Images de page
PDF
ePub

ce qu'il entendait par le mot raison. Le second profit, c'est qu'après l'étourdissement que ce brouhaha scientifique m'a fait éprouver momentanément, j'ai senti le goût de la catholicité se fortifier en moi; et il m'est évident aujourd'hui, qu'en matière de religion, l'autorité qui propose, qui impose et conserve, est absolument nécessaire. Aussi nous attendons avec un vif désir la suite de vos lettres. Proposez, mon cher maître, au nom de l'autorité sur laquelle vous vous appuyez. Le respect que nous lui portons ajoute à celui que nous vous avons voué, comme à l'organe de la lumière et de la grâce pour nous. Ou vous avez introduit notre esprit dans une région nouvelle, ou un sens nouveau s'est ouvert en nous; car tout s'agrandit, tout se généralise à nos yeux; et nous-mêmes nous nous voyons sous des rapports que jamais nous n'avions soupçonnés.

0

que cette vérité sainte, dont vous êtes pour nous l'interprête, vous comble à jamais de ses plus douces bénédictions!

TREIZIÈME LETTRE.

LE MAITRE A ADÉODAT.

Vous avez éprouvé des mécomptes, cher ami, dans votre voyage. Plein des idées nouvelles qui vous avaient été communiquées, vous avez cru trouver partout des Chrétiens véritables et parfaits. Vous cherchiez la réalité de cette Église dont l'idée avait excité votre admiration; vous la cherchiez où elle ne se trouve pas, et vous avez été péniblement refoulé sur vous-même par l'esprit d'incrédulité que vous avez rencontré. C'est une expérience que vous avez faite, affligeante, sans doute, pour une âme droite et simple, mais qui vous sera utile ; c'est une épreuve que vous avez passée, et que vous avez soutenue avec dignité et bonheur. Hélas! il n'est que trop vrai, il y a, en fait de religion et hors de l'Église, autant de nuances d'opinions qu'en philosophie; et cela se montre ouvertement partout où les dogmes religieux sont abandonnés à l'arbitraire de la critique et du sens privé. L'idole de notre époque c'est la raison; et ce n'est pas là une phrase bannale,

une déclamation pieuse, une façon de parler; c'est l'expérience d'un fait, d'une fâcheuse réalité; et tant que cette idolâtrie philosophique et religieuse sera à l'ordre du jour; tant que la raison ne sera point appréciée à sa juste valeur, la société sera divisée, troublée, les individus seront agités et en souffrance. Le grand nombre, jeunes et vieux, ignorans et savans, hommes sans foi religieuse, comme ceux qui veulent ou prétendent en avoir, se vantent de la puissance de leur raison. Ils ne croient, disent-ils, qu'à leur raison; ils jugent et se conduisent d'après les lumières de leur raison; ils se gouvernent eux et les autres, s'ils le peuvent, d'après les lois de la raison. Mais demandez-leur ce que c'est que cette puissance qui préside, selon eux, au sort des individus et à la destinée des empires; d'où vient cette prétendue lumière du monde, cette sagesse du siècle; quelle est cette souveraine de la terre? Et, comme vous l'avez remarqué, entre mille vous n'en trouverez peut-être pas un qui vous dise nettement ce qu'il entend par le mot raison, ou bien il répondra naïvement: «La raison, c'est moi, c'est mon esprit. Les voilà donc, chacun avec son moi, avec son esprit en face du monde, en face les uns des autres, jugeant des objets suivant leurs affections naturelles et les impressions que les sens leur transmettent; et comme il n'y a pas deux individus humains dont le caractère, le tempérament et l'organisation soient parfaitement les mêmes, il suit qu'il n'y a pas deux raisons ou deux

[ocr errors]

hommes de raison en parfaite harmonie. Il est clair dès-lors que rien ne peut se fonder sous le scul empire de la raison, puisque la diversité et l'opposition sont de son essence. La guerre ouverte ou cachée des esprits, l'asservissement instantané des uns par la force logique des autres ; et dans l'état social, l'anarchie ou le despotisme, la licence ou l'esclavage; voilà les fruits du gouvernement de la raison quand elle ne reconnaît point d'autorité supérieure à elle. Le rationaliste dit avec fierté : «Ma raison, c'est moi!» Non, votre raison n'est pas vous, bien qu'elle soit de vous, à vous; comme le rayon solaire qui frappe la rétine de votre œil n'est pas le soleil, mais du soleil ; comme le rayon visuel est une projection de l'œil, et non pas l'œil. Ce qui est proprement vous, ce que vous pouvez appeler moi, ce qui fait que vous êtes vous et non un autre, c'est votre âme immortelle avec sa volonté et sa liberté, c'est le foyer subjectif de votre individualité, le centre de votre intelligence et de votre entendement.

La raison n'est pas un élément constitutif de votre nature foncière: elle n'est point un principe, ni la puissance des principes; mais seulement un effet, une faculté, la faculté de déduire des principes ce qu'ils renferment : elle est un mode de l'homme temporaire, un moyen d'exercer son pouvoir dans l'espace et le temps; elle est le regard de l'âme dirigé vers les objets phénoméniques. La raison, considérée dans l'ordre hiérarchique de vos facultés, est au-dessus des sens qui

lui fournissent les termes de ses comparaisons, les matériaux de ses constructions qu'ils recoivent eux-mêmes du monde physique; mais elle est au-dessous de l'intelligence, au-dessous de la conscience: elle est dominée, quoiqu'à son insçu, par la loi morale dont elle reçoit le poids et la mesure pour discerner entre le bien et le mal. La raison guidée par l'expérience et la réflexion jugera fort bien qu'il est prudent de ne pas faire à d'autres ce que nous ne voudrions point souffrir de leur part; elle comprendra encore qu'il peut être prudent de leur faire du bien, afin qu'ils nous le rendent dans l'occasion: mais elle ne trouvera jamais en elle ou d'elle-même des motifs pour aimer les autres à l'égal de soi; bien moins comprendra-t-elle qu'il faut les aimer, encore qu'ils nous soient contraires ou nous haïssent. Enfin elle ne peut juger légitimement ce qui ne tombe point sous les sens, ce qu'elle ne peut constater par l'observation ni par l'expérience. C'est par l'ouïe, par la parole et par la foi en la parole, qu'elle apprend l'existence d'un monde supérieur au monde sensible, et qu'elle reçoit des données ou des principes qui ne se prouvent point par le raisonnement. Quand la volonté adhère à ces principes, ils deviennent le soutien de la raison, la régle de ses jugemens. Quand, au contraire, elle prétend être elle-même sa régle, ou ne la recevoir que d'elle-même; quand elle veut soumettre à sa critique les principes qui lui sont proposés ; quand elle s'efforce de s'élever au-des

« PrécédentContinuer »