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Que dis-je? trop heureux que pour moi dans ce jour,
Le devoir dans ton cœur me tienne lieu d'amour.

Zén. Calme les vains soupçons dont ton ame est saisie,
Ou cache-m'en du moins l'indigne jalousie ;

Et souviens-toi qu'un cœur qui peut te pardonner,
Est un cœur que sans crime on ne peut supçonner.

Monologue de Hamlet.

Le même.

Demeure, il faut choisir de l'être et du néant.
Ou souffrir ou périr, c'est-là ce qui m'attend.
Ciel, qui voyez mon trouble, éclairez mon courage.
Faut-il vieillir courbé sous la main qui m'outrage,
Supporter ou finir mon malheur et mon sort?
Qui suis-je, qui m'arrête, et qu'est-ce que là mort?
C'est la fin de nos maux, c'est mon unique asile;
Après de longs transports c'est un sommeil tranquille.
On s'endort, et tout meurt: mais un affreux réveil
Doit succéder peut-être aux douceurs du sommeil.
On nous menace, on dit que cette courte vie,
De tourmens éternels est aussitôt suivie.
O mort! moment fatal! affreuse éternité,
Tout cœur à ton seul nom se glace épouvanté.
Eh! qui pourrait sans toi supporter cette vie,
De nos prêtres menteurs bénir l'hypocrisie,
D'une indigne maîtresse encenser les erreurs,
Ramper sous un ministre, adorer ses hauteurs,
Et montrer les langueurs de son ame abattue
A des amis ingrats qui détournent la vue?
La mort serait trop douce en ces extrémités,
Mais le scrupule parle et nous crie: arrêtez.
Il défend à nos mains cet heureux homicide,
Et d'un héros guerrier fait un Chrétien timide.

Shakespear. Imitation de Voltaire.

Monologue de Caton.

Oui, Platon, tu dis vrai, notre ame est immortelle ;
C'est un Dieu qui lui parle, un Dieu qui vit en elle.
Eh d'où viendrait sans lui ce grand pressentiment,
Ce dégoût des faux biens, cette horreur du néant?
Vers des siècles sans fin je sens que tu m'entraînes ;
Du monde et de mes sens je vais briser les chaînes;
Et m'ouvrir loin du corps, dans la fange arrêté ;
Les portes de la vie et de l'éternité.

L'éternité! quel mot consolant et terrible!

O lumière! o nuage! ô profondeur horrible,

Que suis-je ? où suis je? où vais-je? et d'où suis-je tiré?
Dans quels climats nouveaux, dans quel monde ignoré,
Le moment du trépas va-t-il plonger mon être?
Où sera cet esprit qui ne peut se connaître?
Que me préparez-vous, abîmes ténébreux !
Allons, s'il est un Dieu, Caton doit être heureux.
Il en est un sans doute, et je suis son ouvrage.
Lui-même au cœur du juste il empreint son image.
Il doit venger sa cause et punir les pervers.

Mais comment? dans quel temps et dans quel univers?
Ici la vertu pleure, et l'audace l'opprime;
L'innocence à genoux y tend la gorge au crime;
La fortune y domine, et tout y suit son char.
Ce globe infortuné fut formé pour César.
Hâtons-nous de sortir d'une prison funeste.
Je te verrai sans ombre, ô vérité céleste!
Tu te caches de nous dans nos jours de sommeil ;
Cette vie est un songe et la mort un réveil.

Addison. Imitation du même.

Scène de Mahomet.

ZOPIRE, OMAR, PHANOR, Suite.

Zopire. Eh bien! après six ans tu revois ta patrie,
Que ton bras défendit, que ton cœur a trahie.
Ces murs sont encore pleins de tes premiers exploits,
Déserteur de nos dieux, déserteur de nos lois.
Persécuteur nouveau de cette cité sainte,

D'où vient que ton audace en profane l'enceinte?
Ministre d'un brigand qu'on dût exterminer,
Parle; que me veux-tu ?

Omar.

Je veux te pardonner.

