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les ouvrages qui les contiennent ne roulent que sur de petits objets, s'ils sont écrits sans goût, sans noblesse, et sans génie, ils périront, parce que les connaissances, les faits, et les découvertes s'enlèvent aisément, se transportent, et gagnent même à être mises en œuvre par des maius plus habiles. Ces choses sont hors de l'homme, le style est l'homme même; le style ne peut donc ni s'enlever, ni se transporter, ni s'altérer: s'il est élevé, noble, sublime, l'auteur sera également admiré dans tous les temps, car il n'y a que la vérité qui soit durable, et même éternelle. Or un beau style n'est tel en effet que par le nombre infini des vérités qu'il présente. Toutes les beautés intellectuelles qui s'y trouvent, tous les rapports dont il est composé, sont autant de vérités aussi utiles, et peut-être plus précieuses pour l'esprit humain, que celles qui peuvent faire le fond du sujet.

Le sublime ne peut se trouver que dans les grands sujets. La poésie, l'histoire, et la philosophie, ont toutes le même objet, et un très-grand objet, l'homme et la nature. La philosophie décrit et dépeint la nature; la poésie la peint et l'embellit; elle peint aussi les hommes, elle les agrandit, elle les exagère, elle crée les héros et les Dieux. L'histoire ne peint que l'homme, et le peint tel qu'il est ; ainsi, le ton de l'historien ne deviendra sublime que quand il fera le portrait des plus grands hommes, quand il exposera les plus grandes actions, les plus grands mouvemens, les plus grandes révolutions, et partout ailleurs il suffira qu'il soit majestueux et grave. Le ton du philosophe pourra devenir sublime toutes les fois qu'il parlera des lois de la nature, des êtres en général, de l'espace, de la matière, du mouvement et du temps, de l'ame, de l'esprit humain, des sentimens, des passions; dans le reste, il suffira qu'il soit noble et élevé. Mais le ton de l'orateur et du poéte, dès que le sujet est grand, doit toujours être sublime, parce qu'ils sont les maîtres de joindre à la grandeur de leur sujet autant de couleur, autant de mouvement, autant d'illusion qu'il leur plaît; et que, devant toujours peindre et toujours agrandir les objets, il doivent aussi partout employer toute la force, et déployer toute l'étendue de leur génie. Buffon. Discours de Réception à l'Académie Française.

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RÈGLES DE LA VERSIFICATION.

LES vers, à ne les considérer que sous le rapport de leur mécanisme, sont des paroles arrangées selon certaines règles fixes et déterminées.

Ces règles regardent sur-tout le nombre des syllabes, la césure, la rime, les mots que le vers exclut, les licences qu'il permet, et enfin les différentes manières dont il doit être arrangé dans chaque sorte de Poème.

Des différentes espèces de Vers Français.

On compte ordinairement cinq sortes de vers Français. C'est par le nombre des syllabes qu'on les distingue.

1o. Ceux de douze syllabes, comme :

Dans le ré-duit obscur d'u-ne al-co-ve en-fon-cée
S'é-lève un lit de plu-me à grands frais a-mas-sée :
Qua-tre ri-deaux pom-peux, par un dou-ble con-tour,
En dé-fen-dent l'en-trée à la clar-té du jour.

Ces vers s'appellent alexandrins, héroïques ou grands vers.
2o. Ceux de dix syllabes, comme:

Du peu qu'il a le sa-ge est sa-tis-fait.

3o. Ceux de huit syllabes, comme :

L'hi-po-cri-te en frau-des fer-ti-le,
Dès l'en-fan-ce est pé-tri de fard;
Il sait co-lo-rer a-vec art
Le fiel que sa bou-che dis-tille,

4°. Ceux de sept syllabes, comme :

Grand Dieu! vo-tre main ré-clame
Les dons que j'en ai re-çus.
El-le vient cou-per la trame
Des jours qu'elle m'a tis-sus.
Mon der-nier so-leil se lève,
Et vo-tre sou-fle m'en-leve,

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Les vers qui ont moins de six syllabes ne sont guère d'usage que pour la poésie lyrique, et quelques petites pièces badines.

DE LA CESURE.

La césure est un repos, qui coupe le vers en deux parties ou hé. mistiches.

Ce repos doit être à la sixième syllabe dans les grands vers, et à la quatrième dans ceux de dix syllabes. L'esprit et l'usage de la césure sont très-bien exprimés dans ces vers de Boileau :

Que toujours en vos vers le sens coupant les mots,
Suspende l'hémistiche en marque le repos.
Sur les ailes du temps-la tristesse s'envole.

Que le mensonge-un instant vous outrage,
Tout est en feu-soudain pour l'appuyer;
La vérité-perce enfin le nuage,
Tout est de glace-à vous justifier.

