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passer la nuit et se laissent, pendant le jour, emporter dans les airs; leur vol est continu, bourdonnant, et rapide: on compare le bruit de leurs ailes à celui d'un rouet. Leur battement est si vif, que l'oiseau s'arrêtant dans les airs paraît non-seulement immobile, mais tout-à-fait sans action; on le voit s'arrêter ainsi quelques instans devant une fleur, et partir comme un trait pour aller à une autre; il les visite toutes, plongeant sa petite langue dans leur sein, les flattant de ses ailes, sans jamais s'y fixer, mais aussi sans les quitter jamais. Il ne presse ses inconstances que pour mieux suivre ses amours et multiplier ses jouissances innocentes, car cet amant léger des fleurs vit à leurs dépens sans les flétrir, il ne fait que pomper leur miel, et c'est à cet usage que sa langue paraît uniquement destinée; elle est composée de deux fibres creuses, formant un petit canal, divisé au bout en deux filets; elle a la forme d'une trompe dont elle fait les fonctions: l'oiseau la darde hors de son bec; et la plonge jusqu'au fond du calice des fleurs pour en tirer les sucs. Rien n'égale la vivacité de ces petits oiseaux, si ce n'est leur courage, ou plutôt leur audace. On les voit poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus gros qu'eux, s'attacher à leur corps, et se laissant emporter par leur vol, les becqueter à coups redoublés, jusqu'à ce qu'ils aient assouvi leur pețite colère. Quelquefois même ils se livrent entre eux de très-vifs combats, l'impatience paraît être leur ame: s'ils s'approchent d'une fleur, et qu'ils la trouvent fanée ils lui arrachent les pétales avec une précipitation qui marque leur dépit. Ils n'ont d'autre voix qu'un petit cri fréquent et répété, ils le font entendre dans les bois dès l'aurore, jusqu'à ce qu'aux premiers rayons du soleil, tous prennent l'essor, et se dispersent dans les campagnes. Le nid qu'ils construisent répond à la délicatesse de leur corps; il est fait d'un coton fin ou d'une bourre soyeuse, recueillie sur des fleurs; ce nid est fortement tissu et de la consistance d'une peau douce et épaisse; la femelle se charge de l'ouvrage, et laisse au mâle le soin d'apporter les matériaux; on la voit empressée à ce travail chéri, chercher, choisir, employer brin à brin les fibres propres à former le tissu de ce doux berceau de sa progéniture; elle en polit les bords avec sa gorge, le dedans avec sa queue; elle le revêt à l'extérieur de petits morceaux d'écorce de gommiers, qu'elle collé à l'entour, pour le défendre des injures de l'air autant que pour le rendre plus solide; le tout est attaché à deux feuilles ou à un seul brin d'oranger, de citronnier, ou quelquefois à un fétu qui pend de la couverture de quelque case. Ce nid n'est pas plus gros que la moitié d'un abricot, et fait de même en demi-coupe; on y trouve deux œufs tout blancs, et pas plus gros que de petits pois, le mâle et la femelle les couvent tourà-tour pendant douze jours; les petits éclosent au treizièmē jour, et ne sont alors pas plus gros que des mouches. "Je n'ai jamais pu remarquer," dit le P. Dutertre, "quelle sorte de becquée la mère leur apporte, sinon qu'elle leur donne à sucer la langue encore toute emmiellée du suc tiré des fleurs."

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Buffon.

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CHAQUE peuple a son caractère comme chaque homme, et ce caractère général est formé de toutes les ressemblances que la nature et l'habitude ont mises entre les habitans d'un même pays, au milieu des variétés qui les distinguent. Ainsi le caractère, le génie, l'esprit Français, résulte de ce que les différentes provinces de ce royaume ont entre elles de semblable. Les peuples de la Guyenne et ceux de la Normandie diffèrent beaucoup; cependant on reconnaît en eux le génie Français, qui forme une nation de ces différentes provinces, et qui les distingue au premier coup d'œil des Italiens et des Allemands. Le climat et le sol impriment évidemment aux hommes, comme aux animaux et aux plantes, des marques qui ne changent point. Celles qui dépendent du gouvernement, de la religion, de l'éducation, s'altèrent. C'est là le nœud qui explique comment les peuples ont perdu une partie de leur ancien caractère et ont conservé l'autre. Le gouvernement barbare des Turcs a énervé les Grecs sans avoir pu détruire le fond du caractère et la trempe de l'esprit de ces peuples.

Dans les beaux siècles des Arabes, les sciences et les arts fleurirent chez les Numides; aujourd'hui ils ne savent pas même régler leur année, et en fesant sans cesse le métier de pirate, ils n'ont pas un pilote qui sache prendre hauteur, pas un bon constructeur de vaisseau. Ils achètent des chrétiens et surtout des Hollandais, les agrêts, les canons, la poudre dont ils se servent pour s'emparer de nos vaisseaux marchands.

