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nouvelles qui seraient sans danger dans l'état de choses qu'on suppose exister, mais qui seraient dangereuses ou nuisibles dans le moment même où on les donnerait.

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Pour qu'un écrit soit réputé criminel, il faut d'abord qu'il soit nuisible. Il faut, en second lieu, que celui qui en est l'auteur, ait eu la volonté de publier un écrit qu'il savait être nuisible. Il faut, enfin, que le dommage qu'on a causé ou voulu causer soit précisément de la même nature que celui que la loi pénale a voulu empêcher.

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Éclaircissons ceci par un exemple. Un négociant, pressé de se défaire de ses marchandises pour faire un voyage, fait annoncer qu'il les vendra dans les premiers jours de telle semaine qu'il. indique. Un autre fait annoncer, faussement et dans le dessein de lui nuire, que, le premier jour de la semaine, toutes les marchandises ont été enlevées, et il lui fait ainsi manquer ses affaires. Voilà un écrit, qui aura causé un dommage, qui aura été fait dans le dessein de nuire, et qui, cependant, ne pourra donner lieu qu'à une action civile, si le fait n'a pas été prévu par la loi criminelle.

» Tenons donc pour constant qu'on ne peut être punissable qu'autant qu'on a commis un délit, et qu'on ne peut avoir commis un délit

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qu'autant qu'on a exécuté, ou tenté d'exécuter un fait nuisible, prévu et puni par la loi, et avec la connaissance qu'il produirait le mal que la loi a voula empêcher. Ces principes sont généraux ils s'appliquent ati mál qu'on peut faire par la publication de ses pensées, comme à celui qu'on peut commettre par d'autres actes. Dans aucun cas, les juges ne peuvent se dispenser d'examiner la question intentionnelle, parce que c'est l'intention ou la volonté, 'qui constitue da moralité d'une action, et qui peut seule en rendre l'auteur digne de mépris ou de blâme.com

» Pour juger un écrivain, il ne suffit donc point d'examiner matériellement ses écrits; il ne suffirait pas même de prouver que ces écrits pour ront produire un mauvais effet; il faudrait prouver, en outre, qu'on les a composés ou publiés dans le dessein de leur faire produire le mauvais effet qu'on leur attribue. Aucun fait, le fait même d'homicide, lorsqu'il est considéré en luimême, n'admet aucune espèce de moralité. Celui qui en est l'auteur peut, selon les circonstances, être condamné à mort, aux travaux forcés, à un simple emprisonnement, être entièrement acquitté, ou même recevoir une récompense: cela dépend de la question de savoir s'il a commis un assassinat, un meurtre, un homicide

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involontaire, s'il a tué son semblable dans une défense légitime, ou pour la défense de son {་ pays. Ge qui est vrai pour l'homicide, l'est pour la publication d'un ouvrage; ce n'est point le fait en lui-même qu'il faut apprécier, c'est la moralité de l'action; c'est l'intention, la volonté de l'auteur. at b

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>> Si ce principe est vrai, et je le crois incontestable, il renverse, de fond en comble, les accusations dirigées contre nous, soit au sujet de la réimpression du manuscrit, venu de Sainte-Hélène, soit au sujet de nos réflexions sur la loi des finances. Il ne s'agit plus dès-lors d'examiner ce que renferment ces écrits, mais ce que nous nous sommes proposé en les donnant au public. Si l'ob jet que nous avons voulu obtenir n'avait rien da répréhensible, s'il était au contraire utile à la France et au gouvernement, on pourrait bien dire que nous avons mal choisi nos moyens; on pourrait peut-être nous accuser d'avoir mal connu la situation des esprits, ou d'avoir été peu éclairés dans notre zèle ; mais on ne pourrait pas nous accuser de nous être rendu coupables d'un délit, puisqu'on ne pourrait pas trouver en nous une volonté criminelle.

>> M. l'avocat du Roi a suivi dans l'accusation, une marche qui pourrait donner à ses moyens

d'attaque une grande force, si elle était dans le sens de la loi. Il a examiné, en eux-mêmes, quelques passages de la loi sur les finances, et du manuscrit venu de Sainte-Hélène ; il y a vu, a-t-il dit, des injures ou des calomnies tendant à affaiblir le respect dû à l'autorité du Roi, et des provocations indirectes à l'invocation du nom de P'usurpateur ou de son fils : il a ajouté que l'auteur du manuscrit venu de Sainte-Hélène serait punissable s'il l'avait publié en France, et que les éditeurs devaient être passibles des peines auxquelles il aurait été lui-même soumis.

» Dans l'examen qu'il a fait de quelques passages de notre travail sur les finances, M. l'avocat du Roi a fait tous ses efforts pour prouver qu'il s'y trouvait des injures et des calomnies contre l'autorité du Roi, et que ces injures ou ces calomnies pourraient avoir pour résultat l'affaiblissement du respect dû à l'autorité royale. Mais il n'a rien dit qui put faire supposer qu'en écrivant, nous eussions eu ce résultat pour but; il a examiné ces passages en critique, et il a conclu en magistrat. Il a suivi la même méthode à l'égard du manuscrit venu de Sainte-Hélène.

« Nous avons à chercher, a-t-il dit, si, en prin»cipe général, l'éditeur d'un ouvrage séditieux » est coupable et responsable, envers la société,

» du délit qui existe dans l'ouvrage considéré » en lui-même. L'affirmative ne souffre point de » difficulté: En effet, ce n'est pas la composition qui est coupable, mais la publication ou la >> tentative de publier.

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29.

» Il nous paraît que M. l'avocat du Roi est tombé dans une grande erreur. Un ouvrage, quel qu'il soit, n'est ni criminel ni vertueux ; c'est de la matière inorganisée, et rien de plus. Or, cette matière n'ayant ni désir, ni volonté, ni moralité, ne saurait être soumise à l'action des lois. On peut bien, dans le langage vulgaire, dire qu'un livre est innocent ou coupable, et transporter à l'ouvrage une qualification qui ne convient qu'à l'auteur; mais, quand on parle la langne des lois, il faut plus d'exactitude: il faut tâcher d'éviter les équivoques, et ne pas confondre, à l'aide d'une expression figurée, des choses qui doivent demeurer distinctes.

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Si, en écrivant la partie de notre volume relative aux finances, nous avions eu pour but d'affaiblir le respect dû à l'autorité du Roi, et si, pour arriver à ce but, nous avions employé contre lui des injures ou des calomnies, nous nous trouverions dans le cas prévu par la loi du 9 novembre: cela est évident. Mais si, comme cela a été précédemment établi, nous nous sommes

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