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AUTRE ÉPIGRAMME.

Entre Racine et l'aîné des Corneilles
Les Chrysogons se font modérateurs :
L'un, à leur gré, passe les sept merveilles ;
L'autre ne plaît qu'aux versificateurs.
Or, maintenant veillez, graves auteurs,
Mordez vos doigts, ramez comme corsaires,
Pour mériter de pareils protecteurs,
Ou pour trouver de pareils adversaires.

DU MADRIGAL.

Le Madrigal plus simple, et plus noble en son tour,
Respire la douceur, la tendresse, et l'amour.

Ce petit poème ne diffère que par là de l'épigramme, dont la pointe est souvent aiguisée par la satire. Exemples:

L'autre jour l'enfant de Cithère,
Sous une treille à demi gris,
Disait, en parlant à sa mère:
Je bois à toi, ma chère Iris.
Vénus le regarde en colère.
Maman, calmez votre courroux;
Si je vous prends pour ma bergère,
J'ai pris cent fois Iris pour vous.

A Madame la Marquise du Châtelet, au nom de Madame de
Boufflers, en lui envoyant une étrenne.

Une étrenne frivole à la docte Uranie!
Peut-on la présenter? oh, très-bien, j'en réponds,
Tout lui plaît, tout convient à son vaste génie :
Les livres, les bijous, les compas, les pompons,
Les vers, les diamans, le biribi, l'optique,
L'algèbre, les soupers, le Latin, les jupons,
L'opéra, les procès, le bal, et la physique.

Réponse de Madame du Châtelet.

Hélas! vous avez oublié
Dans cette longue kirielle
De placer la tendre amitié ;

Je donnerais, tout le reste pour elle.

A Madame de

Vous êtes belle, et votre sœur est belle,
Entre vous deux tout choix serait bien doux,
L'amour était blond comme vous,

Mais il aimait une brune comme elle.

Sur Madame de

Iris s'est rendue à ma foi.
Qu'eut-elle fait pour sa défense?

Nous étions trois, elle, l'Amour, et moi,
Et l'Amour fut d'intelligence.

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SCÈNES COMIQUES EN VERS.

Des succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naqnit la comédie antique.
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir :
L'avare, des premiers, rit du tableau fidèle
D'un avare souvent tracé sur son modèle ;
Et mille fois un fat finement exprimé
Méconnut le portrait sur lui-même formé.

BOILEAU.

Scène du Tartuffe.

ORGON, qui arrive de la campagne, où il avait passé deux jours, CLEANTE, Dorine.

Org.

AH! mon frère, bon jour.

Clé. Je sortais, et j'ai joie à vous voir de retour.

La campagne à présent n'est pas beaucoup fleurie.

Org. (à Cléante) Dorine.-Mon beau-frère, attendez, je vous prie. Vous voulez bien souffrir, pour m'ôter de souci,

Que je m'informe un peu des nouvelles d'ici.

(A Dorine) Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ? Qu'est-ce qu'on fait céans? comme est-ce qu'on s'y porte?

Dor. Madame eut avant-hier la fièvre jusqu'au soir,

Avec un mal de tête étrange à concevoir.

Org. Et Tartuffe ?

Dor.

Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.

Org. Le pauvre homme !

Tartuffe il se porte à merveille,

Le soir, elle eut un grand dégoût,

Il soupa, lui tout seul, devant elle;

Dor.
Et ne put, au souper, toucher à rien du tout,
Tant sa douleur de tête était encore cruelle !
Org. Et Tartuffe ?

Dor.
Et fort dévotement il mangea deux perdrix,
Avec une moitié de gigot en hachis.

Org. Le pauvre homme !

Dor.

La nuit se passa tout entière

Sans qu'elle pût fermer un moment la paupière ;

Des chaleurs l'empêchaient de pouvoir sommeiller,
Et jusqu'au jour, près d'elle, il nous fallut veiller.
Org. Et Tartuffe?

Il

Dor.

Pressé d'un sommeil agréable,
passa dans sa chambre au sortir de la table;
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Qù, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.
Org. Le pauvre homme !"

Dor.

A la fin, par nos raisons gagnée,

Elle se résolut à souffrir la saignée;
Et le soulagement suivit tout aussitôt.
Org. Et Tartuffe?

Dor.

Il reprit courage comme il faut';

Et, contre tous les maux fortifiant son ame,
Pour réparer le sang qu'avait perdu madame,
But, à sou déjeuné, quatre grands coups de vin.
Org. Le pauvre homme!

Dor.
Tous deux se portent bien enfin ;
Et je vais à madaine annoncer, par avance,
La part que vous prenez à sa convalescence.

Clé. A votre nez, mon frère, elle se rit de vous:
Et, sans avoir dessein de vous mettre en courroux,
Je vous dirai tout franc que c'est avec justice.
A-t-on jamais parlé d'un semblable caprice?

Et se peut-il qu'un homme ait un charme aujourd'hui
A vous faire oublier toutes choses pour lui;
Qu'après avoir chez vous réparé sa misère,
Vous en veniez au point-?

1

Org.
Alte-là, mon beau-frère ;
Vous ne connaissez pas celui dont vous parlez.

