Images de page
PDF
ePub

rapports de ces images. Voilà pour le monde des réalités et pour les réalités de ce monde.

Le principe objectif ou générateur de la science est dans le monde métaphysique, et son principe subjectif c'est votre intelligence et votre âme. C'est par l'œil psychique que vous entrez en rapport avec la lumière intelligible, avec le monde spirituel, avec la Vérité; et puisque, comme vous le dites, la Vérité est fille du Ciel; il faut élever le regard de l'âme vers les régions célestes pour la trouver et la contempler. En vain vous la chercheriez par la raison, puisque la raison est l'âme dirigeant son regard vers les choses de la terre, ou le regard de l'âme considérant les choses d'ici bas. Elle ne voit en bas que les ombres, les figures ou les reflets de ce qui existe en haut, en idée, en vérité, en substance. Il ne faut point chercher la source de la lumière physique, l'astre du jour sur la terre, ni prétendre voir la terre dans le soleil : il faut les voir l'un et l'autre à leur place et dans leurs rapports mutuels.

QUATORZIÈME LETTRE.

VOICI,

LE MAITRE A ADÉODAT.

mon cher Adéodat, une première lettre en

réponse aux graves questions que vous avez posées au début de notre correspondance. Ces questions à la fois philosophiques et théologiques se rapportent à la première de toutes les vérités, au dogme fondamental de la foi chrétienne, celui de Dieu dans son ineffable Trinité. Souffrez donc que je vous engage à lire ces feuilles avec tout le recueillement, le calme, l'attention et le respect dûs à l'objet dont elles traitent.

Vous demandiez si le Chrétien ne reconnaît pas un seul Dieu, et s'il n'entend pas désigner par ce nom l'Être infiniment simple et pur? Ici il faut nous accorder d'abord sur le sens que vous attachez au mot reconnaître; car on ne peut trop préciser les termes quand il s'agit de vérités métaphysiques. Si donc vous voulez exprimer par ce mot l'acte de l'intelligence par lequel elle adhère à la parole qui lui annonce la vérité de l'Être, à la parole révélatrice de l'Être; ma réponse

sera pleinement affirmative. Oui, le Chrétien, comme le fidèle Israélite, croit en un seul Dieu, Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles; il croit en l'Être infiniment pur et simple, absolument un; et non seulement il croit qu'il y a un Dieu, mais il croit en Dieu, il n'adore que le Dieu unique. Mais si vous prenez le mot reconnaître dans son sens ordinaire et littéral, comme exprimant non pas l'acte simple de la volonté adhérant à la parole, mais la fonction de l'esprit qui réfléchit activement en lui-même, et pense soit l'image d'un objet qu'il a vu, soit le nom d'une notion ou d'une idée qu'il a entendu prononcer; alors, ma réponse serait négative, car le Chrétien qui croit en un seul Dieu, croit aussi, avec toute l'Église, que ce Dieu unique n'est connu dans son absolue unité que de lui-même ; que Dieu, dans son essence divine, dans la pureté et la simplicité de son Être, est inaccessible à toute intelligence créée, absolument incompréhensible à l'homme. Le Chrétien croit que Dieu, principe de tout ce qui existe, est l'abyme insondable, le Feu dévorant, le Dieu jaloux, dont nulle créature ne peut approcher, que nulle intelligence ne peut contempler, dont aucune ne peut se faire ni idée ni image. Le Chrétien admet la parole qui lui affirme l'existence de l'Être; mais convaincu qu'il ne peut savoir de l'Être des êtres que ce que cette parole lui en apprend, il ne cherche point à acquérir l'évidence intuitive, la connaissance spéculative ou ré

fléchie des propriétés de l'Être infini; il a la conviction profonde qu'il ne peut connaître Dieu que dans sa manifestation substantielle: en un mot, le Chrétien croit que nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils le veut révéler.

Ce point est d'une haute importance non seulement dans la doctrine chrétienne, mais en toute doctrine métaphysique et psychologique. Il ne sera donc pas inutile de nous y arrêter un moment.

L'homme, dans son état actuel, est incapable de s'élever par lui-même à la science d'aucun principe. Créature intelligente placée comme au centre de la région physique, il voit ce qu'il peut atteindre par son regard; son rayon visuel mesure les cieux et les astres; il perçoit les formes qui existent autour de lui dans l'espace; il voit les existences sensibles; il en conçoit les images ou les types; il les distingue, les connaît telles qu'elles lui apparaissent, et les reconnaît telles qu'il les a vues, perçues, conçues et connues. Mais son regard ne pénètre pas dans l'intérieur de ces formes; il ne saisit point le principe des existences, ni la vie qui les anime. Toutes les distinctions et abstractions, toutes les éliminations et inductions qu'il pourra faire dans son esprit ne lui dévoileront jamais le fond de ces formes; il ne peut voir le principe d'aucune créature; il ne peut abstraire l'être de l'existence, ni l'existence de l'être ; il n'a point l'objectivité de l'être qui est hors de lui.

Il ne saisit pas plus l'être qui soutient sa propre

forme. Vous ne pouvez pas même vous voir dans votre port, dans votre physionomie, dans vos mouvemens ; vous ne voyez ni votre visage, ni votre œil. Posé devant une glace, la lumière qui vous investit, que vous renvoyez en rayons de tous les points de la surface de votre corps dans le miroir, y retrace votre image en s'y réfléchissant. Cette image se reproduit dans votre œil ; vous voyez une représentation factice, une copie de la copie de l'extérieur de votre personne; jamais le miroir ne vous montrera l'original, bien moins ce qui fait le fond de cet original. Si vous me dites que ce n'est point en portant son regard au dehors, mais bien en se recueillant, en rentrant, en s'enfermant dans son for intérieur, que l'homme apprend à se connaître; je réponds, que c'est en effet là le moyen d'acquérir la connaissance, non pas de son être, non pas de son fond, mais de sa manière d'être, de ses modifications internes. Encore faut-il, et c'est une condition nécessaire, que le miroir analogue à sa nature spirituelle lui soit présenté, et que la lumière intelligible l'éclaire. En vain feriez-vous tous vos efforts pour vous recueillir, pour vous enfermer en vous-mêmes, vous concentrer afin de vous voir dans votre moi; jamais ce moi tout pur ne pourra être l'objet de lui-même; jamais l'homme n'arrivera à l'évidence immédiate et intuitive de l'être qui voit et admire, qui aime, contemple, réfléchit et pense en lui; pas plus que l'œil organique ne peut devenir l'objet de sa vision, se voir

« PrécédentContinuer »