réellement tout le danger qu'il avoit pressenti; il le vit plus horrible encore. Il fallait mourir, ou s'échapper. Il ramasse péniblement le peu de forces qui lui restent; il se soulève avec lenteur, se courbe, et, les mains appuyées sur ses genoux tremblans, il sort de la caverne, aussi défait, aussi pâle, qu'un spectre qui sortirait de son tombeau. Le même orage qui l'avait jeté dans le péril l'en préserva, car les serpens en avaient eu autant de frayeur que lui-même; et c'est l'instinct de tous les animaux, dès que le péril les occupe, de cesser d'être malfesans.

La terre,

Un jour serein consolait la nature des ravages de la nuit. échappée comme d'un naufrage, en offrait partout les débris. Des forêts, qui, la veille, s'élançaient jusqu'aux nues, étaient courbées vers la terre; d'autres semblaient se hérisser encore d'horreur. Des collines, qu'Alonzo avait vues s'arrondir sous leur verdoyante parure, entr'ouvertes en précipices, lui montraient leurs flancs déchirés. De vieux arbres déracinés, précipités du haut des monts; le pin, le palmier, le gayac, le caobo, le cèdre, étendus, épars dans la plaine, la couvraient de leurs troncs brisés et de leurs branches fracassées. Des dents de rochers détachées, marquaient la place des torrens; leur lit profond était bordé d'un nombre effrayant d'animaux doux, cruels, timides, féroces, qui avaient été submergés et revomis par les eaux.

Cependant ces eaux écoulées, laissaient les bois et les campagnes se ranimer aux feux du jour naissant. Le ciel semblait avoir fait la paix avec la terre, et lui sourire en signe de faveur et d'amour. Tout ce qui respirait encore, recommençait à jouir de la vie; les oiseaux, les bêtes sauvages, avaient oublié leur effroi; car, le prompt oubli des maux est un don que la nature leur a fait, et qu'elle a refusé à l'homme. Marmontel. Les Incas.

Le Calme, au Milieu de l'Océan.

Dix fois le soleil fit son tour, sans que le vent fût apaisé. Il tombe enfin, et bientôt après un calme profond lui succède. Des ondes, violemment émues, se balancent long-temps encore après que le vent a cessé. Mais insensiblement leurs sillons s'aplanissent; et sur une mer immo

bile, le navire, comme enchaîné, cherche inutilement dans les airs un souffle qui l'ébranle; la voile, cent fois déployée, retombe cent fois sur les mâts. L'onde, le ciel, un horizon vague, où la vue a beau s'enfoncer dans l'abîme de l'étendue, un vide profond et sans bornes, le silence et l'immensité; voilà ce que présente aux matelots ce triste et fatal hémisphère. Consternés et glacés d'effroi, ils demandent au ciel des orages et des tempêtes; et le ciel, devenu d'airain comme la mer, ne leur offre de toutes parts qu'une affreuse sérénité. Les jours, les nuits s'écoulent dans ce repos funeste: ce soleil, dont l'éclat naissant ranime et réjouit la terre; ces étoiles, dont les nochers aiment à voir briller les feux étincelans; ce liquide cristal des eaux, qu'avec tant de plaisir nous contemplons du rivage, lorsqu'il réfléchit la lumière et répète l'azur des cieux, ne forment plus qu'un spectacle funeste; et tout ce qui, dans la nature, annonce la paix et la joie, ne porte ici que l'épouvante, et ne présage que la mort.

Cependant les vivres s'épuisent, on les réduit, on les dispense d'une main avare et sévère. La nature qui voit tarir les sources de la vie, en devient plus avide; et plus les sources diminuent, plus on sent croître les besoins. A la disette enfin succède la famine, fléau terrible sur la terre, mais plus terrible mille fois sur le vaste abîme des eaux; car au moins sur la terre quelque lueur d'espérance peut abuser la douleur et soutenir le courage; mais au milieu d'une mer immense, solitaire, et environné du néant, l'homme, dans l'abandon de toute la nature, n'a pas même l'illusion pour le sauver du désespoir: il voit comme un abîme l'espace épouvantable qui l'éloigne de tout secours; sa pensée et ses vœux s'y perdent; la voix même de l'espérance ne peut arriver jusqu'à lui.

Les premiers accès de la faim se font sentir sur le vaisseau: cruelle alternative de douleur et de rage, où l'on voyait des malheureux étendus sur les bancs, lever les mains vers le ciel, avec des plaintes lamentables, ou courir éperdus et furieux, de la proue à la poupe, et demander au moins que la mort vînt finir leurs maux! Le même.

