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Du monde qu'il soumit vous triomphez en paix,
Puissans par son courage, heureux par ses bienfaits;
Il payait le service; il pardonnait l'outrage.

Vous le savez, grands dieux! vous, dont il fut l'image;
Vous, dieux, qui lui laissiez le monde à gouverner,
Vous savez si son cœur aimait à pardonner!

Romains. Il est vrai que César fit aimer sa clémence.
Ant. Hélas! si sa grande ame eût connu la vengeance,
Il vivrait, et sa vie eût rempli nos souhaits.
Sur tous ses meurtriers il versa ses bienfaits;
Deux fois à Cassius il conserva la vie.

Brutus-où suis-je? ô ciel! ô crime! ô barbarie!
Chers amis, je succombe, et mes sens interdits—
Brutus son assassin!- -ce monstre était son fils.
Romains. Ah dieux!

Ant.
Amis, je vois les pleurs qui mouillent vos visages.
Oui, Brutus est son fils: mais vous qui m'écoutez,
Vous étiez ses enfans dans son cœur adoptés.
Hélas! si vous saviez sa volonté dernière !
Romains. Quelle est-elle ? parlez.
Ant.

Je vois frémir vos généreux courages;

Rome est son héritière:

Ses trésors sont vos biens: vous en allez jouir:
Au-delà du tombeau César veut vous servir:

C'est vous seuls qu'il aimait; c'est pour vous qu'en Asie

Il allait prodiguer sa fortune et sa vie :

O Romains, disait-il, peuple-roi que je sers,

Commandez à César, César à l'univers.

Brutus ou Cassius eût-il fait davantage?

Romains. Ah! nous les détestons. Ce doute nous outrage.
Un Romain. César fut en effet le père de l'état.

Ant. Votre père n'est plus: un lâche assassinat

Vient de trancher ici les jours de ce grand homme,
L'honneur de la nature, et la gloire de Rome.
Romains, priverez-vous des honneurs du bûcher
Ce père, cet ami, qui vous était sicher?

On l'apporte à vos yeux.

(Le fond du théâtre s'ouvre; des licteurs apportent le corps de César couvert d'une robe sanglante. Antoine descend de la tribune, et se jette à genoux auprès du corps.)

Romains.

O spectacle funeste!

Ant. Du plus grand des Romains voilà ce qui vous reste ;

Voilà ce dieu vengeur idolâtré par vous,

Que ses assassins même adoraient à genoux,

Qui, toujours votre appui dans la paix, dans la guerre,

Une heure auparavant fesait trembler la terre,

Qui devait enchaîner Babylone à son char,
Amis, en cet état connaissez-vous César?

Vous les voyez, Romains, vous touchez ces blessures,
Ce sang qu'ont sous vos yeux versé des mains parjures.
Là, Cimber l'a frappé; là, sur le grand César
Cassius et Décime enfonçaient leur poignard;
Là, Brutus éperdu, Brutus, l'ame égarée,
A souillé dans ses flancs sa main dénaturée.
César, le regardant d'un œil tranquille et doux,
Lui pardonnait encore en tombant sous ses coups;
Il l'appelait son fils; et ce nom cher et tendre
Est le seul qu'en mourant César ait fait entendre:
O mon fils! disait-il.

Un Romain.

O monstre que les dieux Devaient exterminer avant ce coup affreux !

Autres Romains. (en regardant le corps dont ils sont proche.) Dieux! son sang coule encore.

Ant.
Il demande vengeance,
Il l'attend de vos mains et de votre vaillance,
Entendez-vous sa voix? Réveillez-vous, Romains ;
Marchez, suivez-moi tous, contre ses assassins:
Ce sont-là les honneurs qu'à César on doit rendre?
Des brandons du bûcher qui va le mettre en cendre,
Embrasons les palais de ces fiers conjurés;
Enfonçons dans leur sein nos bras désespérés.
Venez, dignes amis, venez, vengeurs des crimes,
Au dieu de la patrie immoler ces victimes.

Romains. Oui, nous les punirons? oui, nous suivrons vos pas. Nous jurons par son sang de venger son trépas.

Courons.

Ant. (à Dolabella). Ne laissons pas leur fureur inutile;

Précipitons ce peuple inconstant et facile ;

Entraînons-le à la guerre; et, sans rien ménager,

Succédons à César, en courant le venger.

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LE RECUEIL EPISTOLAIRE;

Ou,

Instructions Générales et Particulières sur les divers Genres de Correspondance; suivies d'Exemples puisés dans les Meilleurs Ecrivains Français.

Ecris-moi, je le veux. Ce commerce enchanteur,
Aimable épanchement de l'esprit et du cœur,
Cet art de converser sans se voir, sans s'entendre,
Ce muet entretien si charmant et si tendre
L'art d'écrire, Abeilard, fut sans doute inventé,
Par l'amante captive et l'amant agité.

COLARDEAU.

Du Style Epistolaire.

PEU de personnes dans le cours de leur vie éprouvent le besoin de faire un discours, une dissertation, une pièce de vers; il n'en est point qui ne sente fréquemment la nécessité d'écrire une lettre. Ainsi, les règles du style épistolaire doivent faire partie même de l'éducation la plus ordinaire.

Les lettres ont pour objet de communiquer ses pensées et ses sentimens à des personnes absentes; elles sont dictées par l'amitié, la confiance, la politesse, ou l'intérêt. C'est une conversation par écrit: aussi le ton des lettres ne doit différer de celui de la conversation ordinaire, que par un peu plus de choix dans les objets, de correction dans le style et une plus grande précision. Le naturel et l'aisance forment donc le caractère essentiel du style épistolaire; la prétention à l'esprit et l'afféterie y sont insupportables.

