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correspondance en offre partout des preuves; mais il se garde bien de plaisanter avec l'Abbé Moussinot, chargé de ses affaires à Paris. Il ne prodigue pas non plus avec lui cet esprit dont il était si libéra! avec tant d'autres: il sentait bien que l'esprit, dans ce cas-là, n'est propre qu'à détourner l'attention.

Madame de Maintenon en usait de même: point de verbiage, point de phrases; elle va droit au fait; son style sévère se presse, les pensées se serrent, et les mots s'arrêtent toujours où finissent les choses. Ses lettres sont aussi des modèles en ce genre.

C'est du jugement surtout qu'il demande pour ne dire que ce qui est absolument nécessaire. Là il faut toujours sacrifier l'agrément à la précision, ne s'étendre qu'autant que la clarté l'exige, et rejeter avec le plus grand soin ces tournures étranges, ces expressions barbares, ces tours incorrects qu'ont adoptés la plupart des négocians Français.

Un comptoir, je le sais, n'est pas l'académie Française ; mais puisqu'on y écrit en langue Française, encore faut-il que cette langue n'y soit pas estropiée sous la plume des commis,

MODÈLES.

Lettre de Voltaire à M. l'Abbé Moussinot.

M. de Brézé est-il bien solide? qu'en pensez-vous, mon prudent ami? cet article d'intérêt nettement examiné, prenez 20,000 livres chez M. Michel, et donnez-les à M. de Brézé en rentes viagères, au dix pour cent. Cet emploi sera d'autant plus agréable, qu'on sera payé aisément, et régulièrement sur ses maisons à Paris. Arrangez cette affaire pour le mieux; et une fois arrangée, si la terre de Spoy peut se donner pour 50,000 livres, nous les trouverons vers le mois d'Avril. Nous vendrons des actions, nous emprunterons au denier vingt, &c.

Lettre du même au même.

Trente-cinq mille livres pour les tapisseries de la Henriade! C'est beaucoup, mon cher trésorier. Il faudrait, avant tout, savoir ce que la tapisserie de Don Quichotte a été vendue; il faudrait surtout, avant de commencer, que M. de Richelieu me payât mes 50,000 francs. Suspendons donc tout projet de tapisserie, et que M. Oudri ne fasse rien sans un plus amplement informé.

Faites-moi, mon cher abbé, l'emplette d'une petite table qui puisse servir à la fois d'écran et d'écritoire, et envoyez-la de ma part chez Madame de Vinterfeld, rue Platrière.

Encore un autre plaisir: il y a un chevalier de Mouhy, qui demeure à l'hôtel Dauphin, rue des Orties. Ce chevalier veut m'emprunter cent pistoles, et je veux bien les lui prêter. Soit qu'il vienne

chez vous, soit que vous alliez chez lui, je vous prie de lui dire que mon plaisir est d'obliger les gens de lettres quand je le puis; mais que je suis actuellement très-mal dans mes affaires; que cependant vous ferez vos efforts pour trouver cet argent, et que vous espérez que le remboursement en sera délégué de façon qu'il n'y ait rien à risquer. Après quoi vous aurez la bonté de me dire ce que c'est que ce chevalier, et le résultat de ces préliminaires.

Dix-huit francs au petit d'Arnaud: dites-lui que je suis malade, et que je ne puis écrire. Pardon de toutes ces guenilles; je suis un bavard bien importun; mais je vous aime de tout mon cœur,

Lettre du même au même.

Je vous prie, mon cher abbé, de faire chercher une montre à secondes chez Leroi, ou chez Lebou, ou chez Tiout, enfin la meilleure montre, soit d'or ou d'argent, il n'importe, le prix n'importe pas davantage. Si vous pouvez charger de cette montre à répétition, l'honnête Savoyard que vous nous avez déjà envoyé ici à cinquante sous par jour, et que nous récompenserons encore outre le prix convenu, vous l'expédierez tout de suite, et vous ferez là une affaire dont je serai satisfait.

D'Hombre, que vous connaissez, a fait banqueroute; il me devait 15,000 francs: il vient de faire un contrat avec ses créanciers, que je n'ai point signé. Parlez, je vous prie, à un procureur, et qu'on m'exploite ce drôle dont je suis très-mécontent.

