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modérés que moi et mes amis, dans les mains des hommes ardents, fussent les radicaux, je n'abandonnerai pas ma cause pour cela, je serai toujours du parti de la révolution. » Les bruyants applaudissements de la gauche couvrirent la voix de l'orateur. M. Thiers faisait d'avance un appel à la popularité. A quoi bon? Les véritables hommes d'État ont toujours su s'en passer.

Vint enfin la discussion du paragraphe de l'adresse qui correspondait à la célèbre phrase du discours de la couronne sur « les passions ennemies ou aveugles. » Le rapporteur du projet, M. Vitet, avait substitué à ce dernier membre de la phrase celui «< d'entraînements aveugles; » la distinction était subtile. Le débat fut d'une grande vivacité. MM. Duvergier de Hauranne, Odilon Barrot, de Rémusat, lui donnèrent beaucoup de relief. M. Duchâtel leur répondit avec une habileté un peu passionnée, et le commentaire qu'il fit des paroles royales était loin d'en atténuer la signification. La véritable pensée du gouvernement et de ses amis à cet égard se retrouve tout entière dans ces lignes, que publiait alors un journal conservateur : « Le dernier paragraphe du discours de la couronne a posé de la manière la plus nette les questions soulevées depuis six mois dans les banquets réformistes. Le ministère a relevé publiquement le gant qui lui avait été jeté. Qu'il l'ait fait sous une forme tant

soit peu agressive, nous ne lui en ferons pas un reproche; nous trouvons, au contraire, merveilleux, ceux qui accusent le gouvernement d'avoir fait du roi un chef de parti, comme si le roi n'avait pas, après tout, le droit d'être le chef de son parti. Si la question est ainsi posée, à qui la faute, sinon à ceux qui, dans les banquets, ont élevé ou laissé s'élever des partis contre celui du roi et de la Constitution? Depuis six mois, nous voyons des caricatures de Montagnards rétablir les autels de Robespierre et de Marat, et y sacrifier les lois en attendant qu'ils puissent y sacrifier autre chose, et le gouvernement n'aurait pas le droit de dire que la royauté a des ennemis! Depuis six mois, les chefs de l'opposition dynastique laissent impunément traîner la dynastie et la Charte dans la boue républicaine, et dissimulent honteusement leur drapeau devant celui des ennemis de la Constitution, et il ne serait pas permis de leur dire qu'ils sont aveugles! En vérité, la gauche entend singulièrement la discussion. >>

Ceci était assurément fort logique, et le droit était incontestable; mais peut-être, en présence de l'excitation des esprits, eût-il mieux valu n'en pas user, comme l'avait conseillé Me Adélaïde. « On veut parquer la Chambre en deux camps, disait M. de Rémusat, la politique du cabinet est fondée sur l'impossibilité des transactions; il a voué son

existence à la politique irréconciliable, situation nouvelle et pleine de périls.

Cette agitation parlementaire menaçait déjà de faire un appel légal à l'agitation de la rue, et M. Duvergier de Hauranne n'avait pas hésité à dire à son tour: «Quant à moi, je tiens les réunions politiques pour légales, pour libres, et, je le déclare hautement, je suis tout prêt à m'associer à ceux qui, par un acte éclatant de résistance légale, voudront éprouver jusqu'à quel point, cinquantehuit ans après notre première révolution, les droits des citoyens peuvent être confisqués par un arrêté de police.» Étonnés, effrayés même de cette surexcitation, à laquelle rien dans leur passé politique n'avait pu les préparer, quelques jeunes députés appartenant au parti conservateur avaient formé un petit groupe légèrement réformiste qui demandait timidement au ministre quelques concessions modérées, ou tout au moins quelques engagements pour l'avenir. L'un des plus résolus de ce petit groupe était M. de Morny; il venait de publier dans la Revue des Deux Mondes un article intitulé

Quelques réflexions sur la politique actuelle, » et, dans cet article, tout en repoussant les incompatibilités absolues, il se déclarait partisan de certaines incompatibilités relatives entre les fonctions publiques et le mandat de député. « Je n'ai nullement voulu marquer un dissentiment personnel,

disait-il en finissant, j'entends n'être classé ni comme progressiste, ni comme dissident; j'ai, Dieu merci! assez prouvé depuis six ans que je n'aspire à aucun rôle de cette espèce : je crois sincèrement servir la cause conservatrice en engageant le ministère à entrer dans cette voie et dans une aussi sage limite. Je souhaite plus que personne que le parti conservateur reste uni et compact; mais cette union peut aussi bien résulter d'un pas en avant fait par ceux qui voudraient rester stationnaires, que d'un pas en arrière fait par ceux qui seraient disposés à aller trop vite. » Parmi les jeunes députés qui partageaient ces convictions, se distinguait M. Eugène de Goulard, auquel un brillant avenir politique semblait alors réservé, avenir détruit dans son germe par les événements ultérieurs. M. Sallandrouze, appartenant à la même nuance, présenta un amendement rédigé en ces termes : «Au milieu des manifestations diverses, votre gouvernement, Sire, saura reconnaître les vœux réels et légitimes du pays; il prendra, nous l'espérons, l'initiative des réformes sages et modérées que réclame l'opinion publique, et parmi lesquelles il faut placer d'abord la réforme parlementaire. Dans une monarchie constitutionnelle, l'union des grands pouvoirs de l'État permet de suivre sans danger une politique de progrès, et de satisfaire à tous les besoins moraux et matériels

du pays. » Cet amendement fut repoussé par deux cent vingt-deux voix contre cent quatre-vingtneuf. Une imposante majorité vota également l'ensemble de l'adresse, le ministère n'avait jamais trouvé des phalanges plus nombreuses, plus compactes, plus dévouées.

Existait-il donc en ce moment des dangers réels, des dangers sérieux pour la monarchie de 1830? Assurée du concours constitutionnel des deux Chanibres, pouvant s'appuyer au besoin sur une armée magnifique et sympathique aux jeunes princes que l'on avait placés à sa tête, que pouvait contre elle cette agitation factice de la tribune et des journaux? que pouvaient ces démonstrations parlementaires et les ardentes colères de l'opposition contre ce ministère qui tardait trop à céder ses portefeuilles? Voici ce que disait alors un journal gouvernemental, et cette citation achèvera de peindre avec fidélité le temps et les choses : « Après trois semaines de discussion, après des débats d'une vivacité peu ordinaire, la Chambre a voté son adresse. Le parlement à montré plus d'animation qu'il n'y en a réellement dans le pays. Il ne faut pas se plaindre de ce contraste, car il est un des bons résultats du gouvernement constitutionnel qui concentre l'agitation dans la sphère élevée des grands pouvoirs, pendant que la société vaque à ses affaires avec une activité régulière et paisible: c'est ce qu'il faut bien

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