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terre. Le sophiste et le philosophe se disent tous deux amateurs de la sagesse ; ils conviennent l'un et l'autre que la sagesse est le principe de la philosophie, la mère de la science; mais ils sont loin de s'accorder sur la nature et la dignité de ce principe. Demandez au sophiste ce qu'il entend par le mot sagesse : il vous dira que la sagesse est un attribut essentiel à la créature humaine, une participation à la raison universelle; qu'elle est inhérente à notre nature; qu'elle se développe nécessairement suivant les influences auxquelles nous sommes soumis ou que nous choisissons; qu'appartenant au moi humain, étant toute subjective, elle se manifeste par la parole et les œuvres de l'homme, par ses opinions, ses pensées, ses discours; que l'homme de génie crée la science dans sa sagesse par sa raison, qu'il la dépose dans les livres où d'autres vont la puiser à moins de frais, etc.

Vous voyez qu'ici déjà le principe a changé de nom. Ce n'est plus la sagesse, c'est la raison qui est la mère de la science, l'unité philosophique; c'est la raison universelle que chacun doit comprendre, parce que nous y participons tous par droit de nature, et que tous nous naissons raisonnables; et puisque le philosophe se distingue du vulgaire par l'amour de la sagesse, laquelle n'est pour le sophiste que la raison individuelle qu'on suppose participer à la raison universelle, il suit que sa science a son fondement dans

l'estime qu'il a de lui-même, dans la bonne opinion qu'il a de sa raison, dans l'amour du moi. C'est le point de départ du rationalisme ou du panthéisme moderne.

Si vous demandez au philosophe religieux ce qu'il entend par la sagesse dont il se dit amateur, il vous répondra qu'il reconnaît en elle une existence véritable, un être supérieur à l'homme, avec lequel il peut, sous certaines conditions, entrer en commerce pour recevoir ses impressions, ses inspirations. Il vous dira que la source de la sagesse est au plus haut des Cieux; qu'elle descend comme tout don parfait du Père de la lumière et se verse dans les âmes des justes; qu'elle a été créée avant toutes choses; qu'elle manifeste les œuvres de Dieu; qu'elle connaît tout, comme ayant été présente quand le monde fut formé; qu'elle seule peut initier l'homme à la science des causes et des effets, lui faire comprendre le commencement, la fin et le milieu des temps. C'est la sagesse connue et révérée par Salomon, recherchée et aimée par Pythagore, enseignée par Platon.

Voilà donc deux Unités, ou deux principes philosophiques bien différens en nature et en dignité; puisque l'un est reconnu objectif et divin, et que l'autre est subjectif ou humain. De ces deux principes découlent deux doctrines toute contraires dans leur direction et dans leurs résultats, et auxquelles se rattachent plus ou moins médiatement toutes les variations phi

losophiques. Nous examinerons dans une prochaine lettre de quelle manière ces doctrines opposées sont entrées dans le monde, et comment elles se sont développées à travers les siècles,

VINGT-CINQUIÈME LETTRE.

LE MAITRE A ADOLPHE.

DANS ma dernière lettre je vous ai signalé les deux doctrines philosophiques qui servent de base à toutes les autres le rationalisme ou le panthéisme, car c'est tout un, et la philosophie traditionnelle ou le théisme. Nous en avons reconnu le point de départ; suivons-les dans leurs développemens.

Les prémisses sur lesquelles se fonde ce que j'appelle la vraie philosophie, en opposition avec la sophistique, se trouvent dans les livres de Moïse, que je reconnais hautement comme la source de toute vraie science. J'ajouterai qu'à ne considérer ces livres que sous le rapport historique et comme le monument le plus ancien que nous possédions, ils inspireraient encore le plus haut intérêt à tout homme capable de pensées élevées et de méditations sérieuses; et certes l'invention par un mortel du fond et du plan de cette œuvre me paraîtrait encore plus merveilleuse et plus difficile à expliquer que l'inspi

ration divine sous laquelle elle doit avoir été écrite. Moïse y raconte avec une naïveté et une sublimité inimitables ce que la raison humaine n'eût jamais pu inventer ni deviner. Il dit la création du monde par la vertu de la parole, celle de l'homme conçu d'abord en idée par l'Être créateur, puis créé et formé. Il dit le commencemt de la famille et de la société humaine. Il nomme le bien, le mal, la liberté. Il parle d'un état d'innocence, d'une loi imposée à l'homme; d'une infraction à cette loi, d'une dégradation de l'espèce humaine dans sa souche. Il parle du crime, du remords, du châtiment, de la nécessité de l'expiation, des sacrifices. Ces notions et ces croyances se retrouvent plus ou moins clairement énoncées chez tous les peuples de l'ancien monde. D'où venaient-elles? Qu'étaient-elles, sinon des souvenirs de l'Eden, des réminiscences d'un état de bonheur dont avait joui le père de la race humaine, jointes à la triste expérience que lui et ses descendans faisaient tous les jours des misères de la vie terrestre, de l'empire du mal et de la mort sous lequel ils étaient tombés!

Ces souvenirs et ces traditions faisaient le trésor de l'humanité à son origine : elles sont encore, quoiqu'on en dise, le fondement de la science de tous les siècles. Elles furent religieusement conservées par la branche de Seth, troisième fils d'Adam, et pasSeth à Noé et à ses fils; puis par Sem, à

sèrent par

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