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représentations. C'est à la faveur de ces sortes de compositions que le gros des spectateurs avait pris goût pour l'auteur, et plus de gens vont à la comédie pour rire qu'il n'y en a pour admirer. >>

Certes. Et Molière, directeur et comédien, sacrifiant parfois à ce que ses ennemis appelaient les turlupinades, est autrement excusable que les faiseurs d'aujourd'hui, entrepreneurs de succès, qui n'ont d'autre troupe à nourrir que leurs appétits personnels et qui cependant flattent le public dans ce qu'il a de bas et de niais, oubliant ainsi que le talent et le génie sont faits pour guider la foule et non pour la suivre en esclaves bien rentés et bien repus.

Tel fut chez Molière le comédien, celui qu'on bafoua avec tant de haine, mais aussi celui qu'un ontemporain, l'auteur du Livre sans nom (publié à Lyon, chez Baritel l'aîné, MDCCXI), plaçait déjà, presque au lendemain de la mort du pauvre grand homme, au rang des poëtes immortels.

En effet, dans ce livre précieux, lorsque Eaque et Radamante, les juges infernaux, devant qui tous les personnages de Molière, entre autres un Limosin, viennent se plaindre et réclament contre le malheureux un bannissement de six cents ans aux Enfers, et que les juges demandent où loge Molière : « A l'auberge des Poëtes, est-il répondu, avec Térence et Plaute ! »

La postérité n'a pas mieux dit.

VI

LES CALOMNIATEURS DE MOLIÈRE.

Es pages ne sont point- ai-je besoin de le dire à présent?

-

une biographie suivie de Molière, mais une suite d'études assez curieuses, croyons-nous, et faites d'après des documents certains. On a souvent dit que Molière avait été cruellement, brutalement attaqué, mais on n'a point cité d'ordinaire les attaques et les injures. Elles valaient cependant d'être recueillies, ne fût-ce que pour inspirer à toute âme l'horreur et le dédain de ces calomnies qui, devant l'avenir, ne souillent jamais que ceux qui ont osé s'en faire une arme contre le talent ou la probité.

M. P. Lacroix a réuni dans une suite précieuse de petits livres, la Collection Moliéresque, fort difficile à compléter aujourd'hui, la plupart de ces pamphlets qu'il a fort obligeamment mis à notre disposition. Ils forment l'une des parties intéressantes de cette Bibliothèque Moliéresque, collection

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unique peut-être et que conserve M. Ed. Thierry dans un des cabinets de la Réserve de la Bibliothèque de l'Arsenal. On éprouve une certaine tristesse à feuilleter ces pages vénéneuses et à se dire que chacun des traits empoisonnés qu'elles contiennent allait frapper le pauvre Molière en plein cœur. Que la haine et l'envie peuvent forger de méchancetés!

Tant de fiel entre-t-il dans l'âme d'un dévot?

s'écriait Molière. Il aurait pu ajouter d'un dévot et d'un lettré de bas étage. Les lettres font crever une vésicule particulière dans poitrine de l'homme lorsqu'elles ne le grandissent et ne l'épurent pas.

D'ailleurs, aux envieux et aux impuissants, il faut bien un prétexte pour passer à la postérité; ce prétexte, c'est la calomnie! Qui se souviendrait de Jaulnay, de B. de Somaize, de Roulès, de Le Boulanger de Chalussay, si Molière n'avait pas emporté ces haineux et médiocres personnages dans le rayonnement de sa gloire et comme on emporterait un insecte sur son manteau?

Un des pamphlets les moins odieux, et pourtant les plus amers, qu'on ait publiés sur Molière, c'est le Mariage sans mariage du comédien Marcel, représenté sur le théâtre du Marais en 1671. Ce Marcel, d'abord fort lié avec Molière, se réconcilia avec lui depuis la représen

tation du Mariage sans mariage, à en juger par les épitaphes louangeuses qui parurent, signées de ce nom Marcel, après la mort du grand comique.

Dans ce Mariage sans mariage1, l'auteur nous avertit que le héros ressemble beaucoup à l'original sur lequel il a copié les brusqueries d'Anselme et ses extravagances. Cet Anselme, marchand enrichi, est une sorte de Sganarelle de l'École des maris. Son cas est grave: il est «< impuissant » ; or il est indiqué dans le livre de la Fameuse comédienne que Molière était parfois affligé de ce malheur. L'Isabelle du Mariage sans mariage serait donc Armande Béjart. C'était peut-être là son nom de théâtre, outre ce nom romanesque de Grésinde dont elle s'était affublée ou parée. Clotaire, ami d'Anselme, et épris d'Isabelle, nous représenterait Baron, ce petit Baron que Molière avait adopté et qu'il aimait comme un fils :

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Quoique depuis six ans que, voyageant tous deux,
D'une forte amitié nous serrasmes les nouds,
Il m'ait toujours traité comme son propre père...

On reconnaît, çà et là, plus d'un trait du caractère de Molière. Par exemple, Isabelle se plaint que son mari ne croit pas à la vertu des femmes :

Pour leur commun malheur il s'est mis dans la teste Qu'à moins que de l'espreuve, il n'en est point d'honneste.

1. Publié d'après l'édition de Paris, 1670. J. Gay et fils (Turin, 1869).

Et Marcel fait redire à son Anselme ce vers de Molière tout entier et très-exactement cité :

La femme est, sans mentir, un fâcheux animal.

Les infortunes conjugales de Molière forment d'ailleurs le fond ordinaire des pièces dirigées contre l'auteur de l'École des maris. Un ennemi violent, Boudeau de Somaize, dans sa comédie des Véritables Précieuses (Jean Ribou, 1660), se moque de Molière, qu'il ridiculise sous le pseudonyme de Mascarille. Molière le força même à supprimer certain passage de la mort de Lussetu-cru qu'il montrait lapidé par les femmes.

Un autre pamphlet, plus violent, en réponse au Cocu imaginaire (joué le 18 mars 1660), ce fut la Cocue imaginaire. Le privilége est daté du 25 juillet 1660.

L'auteur, faisant allusion à Molière, écrit qu'il «< cache sous une fausse vertu tout ce que l'insolence a de plus effronté. >>

« Il s'érige, ajoute-t-il, en juge et condamne à la berne les singes, sans voir qu'il prononce un arrest contre luy, en le prononçant contre eux, puisqu'il est certain qu'il est singe en tout ce qu'il fait. » C'est là qu'on trouve que Molière a copié les Précieuses de M. l'abbé de Pure, jouées aux Italiens, qu'il a acheté de la veuve les Mémoires de GuillotGorju, et qu'il en a tiré toute sa gloire! Et l'auteur reprend, après Molière, restitue le vrai langage

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