Clé. Je ne le connais pas, puisque vous le voulez :
Mais enfin, pour savoir quel homme ce peut être.-

Org. Mon frère, vous seriez charmé de le connaître,

Et vos ravissemens ne prendraient point de fin,

[Elle sort.

C'est un homme-qui-ah!-un homme-un homme epfin
Qui suit bien ses leçons, goûte une paix profonde,

Et comme du fumier regarde tout le monde.

Oui, je deviens tout autre avec son entretien ;
Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien,
De toutes amitiés il détache mon ame;

Et je verrais mourir frère, enfans, mère, et femme,
Que je m'en soucierais autant que de cela.

Clé. Les sentimens humains, mon frère, que voilà !
Org. Ah! si vous aviez vu comme j'en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l'amitié que je montre.
Chaque jour à l'église il venait, d'un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.

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Il attirait les yeux de l'assemblée entière
Par l'ardeur dont au ciel il poussait sa prière;
Il fesait des soupirs, de grands élancemens,
Et baisait humblement la terre à tous momens:
Et, lorsque je sortais, il me devançait vite
Pour m'aller, à la porte, offrir de l'eau bénite.
Instruit par son garçon, qui dans tout l'imitait,
Et de son indigence, et de ce qu'il était,
Je lui fesais des dons: mais, avec modestie,
Il me voulait toujours en rendre une partie.
C'est trop, me disait-il, c'est trop de la moitié;
Je ne mérite pas de vous faire pitié.

Et quand je refusais de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il allait le répandre.
Enfin le ciel chez moi me le fit retirer,

Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer.
Je vois qu'il reprend tout, et qu'à ma femme même
Il prend, pour mon honneur, un intérêt extrême;
Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moi six fois il s'en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jusqu'où monte son zèle :
Il s'impute à péché la moindre bagatelle;
Un rien presque suffit pour le scandaliser;
Jusques-là qu'il se vint, l'autre jour, accuser
D'avoir pris une puce en fesant sa prière

Et de l'avoir tuée avec trop de colère.

Clé. Parbleu! vous êtes fou, mon frère, que je crois. Avec de tels discours vous moquez-vous de moi? Et que prétendez-vous? Que tout ce badinageOrg. Mon frère, ce discours sent le libertinage: Vous en êtes un peu dans votre ame entiché ; Et, comme je vous l'ai plus de dix fois prêché, Vous vous attirerez quelque méchante affaire.

Clé. Voilà de vos pareils le discours ordinaire : Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux. C'est être libertin que d'avoir de bons yeux; Et qui n'adore pas de vaines simagrées N'a ni respect ni foi pour les choses sacrées. Allez, tous vos discours ne me font point de peur: Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur. De tous vos façonniers on n'est point les esclaves. Il est de faux dévots ainsi que de faux braves: Et comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit. Les bons et vrais dévots, qu'on doit suivre à la trace, Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace. Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction Entre l'hypocrisie et la dévotion?

Vous les voulez traiter d'un semblable langage,
Et rendre même honneur au masque qu'au visage,
Egaler l'artifice à la sincérité,

Confondre l'apparence avec la vérité,

Estimer le fantôme autant que la personne,
Et la fausse monnaie à l'égal de la bonne ?
Les hommes la plupart sont étrangement faits;
Dans la juste nature on ne les voit jamais:
La raison a pour eux des bornes trop petites,
En chaque caractère ils passent ses limites;
Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent
Pour la vouloir outrer et pousser trop avant,
Que celá vous soit dit, en passant, mon beau-frère.

Org. Oui, vous êtes sans doute un docteur qu'on révère; Tout le savoir du monde est chez vous retiré ;

Vous êtes le seul sage et le seul éclairé,

Un oracle, un Caton dans le siècle où nous sommes ;
Et près de vous ce sont des sots que tous les hommes.
Clé. Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré;
Et le savoir chez moi n'est pas tout retiré.

Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science,
Du faux avec le vrai faire la différence.

Et comme je ne vois nul genre de héros
Qui soit plus à priser que les parfaits dévots,
Aucune chose au monde est plus noble et plus belle
Que la sainte ferveur d'un véritable zèle ;
Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux
Que le dehors plâtré d'un zèle spécieux,
Que ces francs charlatans, que ces dévots de place,
De qui la sacrilège et trompeuse grimace
Abuse impunément, et se joue, à leur gré,
De ce qu'ont les mortels de plus saint et sacré ;
Ces gens qui, par une amne à l'intérêt soumise,
Font de dévotion métier et marchandise,
Et veulent acheter crédit et dignités

A prix de faux clins d'yeux et d'élans affectés ;
Ce gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur non commune
Par le chemin du ciel courir à leur fortune;

Qui, brûlans et prians, demandent chaque jour,
Et prêchent la retraite au milieu de la cour;
Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices,
Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices,
Et pour perdre quelqu'un couvrent insolemment
De l'intérêt du ciel leur fier ressentiment,
D'autant plus dangereux dans leur âpre colère,
Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère,
Et que leur passion, dont on leur sait bon gré,
Veut nous assassiner avec un fer sacré :

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