Volcans.

Les montagnes ardentes, qu'on appelle volcans, renferment dans leur sein le souffre, le bitume, et les matières qui servent d'aliment à un feu souterrain, dont l'effet plus violent que celui de la poudre ou du tonnerre, a de tout temps étonné, effrayé les hommes, et désolé la terre. Un volcan est un canon d'un volume immense, dont l'ouverture a souvent plus d'une demi-lieue: cette large bouche à feu vomit des torrens de fumée et de flammes, des fleuves de bitume, de souffre, et de métal fondu, des nuées de cendre et de pierres, et quelquefois elle lance, à plusieurs lieues de distance, des masses de rochers énormes, et que toutes les forces humaines réunies ne pourraient pas mettre en mouvement. brasement est si terrible, et la quantité des matières ardentes, fondues,

L'em

calcinées, vitrifiées, que la montagne rejette, est si abondante, qu'elles enterrent les villes et les forêts, couvrent les campagnes de cent et deux cents pieds d'épaisseur, et forment quelquefois des collines et des montagnes, qui ne sont que des monceaux de matières entassées. L'action de ce feu est si grande, la force de l'explosion est si violente, qu'elle produit,'par sa réaction, des secousses assez fortes pour ébranler la terre et la faire trembler, agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides, à des distances même très-considérables. Buffon.

Eruption du Volcan de Quito.

Heureux les peuples qui habitent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables que roulent ses flots, et des dépouilles de la terre! le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes: le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'ocean, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlans et liquides, des flots de cendres et de bitume qu'il lançait, et qui dans leur chute s'accumulaient aux bords de ces gouffres ouverts. Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! les fleurs, les fruits, et les moissons couvrent l'abîine sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore; sa richesse, en croissant, présage sa ruine, et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs. Tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondemens.

Un jour que le peuple Indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du soleil, daus l'intérieur de leur palais, étaient occupées les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer, lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît, et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide, et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment, et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlans qu'ils ont détachés de l'abîme: superbe et terrible spectacle de voir des rivières de feu bondir à flots étincelans, au travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond,

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du soleil, les uns tremblans s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur Dieu. Les vierges éperdues sortent de leurs palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête, et courant dans leurs vastes enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir. Marmontel. Les Incas.

L'Eclipse de Soleil au Pérou.

L'astre adoré dans ces climats s'obscurcit tout-à-coup au milieu d'un ciel sans nuage. Une nuit soudaine et profonde investit la terre. L'ombre ne venait point de l'orient; elle tomba du haut des cieux, et enveloppa l'horizon. Un froid humide a saisi l'atmosphère: les animaux, subitement privés de la chaleur qui les anime, de la lumière qui les conduit, dans une immobilité morne, semblent se demander la cause de cette nuit inopinée. Leur instinct, qui compte les heures, leur dit que ce n'est pas encore celle de leur repos. Dans les bois, ils s'appellent d'une voix frémissante, étonnés de ne pas se voir; dans les vallons, ils se rassemblent et se pressent en frissonnant. Les oiseaux, qui, sur la foi du jour, ont pris leur essor dans les airs, surpris par les ténèbres, ne savent où voler. La tourterelle se précipite au devant du vautour, qui s'épouvante à sa rencontre. Tout ce qui respire est saisi d'effroi. Les végétaux eux-mêmes se ressentent de cette crise universelle. On dirait que l'ame du monde va se dissiper ou s'éteindre; et dans ses rameaux infinis, le fleuve immense de la vie semble avoir ralenti son cours.

Et l'homme! ah! c'est pour lui que la réflexion ajoute, aux frayeurs de l'instinct, le trouble et les perplexités d'une prévoyance impuissante. Aveugle et curieux, il se fait des fantômes de tout ce qu'il ne conçoit pas, et se remplit de noirs présages, aimant mieux craindre qu'ignorer. Heureux, dans ce moment, les peuples à qui des sages ont révélé les mystères de la nature! Ils ont vu sans inquiétude l'astre du jour, à son midi, dérober sa lumière au monde; sans inquiétude, ils attendent l'instant marqué où le globe sortira de l'obscurité. Mais comment exprimer la terreur, l'épouvante, dont ce phénomène à frappé les adorateurs du soleil? Dans une pleine sérénité, au moment où leur Dieu, dans toute sa splendeur, s'élève du plus haut de sa sphère, il s'évanouit! et la cause de ce prodige et sa durée, ils l'ignorent profondément. La ville de Quito, la ville du Soleil, Cusco, les camps des deux Incas, tout gémit, tout est consterné. Le même.

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