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Le Lion et le Tigre.

Dans la classe des animaux carnassiers, le lion est le premier, le tigre est le second; et comme le premier, même dans un mauvais genre, est toujours le plus grand et souvent le meilleur; le second est ordinairement le plus méchant de tous. A la fierté, au courage, à la force, le lion joint la noblesse, la clémence, la magnanimité, tandis que le tigre est bassement féroce, cruel sans justice, c'est-à-dire sans écessité. Il en est de mène dans tout ordre de choses où les rangs sont donnés par la force; le premier qui peut tout est moins tyran que l'autre, qui ne pouvant jouir de la puissance plénière, s'en venge en abusant du pouvoir qu'il a pu s'arroger. Aussi le tigre est-il plus à craindre que le lion; celui-ci souvent oublie qu'il est le roi, c'est-àdire, le plus fort de tous les animaux; marchant d'un pas tranquille, il n'attaque jamais l'homme, à moins qu'il ne soit provoqué; il ne précipite ses pas, il ne court, il ne chasse que quand la faim le presse. Le tigre, au contraire, quoique rassasié de chair, semble toujours être altéré de sang: sa fureur n'a d'autres intervalles que ceux du temps qu'il faut pour dresser des embûches; il saisit et déchire une nouvelle proie avec la même rage qu'il vient d'exercer, et non pas d'assouvir, en dévorant la première; il désole le pays qu'il habite; il ne craint ni l'aspect, ui les armes de l'homme; il égorge, il dévaste les troupeaux d'animaux domestiques; met à mort toutes les bêtes sauvages, attaque les petits éléphans, les jeunes rhinocéros, et quelquefois même ose braver le lion.

La forme du corps est ordinairement d'accord avec le naturel. Le lion a l'air noble: la hauteur de ses jambes est proportionnée à la longueur de son corps, l'épaisse et grande crinière qui couvre ses épaules et ombrage sa face, son regard assuré, sa démarche grave, tout semble annoncer sa fière et majestueuse intrépidité. Le tigre, trop long de corps, trop bas sur ses jambes, la tête nue, les yeux hagards, la langue couleur de sang, toujours hors de la gueule, n'a que les caractères de la basse méchanceté et de l'insatiable cruauté; il n'a pour tout instinct qu'une rage constante, une fureur aveugle, qui ne connaît, qui ne distingue rien, et qui lui fait souvent dévorer ses propres enfans, et dé. chirer leur mère, lorsqu'elle veut les défendre. Que ne l'eût-il à l'excès cette soif de son sang! ne pût-il l'éteindre qu'en détruisant, dès leur maissance, la race entière des monstres qu'il produit. Le même.

Le Cygne.

Dans toute société, soit des animaux, soit des hommes, la violence fit les tyrans, la douce autorité fait les rois. Le lion et le tigre sur la terre, l'aigle et le vautour dans les airs ne règnent que par l'abus de la force et par la cruauté, au lieu que le cygne règne sur les eaux à tous les titres qui fondent un empire de paix, la grandeur, la majesté, la douceur, avec

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des puissances, des forces, du courage, et la volonté de n'en pas abuser, et de ne les employer que pour la défense; il sait combattre et vaincre sans jamais attaquer; roi paisible des oiseaux d'eau, il brave les tyrans de l'air; il attend l'aigle sans le provoquer, sans le craindre; il repousse ses assauts en opposant à ses armes la résistance de ses plumes, et les coups précipités d'une aile vigoureuse qui lui sert d'égide, et souvent la victoire couronne ses efforts. Au reste, il n'a que ce fier ennemi, tous les oiseaux de guerre le respectent, et il est en paix avec toute la nature; il vit en ami plutôt qu'en roi, au milieu des nombreuses peuplades des oiseaux aquatiques, qui toutes semblent se ranger sous sa loi; il n'est que le chef, le premier habitant d'une république tranquille, où les citoyens n'ont rien à craindre d'un maître qui ne demande qu'autant qu'il leur accorde, et ne veut que calme et liberté.

Les grâces de la figure, la beauté de la forme répondent, dans le cygne, à la douceur du naturel; il plaît à tous les yeux, il décore, embellit tous les lieux qu'il fréquente; on l'aime, on l'applaudit, on l'admire; nulle espèce ne le mérite mieux; la nature en effet n'a répandu sur aucune autant de ces grâces nobles et douces, qui nous rappellent l'idée de ses plus charmans ouvrages: coupe de corps élégante, formes arrondies, gracieux contours, blancheur éclatante et pure, mouvemens flexibles et ressentis, attitudes tantôt animées, tantôt laissées dans un mol abandon, tout dans le cygne respire la volupté, l'enchantement que nous font éprouver les grâces et la beauté; tout nous l'annonce, tout le peint comme l'oiseau de l'amour, tout justifie la spirituelle et riante mythologie d'avoir donné ce charmant oiseau pour père à la plus belle des mortelles.

