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la plus complète licence. Ils semblent ignorer que les passions humaines, de quelque costume qu'elles se revêtent d'ailleurs, et à quelque génération qu'elles appartiennent, sont et seront toujours les mêmes; qu'il n'y aura jamais qu'un certain nombre de théories gouvernementales vraiment pratiques pour diriger et maintenir les hommes. Passer de l'une à l'autre, imposer l'une au détriment de l'autre, ne peut être un progrès qu'autant que la formule nouvelle s'applique mieux aux instincts naturels, aux habitudes, au tempérament, en un mot, du peuple que l'on veut en doter. Rien de plus triste à constater que cette aberration de l'esprit qui porte ces hommes de désorganisation, enfantés par les troubles civils, à engager leur pays dans des voies éminemment périlleuses pour l'unique satisfaction d'une politique personnelle et spéculative. Kossuth a été le mauvais génie de la cause magyare, comme Mazzini le fut lui-même de la cause italienne. Les révolutions modernes de la vieille Europe portent, à un degré vraiment remarquable, l'empreinte de la débilité de l'esprit humain, de l'impuissance des forces de l'homme, en présence des éternels principes, des conséquences forcées de toutes les réalités politiques et sociales, inhérentes en quelque sorte à l'humanité elle-même.

Placé à un point de vue diamétralement opposé, le tsar Nicolas, après avoir adressé dans une pro

clamation en date du 22 août ses remerciements à l'armée russe, publia le manifeste suivant, qui faisait entendre à l'Europe des paroles, dont la grandeur (un peu mystique peut-être) ne saurait cependant être méconnue. «La Russie remplira sa sainte vocation. Telles étaient les paroles que nous adressions à nos sujets bien-aimés en leur annonçant que, conformément au désir de notre allié l'empereur d'Autriche, nous avions ordonné à nos armées d'aller étouffer la guerre en Hongrie et d'y rétablir l'autorité légitime de son souverain. Avec la protection de Dieu, ce but a été atteint. En moins de deux mois, nos braves troupes, à la suite de nombreuses et brillantes victoires en Transylvanie et sous Debreczin, ont marché de succès en succès, de la Gallicie à Pesth, de Pesth à Arad, de la Bucowine et de la Moldavie au Banat.

de

Enfin, les bandes d'insurgés, refoulées de toutes parts, du Nord et de l'Est par nous, l'Ouest et du Sud par l'armée autrichienne, ont déposé les armes devant l'armée russe, recourant à notre médiation pour solliciter un pardon magnanime de leur légitime souverain. Après avoir saintement accompli notre promesse, nous avons ordonné à nos troupes victorieuses de rentrer dans les limites de l'empire. Le cœur pénétré de reconnaissance pour le dispensateur de tous biens, nous nous écrions du fond de l'âme : Nobiscum Deus!

Audite populi et vincimini, quia nobiscum Deus! » De même que la guerre de Pologne, la campagne de Hongrie avait mis dans tout leur jour les talents militaires vraiment exceptionnels du prince de Varsovie. L'empereur François-Joseph le remercia par une lettre autographe de l'éminent service qu'il venait de rendre à la monarchie autrichienne. Cette lettre était accompagnée de la grand'croix de l'ordre de Marie-Thérèse. Mais le tsar pouvait plus difficilement récompenser cet habile et fidèle serviteur, car depuis quelques années déjà, le prince de Varsovie possédait tous les honneurs, toutes les dignités auxquels un Russe puisse prétendre. L'empereur qui, en dernier lieu, lui avait conféré le titre de prince avec la dénomination d'Altesse, trouva cependant un ingénieux moyen de donner au feld-maréchal (lui seul possédait ce grade militaire en Russie) une preuve nouvelle et publique de sa satisfaction; il ordonna, par un rescrit, que tous les honneurs militaires, exclusivement réservés jusque-là à la majesté impériale, fussent désormais rendus, même en sa présence, au prince de Varsovie. Savoir récompenser dignement les services rendus, ce n'est pas seulement une des plus grandes et des plus précieuses qualités d'un souverain; c'est la plus grande, la plus précieuse, mais peut-être aussi, il faut bien l'avouer, la plus rare de toutes.

LIVRE VINGTIÈME

I. Le cabinet du 31 octobre. Ses actes. Lois répressives. Procès des accusés du 13 juin. Élections partielles à Paris. Choix socialistes. Loi du 31 mai restreignant le suffrage universel. Discussion de cette loi à l'assemblée. Les frais de représentation de la présidence. Condamnation du journal le Pouvoir. La commission de permanence. Louis-Napoléon daus les départements. Réceptions et discours du prince-président. Retour à Paris. II. Aspect extérieur. Claremont et Wiesbaden. Revues de Satory. Les généraux Changarnier et Neumayer. Affaire du commissaire de police Yon. La société du 10 décembre. Sa dissolution. Le général d'Hautpoul quitte le ministère. Message présidentiel du 12 novembre 1850. Destitution du général Changarnier. Débats législatifs. Vote de défiance. Retraite du cabinet. - III. Message du 24 janvier 1851. Cabinet transitoire. Proposition Creton. Nouveau ministère. Le comité central pour la révision de la Constitution. Pétitionnement. Proposition de M. Pascal Duprat. Discours du prince-président à Dijon et à Poitiers. Débats à l'Assemblée nationale. La révision de la Constitution est repoussée.

IV. Difficultés et complications croissantes de la situation. Répugnance du prince-président pour le suffrage restreint. Le cabinet se retire. Message présidentiel du 4 novembre 1851. Le projet de loi électorale présenté par le ministère est repoussé par l'Assemblée. Elle maintient le suffrage restreint. Loi municipale. Proposition des trois questeurs. Projet de loi sur la responsabilité du pouvoir exécutif. Allocution du prince-président aux officiers de l'armée de Paris. Appréhensions de l'Assemblée. mesures adoptées par elle. Le droit de réquisition directe. Réception du 1er décembre 1851 à l'Élysée. Le coup d'État du 2 décembre et ses conséquences. Conclusion.

I

M. de Rayneval n'avait pas accepté le portefeuille des Affaires étrangères. Diplomate élevé à

l'école de toutes les bonnes traditions, précieux agent extérieur, ce n'était point un homme de tribune et il redoutait l'épreuve parlementaire. Sa santé déjà ébranlée s'arrangeait d'ailleurs du climat de l'Italie méridionale. Le Prince-Président choisit pour le remplacer un général d'artillerie, dont l'esprit distingué allait se ployer aisément aux exigences du rôle nouveau qui lui était destiné; homme du meilleur monde, du reste, et dont les habitudes sociales devaient plaire extrêmement aux représentants des cours étrangères. Le général de La Hitte, ce nouveau ministre des affaires-étrangères de la république française, se trouvait, par une singulière coincidence, avoir été sous la Restauration le favori de M. le Dauphin, qui, frappé de son mérite spécial, l'avait rapproché de sa per

sonne et honoré de son amitié.

Le cabinet du 31 octobre, ainsi complété, présentait une homogénéité parfaite et une réunion de capacités très-respectable. Parmi les hommes nouveaux qu'il renfermait, on remarquait MM. Rouher et de Parieu, tous deux anciens avocats à Riom, envoyés aux Assemblées constituante et législative, le premier par le département du Puy-deDôme, le second par celui du Cantal. Leurs débuts dans la vie politique les avaient fait considérer avec raison comme des hommes d'un grand avenir. Leur sens droit, leur esprit pratique devaient les

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