Depuis la mort de Toman-Bey, dernier roi Mamelut, le peuple d'Egypte fut enseveli dans le plus honteux avilissement; cette nation qu'on dit avoir été si guerrière du temps de Sésostris, est devenue plus pusillanime que du temps de Cléopâtre. On nous dit qu'elle inventa les sciences, et elle n'en cultive pas une; qu'elle était sérieuse et grave, et aujourd'hui on la voit légère et gaie, chanter et danser dans Ja pauvreté et dans l'esclavage; cette multitude d'habitans qu'on disait innombrable, se réduit à trois millions tout au plus. Il ne s'est pas fait un plus grand changement dans Rome et dans Athènes; c'est une preuve sans réplique, que si le climat influe sur le caractère des homines, le gouvernement a bien plus d'influence encore que le climat.

Les peuples sont ce que les rois ou les ministres les font être. Le courage, la force, l'industrie, tous les talens restent ensevelis, jusqu'à ce qu'il paraisse un génie qui les ressuscite. On a cru que la monarchie Espagnole était anéantie, parce que les rois Philippe III. Philippe IV. et Charles II. ont été malheureux ou faibles. Mais que l'on voie comment cette monarchie a repris tout d'un coup une nouvelle vie sous le cardinal Albéroni.

Il serait aussi déraisonnable de condamner toute une nation pour les crimes éclatans de quelques particuliers, que de la canoniser sur la réforme de la Trappe. Voltaire.

Grecs et Romains comparés avec l'Europe Moderne,

Les anciens Romains éclipsèrent, il est vrai, toutes les autres nations de l'Europe, quand la Grèce fut amollie et désunie, et quand les autres peuples étaient encore des barbares, destitués de bonnes lois, sachant combattre et ne sachant pas faire la guerre, incapables de se réunir à propos contre l'ennemi commun, privés du commerce, privés de tous les arts et de toutes les ressources. Aucun peuple n'égale encore les anciens Romains. Mais l'Europe entière vaut aujourd'hui beaucoup mieux que ce peuple vainqueur et législateur; soit que l'on considère tant de connaissances perfectionnées, tant de nouvelles inventions; ce commerce immense et habile qui embrasse les deux mondes; tant de villes opulentes élevées dans des lieux qui n'étaient que des déserts sous les consuls et sous les Césars; soit qu'on jette les yeux sur ces armées nombreuses et disciplinées, qui défendent vingt royaumes policés: soit qu'on perce cette politique toujours profonde, toujours agissante, qui tient la balance entre tant de nations. Enfin, la jalousie même qui règne entre les peuples modernes, qui excite leur génie et qui anime leurs travaux, sert encore à élever l'Europe au-dessus de ce qu'elle admirait autrefois stérilement dans l'ancienne Rome, sans avoir ni la force, ni même le désir de l'imiter,

La France ni l'Espagne ne peuvent être en guerre avec l'Angleterre, que cette secousse qu'elles donnent à l'Europe, ne se fasse sentir aux extrémités du monde. Si l'industrie et l'audace de nos nations modernes ont un avantage sur le reste de la terre, et sur toute l'antiquité, c'est par nos expéditions maritimes. On n'est pas assez étonné peut-être, de voir sortir des ports de quelques petites provinces inconnues autrefois aux anciennes nations civilisées, des flottes dont un seul vaisseau eût détruit les navires des anciens Grecs et des Romains. D'un côté ces flottes vont au-delà du Gange, se livrer des combats à la vue des plus puissans empires, qui sont les spectateurs tranquilles d'un art et d'une fureur qui n'ont point encore passé jusqu'à eux: de l'autre, elles vont au-delà de l'Amérique se disputer des esclaves dans un nouveau monde.

Serait-il vrai ce qu'on lit dans les Lettres Persannes, que les hommes

manquent à la terre, et qu'elle est dépeuplée, en comparaison de ce qu'elle était il y a deux mille aus? Rome, il est vrai, avait alors plus de citoyens qu'aujourd'hui. J'avoue qu'Alexandrie et Carthage étaient de grandes villes; mais Paris, Londres, Constantinople, le • Grand-Caire, Amsterdam, Hambourg, n'existaient pas. Il y avait trois cents nations dans les Gaules; mais ces trois cents nations ne valaient pas la nôtre, ni en nombre d'hommes ni en industrie. L'Allemagne était une forêt; elle est couverte de cent villes opulentes. Il semble que l'esprit de critique, lassé de ne persécuter que des particuliers, ait pris pour objet l'univers. On crie toujours que ce monde dégénère, et on veut encore qu'il se dépeuple. Quoi donc ? Nous faudra-t-il regretter les temps où il n'y avait pas de grands chemins de Bordeaux à Orléans, et où Paris était une petite ville dans laquelle on s'égorgeait? On a beau dire, l'Europe a plus d'hommes qu'alors, et les hommes valent mieux. Le même,

Les Anciens et les Modernes, ou la Toilette de Madame de Pom

padour.

