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PRÉFACE

IMER Molière, j'entends l'aimer

sincèrement et de tout cœur, — c'est,

savez-vous? avoir une garantie en

soi contre bien des défauts, bien des travers et des vices d'esprit. C'est ne pas aimer d'abord tout ce qui est incompatible avec Molière, tout ce qui lui était contraire en son temps, ce qui lui eût été insupportable du nôtre.

Aimer Molière, c'est être guéri à jamais, je ne parle pas de la basse et infâme hypocrisie, mais du fanatisme, de l'intolérance et de la dureté en ce genre, de ce qui fait anathématiser et maudire; c'est apporter un correctif à l'admiration même pour Bossuet et pour tous ceux qui, à son

image, triomphent, ne fût-ce qu'en paroles, de leur ennemi mort ou mourant; qui usurpent je

ne sais quel langage sacré et se supposent involontairement, le tonnerre en main, au lieu et place du Très-Haut. Gens éloquents et sublimes, vous l'étes beaucoup trop pour moi.

Aimer Molière, c'est être également à l'abri et à mille lieues de cet autre fanatisme politique, froid, sec et cruel, qui ne rit pas, qui sent son sectaire, qui, sous prétexte de puritanisme, trouve moyen de pétrir et de combiner tous les fiels et d'unir dans une doctrine amère les haines, les rancunes et les jacobinismes de tous les temps. C'est ne pas être moins éloigné, d'autre part, de ces âmes fades et molles qui, en présence du mal, ne savent ni s'indigner ni haïr.

Aimer Molière, c'est être assuré de ne pas aller donner dans l'admiration béate et sans limite pour une humanité qui s'idolâtre et qui oublie de quelle étoffe elle est faite, et qu'elle n'est toujours, quoi qu'elle fasse, que l'humaine et chétive

nature. C'est ne pas la mépriser trop pourtant, cette commune humanité dont on rit, dont on est, et dans laquelle on se replonge chaque fois avec lui par une hilarité bienfaisante.

Aimer et chérir Molière, c'est être antipathique à toute manière dans le langage et l'expression; c'est ne pas s'amuser et s'attarder aux grâces mignardes, aux finesses cherchées, aux coups de pinceau léchés, au marivaudage en aucun genre, au style miroitant et artificiel.

Aimer Molière, c'est n'être disposé à aimer ni le faux bel esprit, ni la science pédante; c'est savoir reconnaître à première vue nos Trissotins et nos Vadius jusque sous leurs airs galants et rajeunis; c'est ne pas se laisser prendre aujourd'hui plus qu'autrefois à l'éternelle Philaminte, cette précieuse de tous les temps, dont la forme seulement change, et dont le plumage se renouvelle sans cesse; c'est aimer la santé et le droit sens de l'esprit chez les autres comme pour soi. SAINTE-BEUVE.

Molière est si grand, que chaque fois qu'on le relit on éprouve un nouvel étonnement. C'est un homme unique; ses pièces touchent à la tragédie, elles saisissent et personne en cela n'ose l'imiter... Tous les ans, je lis quelques pièces de Molière, de même que de temps en temps je contemple les gravures d'après de grands maîtres italiens. Car de petits êtres comme nous ne sont pas capables de garder en eux la grandeur de pareilles œuvres; il faut que de temps en temps nous retournions vers elles pour rafraîchir nos impressions (12 mai 1825).

...

.. Quel homme que Molière! quelle âme grande

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et pure! Oui, c'est là le vrai mot que l'on doit dire sur lui: c'était une âme pure! En lui rien de caché, rien de difforme. Et quelle grandeur! Il gouvernait les mœurs de son temps; au contraire Ifland et Kotzebue se laissaient gouverner par les mœurs du leur; ils n'ont pas su les franchir et s'élancer au delà. Molière montrait aux hommes ce qu'ils sont pour les châtier (29 janvier 1826).

... Je connais et j'aime Molière depuis ma jeunesse et pendant toute ma vie j'ai appris de lui...

Ce n'est pas seulement une expérience d'artiste achevé qui me ravit en lui; c'est surtout l'aimable naturel, c'est la haute culture de l'âme du poëte. Il y a en lui une grâce, un tact des convenances, un ton délicat de bonne compagnie que pouvait seule atteindre une nature comme la sienne, qui, étant née belle par elle-même, a joui du commerce journalier des hommes les plus remarquables de son siècle. De Ménandre je ne connais que quelques fragments; mais ils me donnent de lui une si haute idée, que je tiens ce grand Grec pour le seul homme qui puisse être comparé à Molière (28 mars 1827).

GOETHE.

Je me figure que Dieu, dans sa bonté, voulant donner au genre humain le plaisir de la comédie, créa Molière et le laissa tomber sur

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