La philosophie, la politique, les arts, les anecdotes, les bonsmots, tout peut entrer dans les lettres; mais avec l'air d'abandon, d'aisance et de premier mouvement qui distingue la conversation des gens d'esprit. Il ne sera question dans ce recueil que de lettres familières sur les sujets qui intéressent la société.

De l'idée que nous venons de donner du style épistolaire naissent toutes les règles qui doivent le caractériser. Elles sont en petit nombre, ou pourrait même les réduire à une seule, et la voici :

puisqu'une lettre et sa réponse ne sont qu'une conversation entre absens, écrivez, comme vous leur parleriez s'ils étaient là, c'est-à-dire avec ce naturel, cette facilité, cet agrément même que demande un entretien familier. Quelle doit être une conversation? claire et simple, ce sont-là aussi les deux qualités du style épistolaire.

Les lettres dont nous avons enrichi ce recueil ont été puisées dans les meilleures sources, puisque c'est Madame de Sévigné, Voltaire, le Cardinal de Bernis, &c. qui vont nous fournir la leçon et l'exemple du bon style.

Du Cérémonial des Lettres.

Madame, monsieur, mademoiselle, se placent au-dessus de la première ligne d'une lettre lorsqu'on écrit à quelqu'un que l'on veut traiter avec beaucoup d'égards ou de politesse. La distance se mesure ordinairement sur le degré de respect qu'on lui porte. Dans les lettres plus familières ces qualifications viennent dans la ligne après les premiers mots : J'ai reçu, monsieur; je suis bien reconnaissant, madame; permettez, mademoiselle, &c.

Lorsque la personne est décorée d'un titre, d'une dignité, ou remplit une charge honorable, &c. il est d'usage de les répéter une ou plusieurs fois suivant l'étendue de la lettre, monseigneur (en parlant à un évêque, à un ministre, &c.) monsieur le maréchal, madame la duchesse, monsieur le président, &c.

Dans les lettres d'affaires, d'égal à égal, entre amis, la date se place au haut de la page. La placer au bas est une marque de déférence ou de respect.

Les lettres se terminent ordinairement par l'expression d'un sentiment de respect, de reconnaissance, d'attachement dont voici quelques exemples:

Recevez, madame, avec bonté l'assurance de mon respectueux attachement.

Agréez, madame, l'hommage de mon respect.

Les sentimens que vous m'avez inspirés, monsieur, sont aussi sincères que durables.

Comptez à jamais, monsieur, sur la reconnaissance et l'attachement de, &c.

Mon tendre et respectueux attachement ne finira qu'avec ma vie. Adieu, je vous embrasse comme je vous aime, et c'est de tout mon

cœur.

Agréez, monsieur, l'hommage des sentimens distingués que je vous ai voués et que vous méritez si bien, &c.

J'ai l'honneur d'étre, monsieur, avec un respect infini.

Agréez, je vous prie, mademoiselle, mes sentimens les plus respectueux..

J'ai l'honneur d'étre, monsieur, avec des sentimens remplis de respect et de considération.

Agréez, je vous prie, les assurances de la haute considération avec laquelle, j'ai l'honneur d'étre, monsieur, &c.

Les expressions ci-dessus sont suivies de la formule d'usage:

Votre très-humble, et très-obéissant ou très-dévoué, ou très-affectionné serviteur, &c. pour un homme.

Votre très-humble, et très-obéissante, ou très-dévouée, ou trèsaffectionnée servante, &c. pour une femme.-La signature se place immédiatement au-dessous.

Il est bon d'observer que le choix parmi ces locutions et beaucoup d'autres, que nous aurions pu egalement donner dépend, en général, de la nature des liaisons et des rapports, entre les personnes qui s'écrivent.

On veut qu'il soit impoli dans une lettre que le respect a dictée, de faire des complimens à un tiers; il faut au moins que cette espèce de liberté soit préparée par un mot d'excuse. Auriez-vous assez de

bonté, monsieur, pour me rappeler au souvenir de, &c.; oserais-je vous prier, madame, de, &c.

La manière la plus simple de plier une lettre est la meilleure ; c'est une marque de respect que de la mettre sous enveloppe. Quand on envoie quelques papiers dans une lettre pour être remis à un tiers, ou doit prévenir par une formule telles que celles-ci: souffrez que Monsieur N. trouve sous ce pli ma réponse au billet, que vous m'avez envoyé de sa part. Permettez que je mette sous votre couvert, &c.

Vous trouverez ci-joint, &c. Je dois avertir que ce mot ci-joint est adverbe s'il précède, et adjectif s'il suit; exemple: vous trouverez ci-joint les mémoires, les pièces, &c.; ou bien les pièces cijointes vous prouveront, &c.

Nous croyons n'avoir oublié aucun détail nécessaire. L'usage et les liaisons ou les rapports, avec les personnes en place et en dignité apprendront d'ailleurs ce qui a pu être omis.

DES LETTRES D'AFFAIRES.

INSTRUCTION.

Le premier, et peut-être le seul mérite de ce genre de lettres, est de dire clairement ce qu'il faut, et de ne rien dire de plus. Toute affectation à l'esprit doit en être bannie. La plaisanterie y serait déplacée comment celui à qui vous écrivez, s'occupera t-il sérieusement de vos affaires, si vous ne les traitez vous-même qu'en badinant? Le seul parti qu'il puisse prendre est de vous imiter, et de n'y pas mettre plus d'importance que vous.

Voltaire savait sans contredit, être plaisant dans une lettre; sa

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