J'ai lu l'épitre de d'Arnaud : je ne crois pas que cela soit inprimé, nidoive l'être. Dites-lui que ma santé ne me permet pas d'écrire à personne, mais que je l'aime beaucoup. Retenez-le quelquefois à dîner chez M. Dubreuil; je paierai les poulardes très-volontiers. Eprouvez son esprit et sa probité, afin que je puisse le placer. Je vous le répète, mon cher ami, vous avez carte blanche sur tout, et je n'ai jamais que des remercîmens à vous faire.

DES LETTRES DE DEMANDE.

INSTRUCTION.

Une demande par écrit ne se fait que de deux manières; par un placet ou par une lettre. Le premier ne s'adresse qu'à des gens en place, et il est soumis à des formes qui n'ont rien de commun avec le style épistolairé. La seconde n'a de règles que celles qui sont dictées par la circonstance: que demande-t-on et à qui?

Si la personne est fort au-dessus de nous, il faut un ton plus respectueux que si l'on en était à une moindre distance. Si la chose est aisée à obtenir, il ne faut pas mettre autant d'instance que dans le cas où il y aurait des obstacles à vaincre. Si le service, enfin, dépend de celui à qui l'on s'adresse, il y a peut-être quelques ménagemens de

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moins à garder que si le service exigeait de sa part l'entremise d'un tiers.

Homère en peignant les prières humbles, boiteuses, et marchant les yeux baissés, nous indique assez qu'un air présomptueux et vain n'est pas propre à concilier la bienveillance de celui dont on sollicite la faveur.

Ces sortes de lettres souffrent un peu de prolixité, soit pour exposer l'espèce d'embarras où l'on se trouve, soit pour détailler la nature du service que l'on attend.

Elles veulent, surtout, beaucoup d'adresse, afin de rendre favorable à nos désirs l'homme qui peut les satisfaire. Parlez à son cœur, intéressez son amour-propre, faites valoir vos rapports avec lui, développez l'importance que vous attachez à la grâce demandée, peignez, surtout, la durée et la vivacité de la reconnaissance que vous en conserverez, &c.

La familiarité siérait mal dans une lettre de ce genre, la gaiété encore moins: on ne croit guère au besoin de celui qui demande en

riant.

Il n'est permis qu'à l'amitié de plaisanter, de commander même quand elle sollicite.

MODÈLES.

Lettre de Voltaire à M. de s'Gravesende.

Vous vous souvenez, monsieur, de l'absurde calomnie que l'on fit courir dans le monde pendant mon séjour en Hollande; vous savez si nos prétendues disputes sur le spinosisme, et sur des matières de religion, ont le moindre fondement: vous avez été si indigné de ce mensonge que vous avez daigné le réfuter publiquement; mais la calomnie a pénétré jusqu'à la cour de France, et la réfutation n'y est pas parvenue. Le mal a des ailes, et le bien va à pas de tortue. Vous ne sauriez croire avec quelle noirceur on a écrit et parlé au cardinal de Fleuri. Tout mon bien est en France, et je suis dans la nécessité de détruire une imposture que, dans votre pays, je me contenterais de mépriser à votre exemple.

Souffrez donc, mon aimable et respectable philosophe, que je vous supplie très-instamment de m'aider à faire connaître la vérité. Je n'ai point encore écrit au cardinal pour me justifier. C'est une posture humiliante que celle d'un homme qui fait son apologie: mais c'est un beau rôle que celui de prendre en main la défense d'un homme innocent. Le rôle est digne de vous, et je vous le propose comme à un homme qui a un cœur digne de son esprit. Ecrivez au cardinal; deux mots et votre nom feront beaucoup, je vous en réponds. Il en croira un homine accoutumé à démontrer la vérité. Je vous remercie, et je me souviendrai toujours de celles que vous m'avez enseignées : je n'ai qu'un regret, c'est de n'en plus apprendre sous vous. Je vous

lis au moins ne pouvant vous plus vous entendre.

L'amour de la

En

vérité m'avait conduit à Leyde; l'amitié seule m'en a arraché. quelque lieu que je sois, je conserverai pour vous le plus tendre attachement, et la plus parfaite estime.

Lettre de M. de Baville à Madame de Maintenon, 1714.

MADAME,-Vous avez eu la bonté de me permettre de recourir à vous dans les affaires les plus importantes qui pouvaient me regarder. Dans cette confiance, je vous prie de m'accorder votre protection. Je demande au roi de donner à mon fils une place de conseiller d'état, en remettant celle que je remplis. J'ai considéré qu'étant hors d'état de servir S. M. dans ses conseils, à cause de ma surdité, j'étais devenu inutile; et n'ayant qu'un fils, j'avoue que l'objet de mes vœux serait de lui voir cet établissement.