Il n'y a que les vers de douze et de dix syllabes qui aient une

césure.

que

Pour la césure soit bonne, il faut que le sens autorise le repos; ainsi dans les vers suivans, la césure est défectueuse,

N'oublions pas les grands-bienfaits de la patrie.
Faites voir un regret-sincère de vos fautes.
Mon père, quoiqu'il eût-la tête des meilleures,
Ne m'a jamais rien fait-apprendre que mes heures.

La césure ne vaut rien dans ces exemples, parce que le sens exige que le mot où est la césure, et celui que le suit, soient prononcés tout de suite et sans pause.

Mais la césure est bonne dans les vers suivans:

Ses chanoines vermeils-et brillans de santé
S'engraissaient d'une longue-et sainte oisiveté.

Ici la césure est bonne, parce qu'on peut faire une petite pause après un substantif suivi de plusieurs adjectifs, ou entre plusieurs adjectifs qui suivent ou qui précèdent un substantif.

I. REMARQUE. Le dernier mot du premier hémistiche, peut se terminer par l'e muet, pourvu que le mot suivant commence par une voyelle.

Ami, lui dit le chantre encor pâle d'horreur,
N'insulte pas de grâce à ma juste terreur.
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse.

II. REMARQUE. Les pronoms cela, celui, celui-là, &c. et de qui mis pour dont, peuvent aussi terminer le premier hémistiche, ou recevoir la césure; on souffre cette négligence, mais il faut se la permettre rarement; elle donne toujours aux vers un air prosaïque.

Il n'est fort entre ceux que tu prends par centaines,
Qui ne puisse arrêter un rimeur six semaines.

Bénissons Dieu de qui la puissance est sans bornes.

Les vers de dix et de douze syllabes sont, comme tous les autres, assujettis aux règles dont il nous reste à parler.

DE LA RIME.

La rime est la convenance de deux sons qui terminent deux vers. Quelquefois on exige aussi qu'il y ait convenance d'orthographe, que deux sons semblables soient représentés par les mêmes lettres.

Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je? mon père y tient l'urne fatale.
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains.
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.

On distingue deux sortes de rimes, la féminine et la masculine. La premiere est celle de vers qui se terminent par un e muet, soit seul, soit suivi d'une s ou d'nt.

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,

Et ne vous piquez point d'une folle vitesse.

Il veut les rappeler, et sa voix les effraie;

Ils courent; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
Dans quels ravissemens, à votre sort liée,

Du reste des mortels je vivrais oubliée.

Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prêt à recevoir l'impression des vices.

C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent.

Ces vers féminins ont une syllabe de plus que les masculins: mais. comme l'e muet sonne faiblement dans la syllabe qui termine le vers, cette syllabe est comptée pour rien.

La rime masculine est celle qui finit par une autre lettre que l'e muet, ou seul, ou suivi d'une s, ou enfin d'nt.

VOL. II.

E E

Chaque vertu devient une divinité;

Minerve est la prudence, et Vénus la beauté.
Le travail est souvent le père du plaisir;

Je plains l'homme accablé du poids de son loisir.

REMARQUE. La syllabe oient, ou aient, qui se trouve dans les imparfaits et les conditionnels des verbes, forme une rime masculine, parce que cette syllabe a le son de l'e ouvert. Ainsi les vers suivans sont masculins.

Aux accords d'Amphion les pierres se mouvaient,
Et sur les murs Thébains en ordre s'élevaient.

RIMES RICHES ET SUFFISANTES.'

Les rimes masculines et féminines se divisent en riches et en suffisantes.

I. La rime riche est formée de deux sons parfaitement semblables, et souvent représentés par les mêmes lettres.

Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant.
Au moment que je parle, ah, mortelle pensée!

Ils bravent la fureur d'une amante insensée.

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II. La rime suffisante est celle qui n'a pas une convenance aussi exacte de sons et d'orthographe.

Hélas! Dieux tout-puissans que nos pleurs vous appaisent,

Que ces vains ornemens, que ces voiles me pèsent!
Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,

A pris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?

III. Dans la rime masculine, on n'a guère égard en général, qu'au dernier son des mots: ainsi maison rime avec poison; piété avec pureté; procès avec succès.

IV. Mais dans la rime féminine, on fait une attention particulière au son de l'avant-dernière syllabe, parce que celui de la dernière n'est ni assez plein, ni assez marqué, pour produire une conformité de son sensible et agréable à l'oreille. Ainsi mère et mare, audace et justice, estime et diadême, ne rimeraient pas ensemble, quoique ces mots se terminent par la même syllabe re, ce, me.

Mais visible et sensible, monde et profonde, justice et précipice, usage et partage, peuvent rimer ensemble, parce que ces mots ont une convenance de sons dans les avant-dernières syllabes.

V. Comme la convenance de sons est essentielle à la rime, on ne saurait bien faire rimer les syllabes brèves avec les longues, les mouillées avec les 7 non mouillées, &c. comme maître et mètre; joûte

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