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nous dit, l'on inflige aux hommes qui donnent à l'autorité le moyen de prévenir les délits, les mêmes peines qu'à ceux qui les commettent et qui éludent les lois destinées à les prévenir, il y aura de fait une véritable sottise à se livrer soimême à la police, puisqu'on portera le châtiment du crime sans en avoir le profit. Ainsi, par exemple, avant même que le troisième volume du Censeur Européen fût imprimé, nous en avons fait déposer cinq exemplaires à la police, tant nous étions loin de vouloir publier un ouvrage 'dangereux. Mais qu'en est-il arrivé? C'est que notre ouvrage a été saisi et confisqué; que nous avons été nous-mêmes poursuivis, incarcérés, traduits en jugement.

Un imprimeur ou un libraire moins confiant et peut-être moins sot, (car il est des hommes avec lesquels la confiance est une sottise) s'est emparé du même volume; il l'a réimprimé ou fait réimprimer sans y changer un seul mot; il l'a vendu et le vend encore presque publiquement, et il est fort tranquille chez lui, et il n'a seulement pas vu le visage d'un seul commissaire de police. Pourquoi ? parce qu'il n'a pas fait la bêtise d'aller dire à la police qu'il réimprimait notre volume, et de lui en porter cinq exemplaires avant de le mettre en vente. Il

savait bien que, si on ne voulait pas, ou si on ne pouvait pas le découvrir, il aurait le bénéfice de la contrefaçon; et que, s'il était découvert, il ne pourrait pas lui arriver pire que ce qui nous est arrivé.

Telle est la première exception que nous avons proposée contre les poursuites du ministère blic.

pu

Pour entendre bien la seconde, il faut savoir comment les choses se passent quand on saisit un ouvrage. Au moment que vous vous y attendez le moins, trois ou quatre individus qui sont ou se disent agens de police, arrivent chez vous ; ils vous exhibent un ordre qui leur enjoint de s'emparer de vos manuscrits, saisissent ceux qui leur conviennent et les emportent. D'autres individus qui sont ou qui se prétendent aussi des agens de police, assiégent en même temps les ateliers de votre imprimeur; un certain nombre de leurs camarades s'y introduisent, s'emparent de l'ouvrage suspect, s'il est imprimé, brisent les planches ou les mettent sous le scellé, s'il ne l'est point, et s'enfuient avec leur proie, sans laisser de leur expédition d'autres traces que les dégâts qu'ils ont causés : cela ressemble, en un mot, à une expédition de barbaresques; et les personnes qui n'aiment pas les formalités, doivent être très-contentes de cette manière de procéder.

Jusqu'au mois de février 1817, les auteurs où les imprimeurs qu'on a ainsi dépouillés, n'ont eu aucun moyen de réclamer les ouvrages qu'on leur avait enlevés. D'abord, n'ayant reçu aucune copie, ni de l'ordre, ni des procès-verbaux de la saisie, et la loi n'ayant attribué à aucun fonc tionnaire en particulier, la faculté de saisir ou de faire saisir des écrits, on ne savait à qui l'on devait s'adresser pour réclamer contre la saisie; puisque tous les fonctionnaires pouvaient en contester jusqu'à l'existence, et qu'on n'avait aucune pièce à l'aide de laquelle on pût la constater. Ensuite, la loi ne fixait aucun délai dans lequel les tribunaux fussent tenus de statuer sur les saisies; de sorte que les imprimeurs, ni les auteurs, n'avaient aucun moyen d'obtenir justice des spoliations qu'on pouvait exercer

contre eux.

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Pour faire cesser ce désordre, il fallait deux choses: il fallait que l'autorité fùt tenue de faire notifier aux imprimeurs et aux auteurs, les or dres et les procès-verbaux de saisie, afin de les mettre à même d'en constater l'existence, et de réclamer les ouvrages saisis; il fallait ensuite obliger le ministère public à faire prononcer sur les saisies dans un délai déterminé, afin que les ouvrages ne dépérissent point dans le lieu où ils auraient été déposés. C'est ce qu'a voulu, en

effet, la loi du 28 février 1817. Cette loi, qui n'a qu'un article, est conçue en ces termes :

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Lorsqu'un écrit aura été saisi en vertu de l'art. 15 du titre 2 de la loi du 21 octobre 1814, l'ordre de saisie et le procès-verbal seront, sous peine de nullité, notifiés, dans les vingt-quatre heures, à la partie saisie, qui pourra y former opposition.

à

» En cas d'opposition, le procureur du Roi fera toute diligence pour que, dans la huitaine, dater du jour de ladite opposition, il soit statué sur la saisie.

» Le délai de huitaine expiré, la saisie, si elle n'est maintenue par le tribunal, demeurera de plein droit périmée et sans effet, et tous dépo sitaires de l'ouvrage saisi seront tenus de le remettre au propriétaire.

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Lorsqu'un ouvrage a été saisi, il faut donc que l'ordre et le procès-verbal de saisie soient notifiés à la partie dans les vingt-quatre heures, afin qu'elle puisse y former opposition; il faut ensuite que le tribunal statue dans les huit jours à compter de la date de l'opposition, et si la saisie n'est pas maintenue, l'ouvrage doit être rendu au propriétaire.

Trois causes peuvent s'opposer au maintien de

Cens. Europ.

TOM. V.

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la saisie, et amener par conséquent la restitu tion de l'ouvrage, et l'extinction des poursuites contre l'auteur. La première, c'est le défaut de notification de l'ordre et du procès-verbal de saisie, dans le délai voulu par la loi. Lorsque le ministère public s'abstient de faire faire cette notification, connaissant la peine que la loi attache à l'omission qui en est faite, il est évident que, par cela même, il renonce à poursuivre; et la conséquence naturelle de cette renonciation doit être la restitution de l'ouvrage saisi, et la cessation des poursuites contre l'auteur.

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La seconde cause, c'est l'omission de faire prononcer dans la huitaine, sur la saisie. Cette omission est encore considérée comme une renonciation à poursuivre, et la loi y attache également l'obligation de restituer l'ouvrage au propriétaire, obligation qui produit nécessairement l'extinction des poursuites contre l'auteur, puisqu'il est impossible de concevoir qu'un ouvragé dont la loi, autorise la publication, et qu'elle reconnaît ne pouvoir faire aucun mal, puissé néanmoins donner lieu à une condamnation criminelle contre celui qui l'a composé.

Enfin, la troisième cause, c'est la non culpabilité de l'auteur. Cette cause n'avait pas besoin d'être exprimée, car il était bien évident que

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