Daignez, madame, me donner en cette occasion des marques de vos anciennes bontés pour un vieillard sourd, goutteux, reconnaissant, et revenu de toute ambition, mais non des sentimens paternels.

Lettre de Marmontel à M. le duc de Choiseul, pour lui demander une audience particulière.

MONSEIGNEUR,-On me dit que vous prêtez l'oreille à la voix qui m'accuse et qui sollicite ma perte. Vous êtes puissant, mais vous êtes juste; je suis malheureux, mais je suis innocent. Je vous prie de m'entendre et de me juger.

Je suis avec un profond respect, &c.

DES RÉPONSES AUX LETTRES DE DEMANDE.

INSTRUCTION.

Je ne connais que trois manières de répondre à une lettre de demande, accorder, refuser, ou promettre. La première est, sans contredit, la plus agréable: il est si doux d'obliger! et celui qui rend le service jouit peut-être encore plus que celui qui le reçoit. Mais, en ce cas, joignez la promptitude à la manière gracieuse; c'est doubler le bienfait que de ne le pas différer; l'homme qui l'attend est dans une sorte d'impatience dont on ne peut trop tôt le délivrer; et l'on s'assure un droit de plus à sa reconnaissance, en accélérant le moment qui doit satisfaire son désir.

Au reste il faut peu d'art pour donner: c'est le refus qui en exige'; parce qu'alors on n'est plus soutenu par son cœur et que l'on a même souvent à le combattre en raison de ce que le refus tient à des objets, ou s'adresse à des personnes qu'il est pénible de refuser. On s'étend alors plus ou moins sur le chapitre des regrets, sans donner pourtant

aux témoignages de sa sensibilité, ce vernis de phrases et de formules qui en détruit tout le charme.

S'il reste quelque rayon d'espoir, on invite à le saisir, et l'on promet de faire tout ce qu'il faudra de son côté, pour faire succéder la réalité à l'espérance. L'espérance est effectivement en des occurrences pareilles, la meilleure consolation qui puisse être offerte à ceux qui ont échoué dans leurs projets.

MODÈLES.

Réponse de Voltaire à M. Lebrun.*

Je vous ferais, monsieur, attendre ma réponse quatre mois au moins si je prétendais la faire en aussi beaux vers que les vôtres; il faut me borner à vous dire en prose combien j'aime votre ode et votre proposition: il convient assez qu'un vieux soldat du grand Corneille tâche d'être utile à la petite-fille de son général. Quand on bâtit des châteaux et des églises, et qu'on a des parens pauvres à soutenir, il ne reste guère de quoi faire ce qu'on voudrait pour une personne qui ne doit être secourue que par les plus grands du royaume.

Je suis vieux, j'ai une nièce qui aime tous les arts, et qui réussit dans quelques-uns: si la personne dont vous me parlez, et que vous connaissez sans doute, voulait accepter auprès de ma nièce l'éducation la plus honnête, elle en aurait soin comme de sa fille ; je chercherais à lui servir de père. Le sien n'aurait absolument rien à dépenser pour elle; on lui paierait son voyage jusqu'à Lyon où elle serait adressée à M. Tronchin, qui lui fournirait une voiture jusqu'à mon château, ou bien une femme irait la prendre dans mon équipage. Si cela convient, je suis à vos ordres; et j'espère avoir à vous remercier, jusqu'au dernier jour de ma vie, de m'avoir procuré l'honneur de faire ce que devait faire M. de Fontenelle. Une partie de l'éducation de cette demoiselle serait de nous voir jouer quelquefois les pièces de son grand-père, et nous lui ferions broder les sujets de Cinna et du Cid. †

J'ai l'honneur d'être, avec toute l'estime et tous les sentimens que je vous dois, &c.

Lettre de Voltaire à Madame la Princesse de Ligne, qui lui avait demandé des vers pour le Buste de Madame de Brionne. MADAME,-Vous vous adressez à une fontaine tarie, pour avoir un peu d'eau d'Hippocrène. Je ne suis qu'un vieillard malade au pied des Alpes, qui ne sont pas le mont Parnasse. Ne soyez pas surprise si j'exécute si mal vos ordres. Il est plus aisé de mettre

*Il lui avait écrit en faveur de Mademoiselle Corneille, + Célèbres tragédies de Corneille.

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