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parens en prennent leur part : nous occupons de cette manière une grande partie de la matinée et nous obtenons par là un autre avantage, celui d'utiliser et même de sanctifier le repos du samedi; car les Juifs entendent le sabbat comme tout le reste, dans un sens matériel et grossier. C'est pour eux le temps d'un légitime désœuvrement, d'une sainte fainéantise. Nous leur avons montré en plusieurs instructions que le repos, dans le sens de l'Écriture, consiste non dans l'oisiveté du corps, mais dans le détournement momentané de l'esprit des œuvres serviles et des intérêts de la terre, afin de l'élever aux choses spirituelles, de le renouveler, de le récréer par la méditation de la loi divine, de le retremper dans la prière; et que c'est seulement ainsi que l'âme humaine portant son désir et son regard vers Dieu, tend à se poser et à se reposer en Lui. Ils ont pris goût à ces instructions philosophiques et religieuses; et voilà qu'ils accourent en foule, tellement que l'enceinte de l'école suffit à peine pour les contenir. Ce n'est pas tout. On a été frappé de l'ordre, du calme et de la décence qui règnent dans nos assemblées, et qui contrastent si fort avec le tumulte scandaleux de la Synagogue; et voilà que le consistoire lui-même, dans l'intérêt de la moralité des enfans, nous a suggéré l'idée de les retenir dans l'école pour les exercices religieux du sabbat; en sorte que nos élèves ne sont plus obligés d'aller à la Synagogue. Enfin, notre société d'encouragement pour le travail,

complément nécessaire de nos écoles, a pris un développement rapide et qui dépasse nos espérances. Nous avons déjà placé en apprentissage d'arts et de métiers un bon nombre de jeunes Israélites et nous convoquerons prochainement une assemblée générale de tous les souscripteurs, parmi lesquels sont inscrits les premiers fonctionnaires du département. Cette institution naissante inspire déjà assez de confiance, pour que le premier magistrat de la cité nous ait permis de tenir notre réunion publique dans la grande salle de l'hôtel-de-ville. Ce sera un spectacle bien extraordinaire que celui d'une assemblée composée en grande partie de Chrétiens, où figureront les premières autorités civiles et militaires et qui sera présidée par un Juif! Il m'a semblé, mon cher maître, que dans une telle circonstance il fallait quelque solemnité; et je me suis hasardé à composer un discours, dans lequel, à l'occasion du compte à rendre aux sociétaires, j'ai présenté quelques considérations sur l'état moral des Juifs d'aujourd'hui, état vraiment singulier et que ceux-ci connaissent aussi peu que le commun des Chrétiens. Vous me permettrez de vous soumettre ce petit travail dont vous reconnaîtrez aisément l'esprit. Mais combien il m'en a coûté, en écrivant ces pages, pour conserver mon caractère extérieur de Juif parlant à des Juifs? A chaque ligne, la lumière qui est venue éclairer mes ténèbres était prête à éclater. J'aurais voulu leur dire : «O hommes d'Israël! jusqu'à quand resterez-vous

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dans l'ignorance, assis dans l'ombre de la mort ? Jusqu'à quand le voile épais pesera-t-il sur votre «cœur? Aurez-vous toujours des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre? Vous êtes dans l'étonnement à la vue de ce qui s'opère au milieu de vous en faveur de vos enfans ; et vous croyez «que c'est nous, fils de Jacob et participant au péché «de nos pères comme vous, qui produisons ces œuvres. Vous nous en rapportez la gloire; et elle appar«tient tout entière à un plus puissant que nous, dont "nous ne sommes que les instrumens. C'est l'esprit d'Adonaï, l'esprit du Seigneur qui a inspiré à un <homme vertueux une tendre sollicitude pour vous et vos enfans; c'est sa charité active qui nous a portés «à nous dévouer pour eux ; c'est elle qui nous anime, "nous fortifie et nous guide. Le dévoûment soutenu 'est le fruit de la charité, et la charité est la vertu essentiellement chrétienne et non une vertu de la Syna"gogue. J'aurais voulu, mon cher maître, proclamer à haute voix devant toute l'assemblée ce que nous vous devons, ce que les Juifs de la province et leurs enfans vous doivent; et mon cœur pressé par la reconnaissance se serait soulagé par cet hommage rendu publiquement à la vérité. Mais il faut qu'il garde tous ces sentimens en lui-même : les Juifs en seraient effrayés, scandalisés, et le succès de l'œuvre serait compromis. Combien notre position devient de plus en plus délicate! Chrétiens dans le cœur par notre

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respect pour une doctrine et une autorité que nous commençons à connaître; et Juifs encore parmi les Juifs, serions-nous donc placés entre l'Église et la Synagogue, pour transmettre à celle-ci les lumières que par vous nous recevons de celle-là ? S'il en était ainsi, si la Providence nous avait donné une telle mission, si nous étions assez heureux pour être appelés par elle à concourir en quelque chose au triomphe de la vérité et de la lumière parmi nos frères, ah! mon cher maître, combien vos conseils et votre charité nous seraient nécessaires encore pour nous guider et nous soutenir dans la voie de la justice et du bien!

ONZIÈME LETTRE.

LE MAITRE A ADÉODAT.

Les détails que vous me donnez sur le succès de vos travaux dans vos écoles, mon cher Adéodat, me réjouissent sans me surprendre. Je m'y attendais : j'avais la conviction que l'esprit de vérité qui vous a pénétrés agirait par vous sur vos enfans, et que leurs intelligences encore libres de préjugés, que leurs cœurs non encore flétris par la corruption et le vice, s'ouvriraient avec docilité aux premiers rayons de la lumière que vous pouvez maintenant leur transmettre. Mais ce que je n'espérais pas, ou du moins ce que je ne pouvais prévoir, c'est que cet esprit nouveau qui vous anime se fit sentir même aux parens; et vous avez très bien fait de mettre à profit, dans l'intérêt de la morale, ce nouveau moyen que la Providence vous a fourni, de faire du bien à ceux à qui vous appartenez par le sang. En vérité, mon ami, je ne sais pas plus que vous où tout cela vous mènera. Ce que je sais, c'est qu'il est du devoir de tout homme de se rendre

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