A la plus noble aisance, à la facilité, la liberté de ses mouvemens sur l'eau, on doit le reconnaître non-seulement comme le premier des navigateurs ailés, mais comme le plus beau modèle que la nature nous ait offert pour l'art de la navigation. Son cou élevé et sa poitrine relevée et arrondie, semblent, en effet, figurer la proue du navire fendant l'onde, son large estomac en représente la carène, son corps penché en avant pour cingler, se redresse à l'arrière et se relève en poupe. queue est un vrai gouvernail; les pieds sont de larges rames, et ses grandes ailes demi-ouvertes au vent et doucement enflées, sont les voiles qui poussent le vaisseau vivant, navire et pilote à la fois.

La

Fier de sa noblesse, jaloux de sa beauté, le cygne semble faire parade de tous ses avantages: il a l'air de chercher à recueillir des suffrages, à captiver les regards, et il les captive en effet, soit que voguant en troupe, on voie de loin, au milieu des grandes eaux, cingler la flotte ailée, soit que s'en détachant et s'approchant du rivage aux signaux qui l'appellent, il vienne se faire admirer de plus près, en étalant ses · beautés, et developpant ses grâces par mille mouvemens doux, ondulans, et suaves.

Aux avantages de la nature, le cygne réunit ceux de la liberté; il n'est pas du nombre de ces esclaves que nous puissions contraindre ou renfermer; libre sur nos eaux, il n'y séjourne, ne s'établit qu'en y jouissant d'assez d'indépendance pour exclure tout sentiment de servitude et de

captivité; il veut à son gré parcourir les eaux, débarquer au rivage, s'éloigner au large ou venir fongeant la rive, s'abriter sur les bords, se cacher dans les joncs, s'enfoncer dans les anses les plus écartées, puis quitter sa solitude, revenir à la société, et jouir du plaisir qu'il paraît prendre et goûter en s'approchant de l'homme, pourvu qu'il trouve en nous ses hôtes et ses amis, et non ses maîtres et ses tyrans.

Chez nos ancêtres, trop simples ou trop sages pour remplir leurs jardins des beautés froides de l'art en place des beautés vives de la nature, les cygnes étaient en possession de faire l'ornement de toutes les pièces d'eau: ils animaient, égayaient les tristes fossés des châteaux, ils décoraient la plupart des rivières, et même celle de la capitale, et l'on vit l'un des plus sensibles et des plus aimables de nos princes mettre au nombre de ses plaisirs, celui de peupler de ces beaux oiseaux, les bassins de ses maisons royales; on peut encore jouir aujourd'hui du même spectacle dans les belles eaux de Chantilly, où les cygnes font un des ornemens de ce lieu vraiment délicieux, dans lequel tout respire le noble goût du maître.

Les cygnes dans la domesticité sont silencieux, et ce n'est point du tout sur ces cygnes presque muets, que les anciens avaient pu moduler ces cygnes harmonieux qu'ils ont rendus si célèbres. Mais il paraît que le cygne sauvage a mieux conservé ses prérogatives, et qu'avec le sentiment de la pleine liberté, il en a aussi les accens: l'on distingue en effets dans ses cris, ou plutôt dans les éclats de sa voix, une sorte de chant mesuré, modulé, des sons bruyans de clairon, mais dont les tons aigus et peu diversifiés sont néanmoins très-éloignés de la tendre mélodie, et de la variété douce et brillante du ramage de nos oiseaux chanteurs. Au reste, les anciens ne s'étaient pas contentés de faire du cygne un chantre merveilleux; seul entre tous les êtres qui frémissent à l'aspect de leur destruction, il chantait encore au moment de son agonie, et préludait par des sons harmonieux à son dernier soupir: c'était, disaient-ils, près d'expirer, et fesant à la vie un adieu triste et tendre que le cygne rendait ces accens si doux et si touchans, et qui, pareils à un léger et douloureux murmure, d'une voix basse, plaintive, et lugubre, formaient son chant funèbre; on entendait ce chant lorsqu'au lever de l'aurore, les vents et les flots étaient calmés; on avait niême vu des cygnes expirant en musique et chantant leurs hymnes funéraires. Nulle fiction en histoire naturelle, nulle fable chez les anciens n'a été plus célébrée, plus répétée, plus accréditée, elle s'était emparée de l'imagination vive et sensible des Grecs; poétes, orateurs, philosophes même l'ont adoptée, comme une vérité trop agréable pour vouloir en douter. Il faut bien leur pardonner leurs fables, elles étaient aimables et touchantes: elles valaient bien de tristes, d'arides vérités, c'étaient de doux emblèmes pour les ames sensibles. Les cygnes sans doute ne chantent point leur mort, mais toujours en parlant du dernier essor et des derniers élans d'un beau génie prêt à s'éteindre, on rappellera avec sentiment cette expression touchante: C'est le chant du cygne. Buffon.

Le Rossignol.

