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dissoudre et de désarmer la garde nationale, lui faisant remarquer qu'il disposait d'une armée nombreuse, aguerrie, et de deux cents pièces de canon; le nombre des insurgés augmentait d'heure en heure, grâce à l'arrivée de détachements de paysans qui accouraient de tous côtés, dirigés par les jeunes nobles milanais, quelquefois même par des prêtres. Un conseil de guerre, composé de quatre membres, appartenant au parti libéral exalté, s'était organisé le troisième jour de la lutte. Il avait ordonné de fabriquer du coton-poudre, de fondre des canons et des boulets, enfin de lancer un certain nombre de ballons renfermant des proclamations adressées aux populations des alentours.

L'acharnement fut extrême des deux côtés, et le spectacle qu'offrit pendant cinq jours la ville de Milan, toute hérissée de barricades, sillonnée par la mitraille, exposée au feu meurtrier des chasseurs tyroliens, qui, embusqués sur le sommet de plusieurs édifices, tiraient dans toutes les directions avec une habileté meurtrière, fut à la fois un étrange et terrible spectacle. Les munitions avaient d'abord manqué aux Milanais, et, dans le principe, les insurgés ne faisaient feu qu'à coup sûr. Mais la défense appuyée sur les soulèvements de la Valteline, de la Briance et de Bergame, prit bientôt des proportions telles que le vieux maréchal Radetzki jugea, en homme de guerre consommé, que désor

mais la position n'était plus tenable, et qu'il fallait, sous peine de voir son corps d'armée enfermé dans un cercle de feu, opérer un mouvement de retraite que les circonstances du combat rendaient encore possible.

Le 22 mars, les Autrichiens brûlèrent leurs morts dans la cour du château et commencèrent à l'évacuer en silence, pendant que Radetzki, pour mieux déguiser son mouvement, faisait exécuter à toutes ses batteries un feu épouvantable contre la ville. On a évalué à près de quatre mille hommes la perte des Autrichiens dans ces sanglantes journées.

Cependant la retraite elle-même devait avoir pour eux des dangers non moins grands. Les insurgés, organisés en tirailleurs, les pressaient de toutes parts, et il leur fallut plus de huit heures pour se dégager des terribles étreintes d'un ennemi dont le nombre semblait s'accroître à chaque instant. L'artillerie, les blessés, les nombreuses familles d'officiers et même d'employés qui ne voulaient pas demeurer en arrière, et enfin les prisonniers que le maréchal entraînait à sa suite comme otages, tout cela formait un cortége immense qu'il était bien difficile d'enlever rapidement aux périls de toutes sortes qui le menaçaient au milieu d'un pays entièrement soulevé contre la domination étrangère.

Pendant que l'armée autrichienne s'éloignait ainsi des murs de Milan, un gouvernement provisoire se formait sous la présidence de M. Casati, et se composait, entre autres noms connus, des comtes Borromeo, Durini, Giulini, Litta, de MM. Barreta et Porro. Autour de ces hommes d'élite vinrent naturellement se ranger les représentants des villes lombardes qui s'étaient soulevées à l'instar de Milan, et s'étaient empressées d'envoyer leur adhésion au gouvernement de la métropole.

On apprit bientôt que Venise venait, elle aussi, de chasser sa garnison autrichienne et d'arborer le drapeau tricolore italien. Nous avons dit que MM. Manin et Tommaseo avaient été arrêtés et incarcérés le 20 janvier 1848. Depuis lors, un comité central s'était formé et conspirait sourdement contre le gouvernement autrichien; tout était donc préparé pour une insurrection, lorsque, le 17 mars, les nouvelles de la révolution de Vienne firent éclater le soulèvement qui devait rendre pour quelques jours à la vieille cité des doges ce nom de république qu'elle avait si glorieusement porté jadis. Dans la matinée du 18, une colonne de peuple qui s'était formée sur la place Saint-Marc s'élançait vers la prison, en brisait les portes, et enlevait Manin et Tommaseo, qu'elle promenait en triomphe dans la ville. Deux jours s'écoulèrent; la constitution promise par l'empereur n'était même pas offi

ciellement annoncée par les autorités autrichiennes; le 20 mars, le peuple se précipite vers le palais du comte Palfi, gouverneur de Venise; une députation lui est envoyée aux cris de : « Vive la constitution! vive la garde civique!» Le gouverneur répond d'une manière évasive, et aussitôt le peuple fait entendre des menaces si provocatrices, qu'un bataillon de Croates, rangé en bataille devant l'ancien palais des doges, répond à ces cris par une décharge, heureusement peu meurtrière. Mais l'élan était donné les Croates, attaqués de nouveau, se renferment dans l'intérieur du palais, et, pendant la nuit, les chefs du mouvement tiennent un conseil dans lequel on décide l'attaque de l'arsenal.

Le colonel Marinowich y commandait; c'était un homme d'une scrupuleuse fidélité au devoir militaire; il est massacré par le peuple, en dépit des efforts de Manin, accouru pour le secourir. Le comte Palfi, gouverneur civil de Venise, se voit alors contraint de remettre ses pouvoirs entre les mains du commandant militaire, le comte Zichy, d'origine hongroise, qui, habitant Venise depuis longues années, et répugnant par cela même à l'effusion du sang italien, devait facilement céder aux vœux du peuple. Manin vint les lui exprimer au quartier général de la place : « Je sais, répondit le comte, qu'en consentant à quitter la ville avec mes

troupes, je signe mon arrêt de mort, et cependant je suis prêt à capituler. » Conduite qui a été bien diversement et quelquefois bien sévèrement jugée, mais que le comte Zichy devait cruellement expier plus tard. Quelques heures après, la république vénitienne était proclamée sous la présidence de Manin. MM. Tommaseo, Camerata, Paolucci, Solera, Pincherle, Paleocapa et Toffoli en furent les premiers ministres.

Le mouvement se généralisa promptement; les principales cités lombardes suivirent l'exemple qui leur était dónné, et le drapeau tricolore italien vola bientôt de clocher en clocher dans toute la plaine du Pô jusqu'aux lagunes vénitiennes. Milan, Venise, ces deux centres de richesse, d'oisiveté et de plaisirs, avaient secoué de leurs mains, si débiles en apparence, les chaînes dont on les avait chargées; on ne devait pas, on ne pouvait pas se montrer moins fort et moins courageux qu'elles. « Lombards, mes frères, écrivait de Florence le poëte Berchet, l'un des émigrés de 1821, et qui depuis fut ministre de l'instruction publique à Milan, Lombards, mes frères, si les maux que j'ai soufferts pour notre Italie peuvent me donner le droit de vous faire une prière, écoutez-la dans cette heure solennelle qui ne reviendra plus. Lombards, vous ne pourrez être véritablement libres que lorsque l'Italie entière sera indépendante. Ne vous

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