Images de page
PDF
ePub

à peine! Quel étonnement! On croirait voir, en comparant telle comédie célèbre à cette fantaisie de Molière, un dessin d'un journal de mode à côté d'un croquis de Callot; on croirait entendre une chanson à jamais charmante, éclose sous le ciel de Naples, après un vieux refrain de canotiers retrouvé dans les échos de Bougival.

Cette comédie ensoleillée, l'Étourdi, donne exactement l'impression d'un doigt de vin muscat dégusté sous la treille, en face de la mer bleue, de Sorrente ou de Caprée. C'est Molière à Naples et s'amusant avec Pulcinella, tout en songeant à Georges Dandin.

III

MOLIÈRE INTIME.

E n'était pas, lorsque Molière vint interpréter Nicomède devant le roi, la première fois qu'il jouait la comédie à Paris. Plusieurs années auparavant, « quelques bourgeois » et lui s'étaient, nous l'avons vu, avisés de jouer la comédie entre compères. Molière, mordu par l'amour du théâtre, avait, dit-on, trouvé un encouragement chez son grand-père, qui l'adorait et qui, en vrai Parisien, adorait aussi le théâtre. Lorsque Poquelin le père se fâchait de voir son fils courir écouter les bouffons, le grand-père souriait et se disait qu'après tout le métier de comédien avait ses charmes. Bref, Molière et ses amis les amateurs de théâtre s'établirent dans le jeu de Paume de la Croix-Blanche, au faubourg Saint-Germain. « Ce fut alors, dit un biographe1, que Molière prit le

1. Bruzen de la Martinière qui compléta ou plutôt refit la Vie de Molière de Grimarest, et se servit des souvenirs d'un vieux comédien de la troupe de Molière,

nom qu'il a toujours porté depuis, mais lorsqu'on lui a demandé ce qui l'avoit engagé à prendre celui-là plutôt qu'un autre, jamais il n'en a voulu dire la raison, même à ses meilleurs amis. Ce silence n'a rien de fort merveilleux peut-être que la Polyxène, roman qui avoit alors quelque réputation et dont l'auteur se nommoit Molière, eut quelque part à ce choix. >>

Bret, dans son édition des Euvres de Molière (Paris, 1773), fait suivre la Vie de Molière par Voltaire, qu'il réimprime, d'un supplément où il rapporte une tradition qu'il est bien difficile de contrôler, mais qu'on ne saurait passer sous silence. A en croire Bret, « un nommé Poquelin, Écossois, fut un de ceux qui composèrent la garde que Charles VII attacha à sa personne sous le commandement du général Patilloc. Les descendants de ce Poquelin s'établirent, les uns à Tournai, les autres à Cambrai, où ils ont joui longtemps des droits de la noblesse : les malheurs des temps leur firent une nécessité du commerce dans lequel quelques-uns d'entre eux vinrent faire oublier leurs priviléges à Paris. >>

nommé Marcel. L'édition que j'ai consultée est celle d'Amsterdam, 1735. Les Œuvres de M. de Molière, augmentées d'une nouvelle Vie de l'auteur, avec figures en taille-douce (Amsterdam, chez Herman Uytwerf, 1735). Cette édition contient l'Ombre de Molière, de Brécourt. La tradition relative au grand-père de Molière est sans doute apocryphe.

[ocr errors]

Que le Poquelin, père de Molière, descendît de ces Poquelin d'Écosse ou qu'il fût tout bonnement de race parisienne, toujours est-il que Molière seul nous inquiète, nous intéresse, et que le nom de guerre du jeune homme a fait oublier l'autre devant la postérité. Et pourtant on connaît aujourd'hui, grâce aux recherches de M. Eud. Soulié, les parents de Molière jusque dans les vêtements dont ils se vêtaient, on a compté les bijoux et les collerettes de Marie Cressé, on a pénétré dans ce riche intérieur de marchand tapissier, on a, pour ainsi dire, touché le décor qui encadrait la vie quotidienne de ces honnêtes bourgeois parisiens, enrichis par leur constant labeur et leur vieille probité. Molière, lui, allait et venait, courait la ville, écoutait, étudiait, et, avant de monter sur l'Illustre-Théâtre, s'amusait aux lazzis de Scaramouche et s'instruisait aux leçons de Gassendi. On sait qu'à ces leçons, il rencontrait Bernier, Hesnaut, Cyrano-Bergerac. Avec ce dernier, il avait esquissé déjà quelque comédie, et plus tard, lorsqu'il emprunta un mot devenu célèbre au Pédant joué de Cyrano, il ne fit, comme il le dit, que reprendre son bien où il le trouvait 1.

1. Ce mot est celui des Fourberies de Scapin. Dans le Pédant joué, Cyrano fait dire, dans la scène entre Granger et Corbinelli (acte II, scène Iv): · :- Que diable aller faire dans la galère d'un Turc! Il avait peut-être emprunté le trait aux premiers essais de Molière. D'ailleurs, il gâte bien vite ce que l'exclamation a de char

[ocr errors]

La vie de province, cette dure vie laborieuse, avait fait que Molière, arrivant à Paris, possédait désormais plus de sujets qu'il n'en fallait pour alimenter son théâtre. « On ne lui a jamais donné de sujets, dit B. de la Martinière. Il en avoit un magasin d'ébauchez par la quantité de petites farces qu'il avoit hasardées dans la province. » On a vu qu'il avait débuté au Louvre par le Docteur amoureux. Mais son répertoire comptait alors bien d'autres pièces dont nous n'avons plus que les titres et qui ne figurent point dans ses œuvres complètes. L'Étourdi, imité de l'Inadvertito, ouvre la marche des comédies que la postérité a recueillies, mais avant l'étourdi, Molière n'avait-il pas écrit le Docteur amoureux, les Trois Docteurs rivaux, le Maître d'école, le Médecin volant, la Jalousie de Barbouillé, sans compter les farces qu'on lui attribue, le Fagoteux, le Médecin par force, Gorgibus dans le sac, le Grand Benet de fils, et certaine comédie en trois actes, Joquenet ou les vieillards dupés, où le bibliophile Jacob a cru trouver la première forme des Fourberies de Scapin1?

Molière écrivit même alors des ballets et M. P. Lacroix a publié le ballet des Incompatibles, à huit entrées, dansé à Montpellier devant Mer le Prince

mant par un trait de mauvais goût: O galère! galère! s'écrie Granger, tu mets bien ma bourse aux galères!

1. L'Alcantor de Joquenet ne serait autre qu'Argante, Garganelle que Géronte, et Sylvie que Zerbinette.

« PrécédentContinuer »