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combattu dans toutes les occasions, et que ce n'était pas sans quelque succès. Mais en exami nant le contenu matériel de ce manuscrit, il y a trouvé des passages desquels il a inféré que la réimpression que nous en avions fait faire, pourrait provoquer quelques hommes ignorans ou aveugles à invoquer le nom de Bonaparte ou de son fils. De là, il a tiré la conséquence que nous devions être punis comme si nous avions nousmêmes provoqué les citoyens à la sédition ou à la révolte. M. l'avocat du Roi a donc pensé que, pour savoir si celui qui donnait un ouvrage au public était punissable, il fallait examiner, non le résultat que l'auteur ou l'éditeur, avaient voulu obtenir, mais celui que l'ouvrage pourrait produire ; c'est d'après ce résultat probable, disaitil dans son premier plaidoyer, que les écrivains doivent être jugés.

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» A votre dernière audience, M. l'avocat du Roi s'est exprimé d'une manière bien plus nette encore. Il a dit que, pour savoir, si l'éditeur et l'imprimeur d'un ouvrage étaient coupables, il ne fallait nullement examiner leurs intentions ; que leurs intentions pouvaient n'être. pas les memes que les intentions de l'auteur, et que cependant ils devaient être punis des mêmes peines, parce que le préjudice qu'ils causaient à

la société était le même ; que l'éditeur et l'imprimeur pouvaient ne s'être pas associés aux intentions de l'auteur; ne pas s'être proposé le but direct de porter atteinte à l'autorité du Roi; qu'ils pouvaient c'avoir pas voulu le renversement du gouvernement, et n'avoir été mus que par l'ap pât du gain; que le tribunal avait déjà puni comme séditieux des hommes qui, dans leurs actions pouvaient n'avoir eu aucune idée de sédition : cela, a-t-il dit, n'a pas empêché qu'ils ont été punis, parce que le fait, en lui-même, était séditieux, et qu'on doit punir l'auteur du fait séditieux, quelles que soient ses intentions.

» La doctrine du ministère public est donc que, toutes les fois qu'il s'agit de délits prévus par la loi du 9 novembre, on peut être criminel sans avoir eu aucune intention criminelle, ou même avec l'intention de faire un acte utile au public et au gouvernement. Ainsi, par exemple, un insensé qui s'échapperait de Charenton, et qui ferait entendre des cris qualifiés séditieux, devrait être puni par les tribunaux criminels; un aveugle qui, croyant arborer le drapeau blanc, arborerait un drapeau tricolore qu'on aurait malicieusement placé sous sa main, devrait encore être condamné comme un séditieux; un libraire qui croyant vendre l'Almanach Royal, yendrait un

ouvrage séditieux qu'on aurait substitué à celui qu'il voulait vendre, devrait être également poursuivi devant les tribunaux criminels. Il n'est, en effet, aucun de ces individus auquel on ne pût dire, à l'exemple de M. l'avocat du Roi, que le fait en lui-même est séditieux, et qu'on doit punir l'auteur du faît séditieux, quelles que soient ses intentions.

» Si la doctrine que veut faire établir le ministère public était adoptée; si l'on décidait qu'il faut juger l'auteur, l'éditeur ou l'imprimeur d'un ouvrage, en examinant l'effet que cet ouvrage peut produire, et en faisant abstraction du but qu'on s'est proposé en le publiant, non-seulement il ne serait plus permis de divulguer ses pensées, quelles qu'elles fussent; mais il n'y aurait pas même de sûreté à vendre les ouvrages qui jusqu'ici nouis ont paru les plus innocens. Quel est, en effet, le livre qui, dans les mains d'un homme dont l'esprit est essentiellement faux, ne puisse devenir un livre dangereux ? Quel est l'écrivain qui n'ait fait le tableau de quelque vice, ou qui n'ait commis quelque erreur?

>> Prendrons-nous Montaigne ? Mais ses essais sont remplis d'idées républicaines, et ils sont terminés par un discours sur la servitude volontaire, qui pourrait être fort dangereux pour la

monarchie. Prendrons-nous Corneille ou Racine? Mais les OEuvres de l'un sont remplies de discours en faveur de la république, et celles de l'autre offrent aux courtisans, dans les personnes de Mathan ou de Narcisse, les exemples les plus dangereux? Prendrons-nous Milton? Encore moins; car la conduite politique de l'auteur est une présomption terrible contre ses ouvrages: on trouve dans le Paradis perdu les discours de l'ange des ténèbres contre l'Etre suprême ; et, ce qu'il y de pire, c'est qu'on les y trouve, non pas avec une réfutation incomplète, mais sans aucune réfutation! Prendrons-nous la Bible? Mais. n'a-t-elle donné naissance à toutes les guerres de religion? Des esprits mal faits n'y ont-ils pas trouvé le principe des sectes les plus absurdes ou les plus abominables?

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» Il est peut-être un livre qu'on pourrait réimprimer sans danger; un livre qui appartient à un homme doué de beaucoup de simplicité et même le bonhomie, ce qui n'empêchait pas au reste qu'il n'eût un grand courage: je veux parler des Fables de La Fontaine. Hé bien! si la doctrine que le ministère public a professée à votre dernière audience est admise, il ne sera pas même permis de vendre ou de réimprimer ces Fables. Supposons, en effet, qu'on vous défère un homme

qui s'en sera rendu éditeur, et qu'après avoir éta bli, à l'aide de quelques inductions plus ou moins spécieuses, que La Fontaine était partisan de la république, et que par conséquent il était ennemi de la légitimité; après avoir établi qu'un éditeur doit être puni, quelles que soient ses intentions, si l'ouvrage est en lui-même séditieux, on vous rapporte, avec un commentaire, les passages dont je vais vous donner lecture, et dont je n'entends faire aucune application: supposons qu'on vous les rapporte avec cette expression qui donne aux choses une force et souvent même une intention que l'auteur n'avait pas voulu y, mettre.

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Veillé-je et n'est-ce point un songe que je vois?
Vous favori, vous grand! défiez-vous des rois;
Leur faveur est glissante: on s'y trompe; et le pire,
C'est qu'il en coûte cher: de pareilles erreurs

Ne produisent jantais que d'illustres malheurs (1).

» Voilà des vers qui tendent évidemment à jeter de la défiance entre les rois et leurs sujets; la défiance produit la haine; la haine engendre les guerres les guerres amènent les renversemens des trônes : les vers de La Fontaine ten

(1) Le Berger et le Roi.

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