Le prophète d'un Dieu, par pitié pour ton âge,

Pour tes malheurs passés, surtout pour ton courage,
Te présente une main qui pourrait t'écraser;

Et j'apporte la paix qu'il daigne proposer.

Zopire. Un vil séditieux prétend avec audace
Nous accorder la paix, et non demander grâce!
Souffrirez-vous, grands Dieux! qu'au gré de ses forfaits
Mahomet nous ravisse ou nous rende la paix?
Et vous, qui vous chargez des volontés d'un traître,
Ne rougissez-vous point de servir un tel maître?
Ne l'avez-vous pas vu, sans honneurs et sans biens,
Ramper au dernier rang des derniers citoyens ?
Ни

VOL. II.

Qu'alors il était loin de tant de renommée !

Omar. A tes viles grandeurs ton ame accoutumée
Juge ainsi du mérite, et pèse les humains
Au poids que la fortune avait mis dans tes mains.
Ne sais-tu pas encore, homme faible et superbe,
Que l'insecte insensible enseveli sous l'herbe,
Et l'aigle impérieux qui plane au haut du ciel,
Rentrent dans le néant aux yeux de l'Eternel?
Les mortels sont égaux; ce n'est point la naissance,
C'est la seule vertu qui fait leur différence.

Il est de ces esprits favorisés des cieux,

Qui sont tout par eux-même, et rien par leurs aïeux.
Tel est l'homme, en un mot, que j'ai choisi pour maître ;"
Lui seul dans l'univers a mérité de l'être;

Tout mortel à sa loi doit un jour obéir,

Et j'ai donné l'exemple aux siècles à venir.

Zopire. Je te connais, Omar: en vain ta politique
Vient m'éfater ici ce tableau fanatique;

En vain tu peux ailleurs éblouir les esprits;
Ce que ton peuple adore excite mes mépris.
Bannis toute imposture, et d'un coupd'œil plus sage
Regarde ce prophète à qui tu rends hommage;
Vois l'homme en Mahomet; conçois par quel degré
Tu fais monter aux cieux ton fantôme adoré;
Enthousiaste ou fourbe, il faut cesser de l'être;
Sers-toi de ta raison, juge avec moi ton maître:
Tu verras de chameaux un grossier conducteur,
Chez sa première épouse insolent imposteur,
Qui, sous le vain appât d'un songe ridicule,
Des plus vils des humains tente la foi crédule;
Comine un séditieux à mes pieds amené,
Par quarante vieillards à l'exil condamné:
Trop leger châtiment qui l'enhardit au crime.
De caverne en caverne il fuit avec Fatime.
Ses disciples erraus de cités en déserts,
Proscrits, persécutés, bannis, chargés de fers,
Promènent leur fureur, qu'ils appellent divine;
De leurs venins bientôt ils infectent Médine.
Toi-même alors, toi-même, écoutant la raison,
Tu voulus dans sa source arrêter le poison.
Je te vis plus heureux, et plus juste, et plus brave,
Attaquer le tyran dont je te vois l'esclave.
S'il est un vrai prophète, osas-tu le punir?
S'il est un imposteur, oses-tu le servir?

Omar. Je voulus le puuir quand mou peu de lumière
Méconnut ce grand homme entré dans la carrière;
Mais enfin, quand j'ai vu que Mahomet est né
Rour changer l'univers à ses pieds consterné;

Quand mes yeux éclairés du feu de son génie
Le virent s'élever dans sa course infinie;
Eloquent, intrépide, admirable en tout lieu,
Agir, parler, punir, ou pardonner en Dieu;
J'associai ma vie à ses travaux immenses:
Des trônes, des autels en sont les récompenses.
Je fus, je te l'avoue, aveugle comme toi!

Ouvre les yeux, Zopire, et change ainsi que moi;
Et, sans plus me vanter les fureurs de ton zèle,
Ta persécution si vaine et si cruelle,

Nos frères gémissans, notre Dieu blasphémé,
Tombe aux pieds d'un héros par toi-même opprimé.
Viens baiser cette main qui porte le tonnerre.
Tu me vois après lui le premier de la terre;
Le poste qui te reste est encore assez beau

Pour fléchir noblement sous ce maître nouveau ;
Vois ce que nous étions, et vois ce que nous sommes.

