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philosophie? Alors cette science est plutôt favorable que contraire aux croyances religieuses: elle les confirme, les justifie, et je ne comprends pas ce qui peut porter les hommes religieux à la redouter et à la proscrire. Est-ce de la religion, de la théologie? Comment alors expliquer le dédain des hommes du monde pour ce qui est si parfaitement d'accord avec la philosophie? Car, encore une fois, la philosophie a été entée dans mon esprit sur des idées dogmati→ ques, sur des principes religieux, sans lesquels elle m'eût paru un système d'opinions comme tout autre: et alors elle n'eût point fait autorité pour moi, elle n'eût point eu d'influence sur ma conduite, ni sur ma vie.

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Dites-nous donc, mon cher maître, je vous en prie, dites-nous nettement ce qu'on entend par mot philosophie, car vraiment je l'ignore. Dites-nous quel est l'objet de la philosophie hors de moi, quel est son principe, son point de départ en moi. Pourquoi y a-t-il tant de doctrines philosophiques, et quelle est, à votre avis, la plus digne de ce nom? Pourquoi la philosophie est-elle comme un champ de bataille, comme une école de gymnastique ou d'escrime, où les esprits s'agitent et se débattent, où chacun parle et où personne ne s'entend. «Depuis « trois mille ans, dit un célèbre publiciste, que les « hommes cherchent par les seules lumières de la «raison, le principe de leurs connaissances, la règle

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<< de leurs jugemens, le fondement de leurs devoirs, qu'ils cherchent en un mot la science et la sa«gesse, il y a toujours eu sur ces grands objets, << autant de systèmes que de savans, et autant d'in« certitudes que de systèmes.» «L'histoire de la philosophie, dit M. Ancillon, ne présente, au premier coup d'œil, qu'un véritable cahos; les notions, les principes, les systèmes s'y succèdent, se << combattent et s'effacent les uns les autres, sans

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qu'on sache le point de départ et le but de tous ces « mouvemens et le véritable objet de ces construc<< tions aussi hardies que peu solides. La diversité des << doctrines n'a fait de siècle en siècle que s'accroître <«< avec le nombre des maîtres et les progrès des connaissances; et l'Europe qui possède aujourd'hui des bibliothèques entières d'écrits philosophiques, « et qui compte presque autant de philosophes que d'écrivains, pauvre au milieu de tant de richesses « et incertaine de sa route avec tant de guides, l'Eu« rope attend encore une philosophie!» Recherch. philos., par M. de Bonald.

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Une des causes de cette confusion déplorable, de cette pauvreté au milieu du luxe, c'est, il me semble, que chaque auteur, pour exposer sa doctrine, se crée une terminologie particulière. Si la philosophie est une science, elle doit partir d'un principe nécessaire, et sa méthode, comme son langage, devraient être les mêmes en tous temps et en tous

lieux, ainsi que nous le voyons en mathématiques. Un mathématicien comprend un autre mathématicien en ce qui concerne l'objet de leur science; et qu'ils viennent du nord ou du midi, de l'orient ou de l'occident, ils s'entendent partout où ils se rencontrent. Quel immense avantage, s'il pouvait en être de même en philosophie! Au lieu de cela, il faut d'abord s'accorder sur le sens qu'on attache au mot philosophie; et quand, à grande peine, on est parvenu à se comprendre quelque peu sur la nature de la science en général, sur son objet et son but; que de divergences il reste à effacer, que d'oppositions à enlever, que de difficultés à aplanir! Du reste, cela me rappelle ce que j'ai lu dans l'Histoire comparée des systèmes philosophiques par M. Degérando: «Les pro«blèmes philosophiques qui restent à résoudre, dit«il à la fin de son ouvrage, sont tous renfermés dans << cette grande question, agitée déjà par Platon et par << Aristote : Qu'est-ce que la science?» Ainsi nous en sommes encore à deviner ce que c'est que savoir: à apprendre ce que c'est que la science. Ah! s'il n'y avait pas une autorité dépositaire de la vérité dans le monde, que nous serions ignorans et que nous serions à plaindre! Veuillez, mon cher maître, m'aider de vos lumières, afin qu'à mon tour je puisse être utile en quelque chose à mes amis, à qui vous paraissez porter un si vif et si tendre intérêt.

VINGT-QUATRIÈME LETTRE.

LE MAITRE A ADOLPHE.

Ce n'est point en quelques lettres, cher ami, que je pourrais répondre d'une manière satisfaisante à vos questions. Pour expliquer la cause de l'opposition que vous voyez ou que vous croyez voir entre les théories philosophiques et la doctrine du Christianisme, entre la théologie et la philosophie; il faudrait remonter aux principes de ces sciences, constater l'identité de ces principes ou leur différence, le parallélisme ou le point de divergence de leur développement. Il faudrait vous faire l'histoire de l'humanité et de l'homme, celle de la science, de son origine, de ses progrès et de ses écarts à travers les siècles. Le moment n'est pas venu d'entreprendre une telle tâche. Toutefois, le sujet est trop important pour vous-même et pour vos amis, à cause de la position particulière où ils se trouvent, pour que je ne reconnaisse point l'opportunité de vos questions, et ne saisisse l'occasion de les traiter avec quelque étendue.

Je vous avouerai d'abord que, comme vous, j'ai été souvent profondément attristé à la vue de cet antagonisme si prononcé, qui se montre partout entre les hommes qui veulent être religieux et ceux qui se disent philosophes. J'avais comme vous la conscience, la conviction intime, qu'on peut aimer et cultiver les sciences, étudier la nature, l'homme et la société sans être ni athée ni impie. Je ne pouvais me persuader que la science du monde ne fût absolument que folie devant Dieu; puisque dans ce cas, il faudrait aussi nécessairement que la science de Dieu fût folie pour le monde; et ainsi le monde qui, bien qu'il soit dans le mal, n'est pourtant pas le mal, ne pourrait jamais avancer dans la voie de la lumière, et de la vérité. Enfin, je n'ai jamais pu croire que l'ignorance, que la crédulité fût la condition sine quâ non pour être vraiment Chrétien. Mais alors j'en étais aussi à croire avec beaucoup d'autres, que la religion est une chose à part dans la vie humaine, et que sa doctrine pleine de mystères, toute de foi, n'avait point de rapport nécessaire avec la science, avec la philosophie. Je respectais la religion et le Christianisme plus par préjugé d'enfance que par conviction motivée, et je ne songeais point à la pratique. Livré exclusivement à l'étude des sciences naturelles et spéculatives, je fus saturé d'opinions, de pensées et de systèmes philosophiques, bien que j'eusse été fort embarrassé de dire nettement ce que j'entendais par la science en

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