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Tandis que les deux petites voitures se dirigeaient le plus rapidement possible vers Saint-Cloud où le roi ne séjourna que trois quarts d'heure environ avant de repartir pour Trianon et de là pour Dreux, comme nous le verrons plus tard, madame la duchesse d'Orléans, suivie du comte de Paris, quittait l'hôtel de la présidence dans une voiture de place amenée du côté de la rue de l'Université par les soins de M. de Boismilon et gagnait l'hôtel des Invalides où M. le duc de Nemours et les autres personnages qui l'avaient accompagnée à la Chambre des députés venaient promptement la retrouver.

M. Odilon Barrot, en proie à toutes les perplexités de la situation, avait, du ministère de l'intérieur où ils s'étaient hâtés de le rejoindre, envoyé aux informations MM. le marquis d'Arragon, député, Biesta et Pagnerre, ce dernier toujours incrédule, sans doute, quant au triomphe définitif de la république, et paraissant encore dévoué à la cause de la régence. Ils trouvèrent la princesse réfugiée dans les appartements du gouverneur, le vieux maréchal Molitor, et entourée de conseillers assez nombreux parmi lesquels on remarquait, outre le marquis de Mornay, gendre du maréchal Soult, le général Gourgaud, le duc d'Elchingen, Mme la comtesse Anatole de Montesquiou et M. de Courtais, futur général de la garde nationale parisienne, qui ne s'était

pas encore jeté dans la cause de la république. On discutait avec confusion et sous l'impression de ce qui venait de se passer à la Chambre, le parti que devait prendre la duchesse d'Orléans, soit comme régente désignée, soit au point de vue de sa sûreté personnelle et de celle du comte de Paris. Les envoyés de M. Barrot, qui, lui aussi, était encore ministre de droit sinon de fait, voulurent également donner leur avis. Cet avis de MM. d'Arragon et Biesta fut que la duchesse d'Orléans devait se retirer résolûment à Vincennes ou au fort du mont Valérien et y convoquer les Chambres. M. Pagnerre observait et se taisait pendant que tout l'entourage de la princesse combattait cette proposition comme folle, inexécutable, pleine de dangers personnels pour la régente et pour son fils. Après avoir tenté quelques nouveaux mais vains efforts dans le but de relever les courages et de faire prévaloir leur opinion, les envoyés de M. Barrot revinrent au ministère pour rendre compte de l'état des choses. M. Pagnerre les suivait encore, mais bientôt il les quitta et courut à l'Hôtel-de-Ville rejoindre M. Garnier-Pagès. Il était temps, en effet, car au moment même où MM. d'Arragon et Biesta dépeignaient à M. Barrot l'incertitude des esprits autour de la princesse, et disaient les timides conseils qui lui étaient prodigués, M. de Malleville accourait annonçant que la république venait d'être

proclamée à l'Hôtel-de-Ville. Tout était donc perdu désormais pour la dynastie de Juillet, si quelque résolution virile n'était prise aux Invalides par la mère du comte de Paris. M. Barrot n'hésita pas à s'y rendre de sa personne, accompagné des deux amis qu'il y avait envoyés. Ces derniers, en sortant de l'hôtel des Invalides, s'étaient assurés, pour pouvoir rentrer au besoin, d'une petite porte qui communique du jardin avec le boulevard, et, à tout événement, y avaient même placé un invalide en sentinelle. Ce fut par cette porte que M. Odilon Barrot entra suivi de ses deux acolytes; mais il ne trouva autour de la princesse que le découragement et la peùr. Là aussi on venait d'apprendre les proclamations de l'Hôtel-de-Ville, et le dernier ministre de l'intérieur de Louis-Philippe ne put qu'être témoin des résolutions qui, après de cruelles anxiétés, furent prises pour mettre à l'abri de tout danger la duchesse et son fils, derniers représentants du pouvoir de 1830. Le vieux maréchal Molitor n'était pas le moins pressé d'en finir, d'ailleurs, et, connaissant les instincts assez turbulents des invalides placés sous ses ordres, son esprit se troublait à la pensée de soutenir un siége dans l'hôtel. Il fut donc arrêté que la duchesse d'Orléans se retirerait immédiatement chez la comtesse Anatole de Montesquiou, sa dame d'honneur, rue de Monsieur, au faubourg Saint-Germain, puis on se dis

persa chacun suivant le sentiment qui l'animait et selon les besoins du moment. M. Barrot, qui comprenait que son rôle était terminé, se retira le dernier comme le capitaine d'un navire qui a touché l'écueil et va sombrer, laissant à ses deux amis le soin de pourvoir, en tout ce qui dépendrait d'eux, à la sûreté de la princesse, de son fils et du duc de Nemours. Ils sortirent par la petite porte déjà mentionnée, la duchesse d'Orléans marchant en avant au bras de M. de Mornay, accompagnée du comte de Paris que M. d'Arragon conduisait par la main. A quelque distance suivait le duc de Nemours qui, en sortant de la Chambre des députés, avait trouvé à se vêtir d'un habit de garde national. Près de lui marchait M. Biesta.

Il était alors environ six heures du soir, et la nuit commençait à tomber. Une indicible confusion régnait déjà à l'hôtel habité par divers membres de la famille Montesquiou, lorsque le petit cortége y arriva. On avait pensé avec raison que cet asile n'offrait aux fugitifs aucune sécurité même pour une seule nuit, et il avait été décidé que la princesse, accompagnée de son fils, partirait immédiatement pour Sannois, maison de campagne située près de Saint-Denis, à trois lieues de Paris. La voiture était attelée; Me la duchesse d'Orléans ne tarda pas à y prendre place avec le comte de Paris, ayant en face d'elle Mme de Montesquiou, qui ré

clamait dans le danger son privilége de dame d'honneur. Mais M. d'Arragon fit descendre cette dernière en lui disant avec une sorte de vivacité : << Madame, souvenez-vous de la fuite à Varennes; c'est Mme de Tourzel qui fut cause de l'arrestation du roi. Ne renouvelons pas ce malheur. » M. de Mornay prit alors la place de Mme de Montesquiou, et la voiture s'éloigna rapidement.

Restait M. le duc de Nemours, qui naturellement commençait à se préoccuper de sa situation personnelle. M. Biesta offrit l'hospitalité de sa demeure située rue de Madame, et, le prince lui tendant la main, accepta sans hésiter l'offre loyale d'un homme qui, le matin encore, était pour lui un inconnu. Il partit donc immédiatement, et à pied accompagné de MM. d'Arragon et Biesta, pour la rue de Madame, où il espérait trouver enfin un peu de repos après une pareille journée de fatigues et d'émotions. La famille de M. Biesta, très-inquiète de son absence prolongée (il était alors près de huit heures du soir), reçut les voyageurs avec un vif empressement. M. le duc de Nemours fut présenté comme un ami qui avait besoin, au milieu de ces circonstances extraordinaires, d'un abri pour la nuit, et la mère de M. Biesta, trompée par cet habit de garde national que le prince avait revêtu, costume qui lui donnait quelque ressemblance avec le fils d'un ancien hôte de la maison, fit à

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