Le peuple, aveugle et faible, est né pour les grands hommes,
Pour admirer, pour croire, et pour nous obéir.
Viens régner avec nous, si tu crains de servir;
Partage nos grandeurs, au lieu de t'y soustraire;
Et, las de l'imiter, fais trembler le vulgaire.

Zopire. Ce n'est qu'à Mahomet, à ses pareils, à toi,
Que je prétends, Omar, inspirer quelque effroi.
Tu veux que du sénat le shérif infidèle

Encense un imposteur, et couronne un rebelle!
Je ne te nierai point que ce fier séducteur

N'ait beaucoup de prudence et beaucoup de valeur;
Je connais comme toi les talens de ton maître ;
S'il était vertueux, c'est un héros peut-être:
Mais ce héros, Omar, est un traître, un cruel,
Et de tous les tyrans c'est le plus criminel.
Cesse de m'annoncer sa trompeuse clémence;
Le grand art qu'il possède est l'art de la vengeance.
Dans le cours de la guerre un funeste destin
Le priva de son fils que fit périr ma main.
Mon bras perça le fils, ma voix bannit le père ;
Ma haîne est inflexible, ainsi que sa colère;

Pour rentrer dans la Mecque, il doit m'exterminer,

Et le juste aux méchans ne doit point pardonner.

Omar. Eh bien! pour te montrer que Mahomet pardonne; Pour te faire embrasser l'exemple qu'il te donne, Partage avec lui-même, et donne à tes tribus Les dépouilles des rois que nous avons vaincus. Mets un prix à la paix, mets un prix à Palmire; Nos trésors sont à toi. Zopire.

Tu penses me séduire,

Me vendre ici ma honte, et marchander la paix
Par ses trésors honteux, le prix de ses forfaits?
Tu veux que sous ses lois Palmire se remette?
Elle a trop de vertus pour être sa sujette;
Et je veux l'arracher aux tyrans imposteurs,
Qui renversent les lois et corrompent les mœurs.

Omar. Tu me parles toujours comme un juge implacable,
Qui sur son tribunal intimide un coupable.

Pense et parle en ministre, agis, traite avec moi

Comme avec l'envoyé d'un grand homme et d'un roi.
Zopire. Qui l'a fait roi? qui l'a couronné ?

Omar.

La victoire,

Ménage sa puissance, et respecte sa gloire.
Aux noms de conquérant et de triomphateur,
Il veut joindre le nom de pacificateur.
Son armée est encore aux bords du Saïbare;
Des murs où je suis né le siége se prépare ;
Sauvons, si tu m'en crois, le sang qui va couler:
Mahomet veut ici te voir et te parler.
Zopire. Lui? Mahomet!

Omar.

Zopire.

Lui-même; il t'en conjure.

Si de ces lieux sacrés j'étais l'unique maître,
C'est en te punissant que j'aurais répondu.

Omar. Zopire, j'ai pitié de ta fausse vertu.
Mais puisqu'un vil sénat insolemment partage,
De ton gouvernement le fragile avantage,
Puisqu'il règne avec toi, je cours m'y présenter.

Traître !

Zopire. Je t'y suis; nous verrons qui l'on doit écouter.
Je défendrai mes lois, mes dieux, et ma patrie.
Viens-y contre ma voix prêter ta voix impie
Au dieu persécuteur, effroi du genre humain,
Qu'un fourbe ose annoncer les armes à la main.
(à Phanor)

Toi, viens m'aider, Phanor, à repousser un traître;
Le souffrir parmi nous, et l'épargner, c'est l'être.
Renversons ses desseins, confondons son orgueil;
Préparons son supplice, ou creusons mon cercueil.
Je vais, si le sénat m'écoute et me seconde,
Délivrer d'un tyran ma patrie et le monde.

Voltaire.

Autre scène de Mahomet.

ZOPIRE, MAHOMET.

Zop. Ah, quel fardeau cruel à ma douleur profonde!

Moi, recevoir ici cet ennemi du monde !

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