Il n'est point d'homme bien organisé à qui ce nom ne rappelle quelqu'une de ces belles nuits de printemps où le ciel étant serein, l'air calme, toute la nature en silence, et, pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts. On pourrait citer quelques autres oiseaux chanteurs, dont la voix le dispute, à certains égards, à celle du rossignol; les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle commun, le merle solitaire, le moqueur d'Amérique se font écouter avec plaisir, lorsque le rossignol se tait: les uns ont d'aussi beaux sons; les autres ont le timbre aussi pur et plus doux; d'autres ont des tours de gosiers aussi flatteurs; mais il n'en est pas un seul que le rossignol n'efface par la réunion complète de ces talens divers, et par la prodigieuse variété de son ramage; en sorte que la chanson de chacun de ces oiseaux prise dans toute son étendue, n'est qu'un couplet de celle du rossignol. Le rossignol charme toujours, et ne se répète jamais, du moins jamais servilement; s'il redit quelque passage, ce passage est animé d'un accent nouveau, embelli par de nouveaux agrémens: il réussit dans tous les genres; il rend toutes les expressions, il saisit tous les caractères, et de plus il sait en augmenter l'effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l'hymne de la nature? il commence par un prélude timide, par des tons faibles, presque indécis, comme s'il voulait essayer son instrument, et intéresser ceux qui l'écoutent; mais ensuite, prenant de l'assurance, il s'anime par degrés, il s'échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe: coups de gosier éclatans, batteries vives et légères; fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité; murmure intérieur et sourd qui n'est point appréciable à l'oreille, mais très-propre à augmenter l'éclat des tons appréciables, roulades précipitées, brillantes, et rapides, articulées avec force, et même avec une dureté de bon goût; accens plaintifs, cadencés avec mollesse, sous ́filés sans art, mais enfiés avec ame; sons enchanteurs et pénétrans, vrais soupirs d'amour et de volupté qui semblent sortir du cœur, et font palpiter tous les cœurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si doure, une langueur si touchante. C'est dans ces tons passionnés que l'on reconnaît le langage du sentiment qu'un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu'elle seule peut lui inspirer, tandis que dans d'autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnaît le simple projet de l'amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.

Ces différentes phrases sont entremêlées de silences, de ces silences qui, dans tout genre de mélodies, concourent si puissamment aux grands effets; on jouit des beaux sons que l'on vient d'entendre, et qui retentissent encore dans l'oreille; on en jouit mieux parce que la jouissance est plus intime, plus recueillie, et n'est point troublée par des sensations nouvelles; bientôt on attend, on désire une autre reprise: on

espère que ce sera celle qui plaît; si l'on est trompé, la beauté du morceau que l'on entend ne permet pas de regretter celui qui n'est que différé, et l'on conserve l'intérêt de l'espérance pour les reprises qui suivront. Au reste, une des raisons pourquoi le chant du rossignol est plus remarqué et produit plus d'effet, c'est parce que, chantant la nuit, qui est le temps le plus favorable, et chantant seul, sa voix a tout son éclat, et n'est offusquée par aucune autre voix ; il efface tous les autres oiseaux, par ses sons moelleux et flûtés, et par la durée non interrompue de son ramage qu'il soutient quelquefois pendant vingt secondes; un observateur a compté dans ce ramage seize reprises diffé. rentes, bien déterminées par leurs premières et dernières notes, et dont l'oiseau sait varier avec goût les notes intermédiaires; enfin il s'est assuré que la sphère que remplit la voix d'un rossignol n'a pas moins d'un mille de diamètre, sur-tout lorsque l'air est calme; ce qui égale au moins la portée de la voix humaine. Gueneau de Montbeillard.

L'Oiseau-Mouche.

De tous les êtres animés, voici le plus élégant pour la forme, et le plus brillant pour les couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art, ne sont pas comparables à ce bijou de la nature; elle l'a placé dans l'ordre des oiseaux au dernier degré de l'échelle de grandeur; son chef-d'œuvre est le petit oiseau-mouche; elle l'a comblé de tous les dons qu'elle n'a fait que partager aux autres oiseaux, légèreté, rapidité, prestesse, grâce, et riche parure, tout appartient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze, brillent sur ses habits, il ne les souille jamais de la poussière de la terre, et dans sa vie toute aérienne, on le voit à peine toucher le gazon par instans; il est toujours en l'air, volant de fleurs en fleurs il a leur fraîcheur comme il a leur éclat: il vit de leur nectar, et n'habite que les climats où sans cesse elles se renouvellent.

C'est dans les contrées les plus chaudes du Nouveau-Monde que se trouvent toutes les espèces d'oiseaux-mouches; elles sont assez nombreuses, et paraissent confinées entre les deux tropiques, car ceux qui s'avancent en été dans les zones tempérées n'y font qu'un court séjour; ils semblent suivre le soleil, s'avancer, se retirer avec lui, et voler sur l'aile des zéphyrs à la suite d'un printemps éternel.

Les Indiens, frappés de l'éclat et du feu que rendent les couleurs de ces brillans oiseaux, leur avaient donné les noms de rayons, ou cheveux du soleil. Les petites espèces de ces oiseaux, sont au-dessous de la grande mouche-asyle (le taon) pour la grandeur, et du bourdon pour la grosseur. Leur bec est une aiguille fine, et leur langue un fil délié; leurs petits yeux noirs ne paraissent que deux points brillans; les plumes de leurs ailes sont si délicates, qu'elles en paraissent transparentes. A peine aperçoit-on leurs pieds, tant ils sont courts et menus; ils en font peu d'usage, ils ne se posent que pour

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