Mde. de Pompadour. Quelle est donc cette dame au nez aquilin, aux grands yeux noirs, à la taille si haute et si noble, à la mine si fière et en même temps si coquette, qui entre à ma toilette sans se faire annoncer, et qui fait la révérence en religieuse?

Tullia. Je suis Tullia, née à Rome il y a environ dix-huit cents ans; je fais la révérence à la Romaine, et non à la Française: je suis *venue, je ne sais d'où, pour voir votre pays, votre personne, et votre toilette.

Mde. de Pom. Ah! madame, faites-moi l'honneur de vous asseoir. Un fauteuil à madame Tullia.

Tullia. Qui? moi, madame, que je m'asseye sur cette espèce de petit trône incommode, pour que mes jambes pendent à terre, et deviennent toutes rouges!

Mde. de Pom. Comment vous asseyez-vous donc, madame?
Tullia. Sur un bon lit, madame.

Mde. de Pom. Ah, j'entends, vous voulez dire sur un bon canapé. En voilà un sur lequel vous pouvez vous étendre à votre aise.

Tullia. J'aime à voir que les Françaises sont aussi bien meublées que nous.

Mde. de Pom. Ah! ah! madame, vous n'avez point de bas; vos jambes sont nues; vraiment elles sont ornées d'un ruban fort joli en forme de brodequin.

Tullia. Nous ne connaissions point les bas; c'est une invention agréable et commode que je préfère à nos brodequins.

Mde. de Pom. Dieu me pardonne! madame, je crois que vous p'avez point de chemise!

Tullia. Non, madame, nous n'en portions point de notre temps.
Mde, de Pom. Et dans quel temps viviez-vous, madame?

Tullia. Du temps de Sylla, de Pompée, de César, de Caton, de Catilina, de Cicéron, dont j'ai l'honneur d'être la fille; de ce Cicéron, qu'un de vos protégés* a fait parler en vers barbares. J'allai hier à la comédie de Paris; on y jouait Catilina, et tous les personnages de mon temps; je n'en reconnus pas un. Mon père m'exhortait à faire des avances à Catilina; je fus bien surprise. Mais, madame, il me semble que vous avez là de beaux miroirs; votre chambre en est pleine. Nos miroirs n'étaient pas la sixième partie des vôtres. Sontils d'acier?

Mde. de Pom. Non, madame; ils sont faits avec du sable, et rien n'est si commun parmi nous.

Tullia. Voilà un bel art; j'avoue que cet art nous manquait. Ah! le joli tableau que vous avez là !

Mde. de Pom. Ce n'est point un tableau, c'est une estampe; cela n'est fait qu'avec du noir de fumée: on en tire cent copies en un jour, et ce secret éternise les tableaux que le temps consume.

Tullia. Ce secret est admirable: nos Romains n'ont jamais eu rien de pareil.

Un Savant, qui assistait à la toilette, prit alors la parole, et dit à Tullia, en tirant un livre de sa poche: Vous serez bien étonnée, madame, quand vous saurez que ce livre n'est point écrit à la main, qu'il est imprimé à-peu-près comme les estampes, et que cette invention éternise aussi les ouvrages de l'esprit.

Le Savant présenta son livre à Tullia; c'était un recueil de vers pour madame la marquise. Tullia en lut une page, admira les caractères, et dit à l'auteur: Monsieur, l'impression est une belle chose: et si elle peut immortaliser de pareils vers, cela me paraît le plus grand effort de l'art. Mais n'auriez-vous pas du moins employé cette invention à imprimer les ouvrages de mon père?

Le Savant. Oui, madame, mais on ne les lit plus ; j'en suis fâclré pour monsieur votre père; mais aujourd'hui nous ne connaissons guère que son nom.

Alors on apporta du chocolat, du thé, du café, des glaces. Tullia fut étonnée de voir en été de la crème et des groseilles gelées. On lui dit que ces boissons figées avaient été composées en six minutes par le moyen du salpêtre dont on les avait entourées, et que c'était avec du mouvement qu'on avait produit cette fixation et ce froid glaçant. Elle demeurait interdite d'admiration. La noirceur du chocolat et du café lui inspira quelque dégoût ; elle demanda comment ces liqueurs étaient extraites des plantes du pays. Un duc et pair qui se trouva là lui répondit: Les fruits dont ces boissons sont composées viennent d'un autre monde, et du fond de l'Arabie.

Tullia. Pour l'Arabie, je la connais; mais je n'avais pas entendu parler de ce que vous appelez café; et pour l'autre monde, je ne connais que celui d'où je viens, et je vous assure qu'il n'y a point de chocolat dans ce monde-là.

Crébillon, auteur de Catilina, &c.

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