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Si un journaliste avait fait un article dans lequel il nous aurait lui-même imputé tous les faits qui font l'objet de l'accusation portée contre nous, nous aurions pu le poursuivre comme calomniateur, et il ne se serait pas justifié en disant qu'il avait extrait ces faits d'actes juridi ques; car il n'existe encore aucun acte juridique qui puisse en fournir la preuve ; cependant il n'est aucun journal qui n'ait publié ces faits en rapportant l'ordonnance de prévention, ou le plaidoyer de M. l'avocat du Roi, et ce serait une grande absurdité de prétendre qu'en les rapportant ainsi, sans rien affirmer, si ce n'est l'accusation, ils nous ont calomniés. Il faut done admettre que divulguer ou publier des faits, ce n'est pas les imputer, et que faire connaître les imputations qu'un autre a faites, ce n'est pas faire soi-même des imputations; commé divulguer un faux témoignage, ce n'est pas être faux témoin. de

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L'article 368 du Code pénal, répute fausse toute imputation à l'appui de laquelle la preuve fégale n'est point rapportée, et l'article 370 ne considère comme preuve légale que celle qui résulte d'un jugement ou de tout autre acte au thentique. La loi veut donc qu'on puisse être adins à prouver les imputations qu'on a faites;

seulement, elle n'admet comme preuve que des actes authentiques. Mais cette preuve, par actes authentiques, n'est pas nécessaire, sans doute, lorsque l'individu à qui des imputations ont été faites, en reconnaît lui-même la vérité. Il serait absurde, en effet, d'admettre une plainte en calomnie dans laquelle la personne calomniée conviendrait de la vérité des faits qu'on lui aurait imputés.

» La preuve légale ou l'aveu des faits imputés

met donc l'auteur de l'imputation à l'abri de toute poursuite. Mais quels sont les faits dont il doit fournir la preuve? Ce sont les faits qu'il affirmés ou qu'il a voulu affirmer dans l'imputation. Ainsi, par exemple, si l'on a accusé une personne d'avoir commis un meurtre ou un vol, il faut prouver qu'en effet elle a commis un meurtre ou un vol; et cette preuve n'est pas même nécessaire, si elle convient de la vérité des faits qu'on lui a imputés, puisqu'alors elle ne peut pas prétendre qu'on lui a fait de fausses imputations. Si l'on a dit qu'une personne a accusé un tiers d'avoir excité les citoyens à l'insurrection par tels ou tels moyens, on est tenu de prouver qu'en effet cette personne a porté une telle accusation contre un tiers, et celui-ci ne pourra pas prétendre qu'on, l'a calomnié, s'il convient qu'il a été l'objet de cette acccusation.

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Supposons que l'auteur du Manuscrit venu de Sainte-Hélène, après l'avoir fait imprimer, se fût présenté devant un notaire; qu'il en eût déposé un exemplaire entre ses mains; qu'il en eût ensuite reconnu tous les passages, et qu'il eût fait dresser acte de sa reconnaissance; supposons, en outre, qu'un imprimeur ayant dans ses mains une expédition de l'acte et un exemplaire du livre, en eût fait la publication, pourrait-on le poursuivre comme coupable de calomnie? Non, sans doute, car il prouverait, par acte, authentique, la vérité de toutes ses affirmations; si, en effet, il n'avait affirmé que les choses constatées par cet acte, c'est-à-dire l'existence d'un écrit renfermant telle ou telle chose, et la reconnaissance que l'auteur en aurait faite. Or, en nous plaçant dans la position la plus défavorable, en supposant qu'en faisant réimprimer ce manuscrit nous n'eussions eu en vue que notre intérêt personnel, nous nous trouverions encore dans le cas où nous avons supposé l'imprimeur; puisque la preuve authentique n'est nécessaire que lorsque le fait est contesté, et qu'on ne conteste pas que le manuscrit inséré dans notre volume, n'ait été répandu dans toute l'Europe, et que nous l'ayons donné tel qu'il a été publié. Si l'on veut prouver que nous sommes punissables, il Cens. Europ.- TOм. V.

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faut qu'on nous accuse d'avoir supposé faussement l'existence de cet écrit, ou de l'avoir altéré dans le dessein de nuire, ou de l'avoir rapporté dans la vue de provoquer à la révolte.

» Nous devons donc regarder comme une vérité incontestable, que rapporter un discours qu'on blame, et dont on indique la source, n'est pas se rendre coupable des imputations injurieuses ou calomnieuses qui peuvent s'y trouver renfermées; et que l'article 368 du Code pénal, qui veut que l'auteur d'une imputation 'ne soit pas admis, pour sa défense, à demander que la preuve en soit faite, ne peut s'appliquer qu'à ceux qui, ayant fait des imputations, demanderaient à en prouver la vérité, autrement que par des actes authentiques.

» C'cst, en effet, ce qui se pratique en France, en Angleterre, et, je crois, dans tous les pays où l'on a mis quelque justice dans les lois pénales. Tous les discours qui ont été prononcés dans les temps les plus orageux de la révolution, ont été recueillis par des compilateurs ou par 'des historiens; " et quoique ces discours renfermassent beaucoup d'imputations injurieuses ou calomnieuses, il n'est personne qui se soit prétendu calomnié par ceux qui les ont rapportés.

» En 1815, il a circulé dans le public divers

manuscrits qu'on a considérés comme des rap ports faits au Roi par le ministre de la police (Fouché); ces rapports pouvaient alarmer les citoyens sur le maintien de l'autorité légitime ; puisque, si les faits qui y étaient énoncés étaient exacts, il en résultait qu'il n'y avait, en France, que quinze départemens sur lesquels le Roi pût compter. Cependant, un écrivain s'est emparé de ces rapports, les a publiés avec une réfutation, et personne ne s'est avisé de prétendre qu'il dût être poursuivi.

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Bonaparte, en entrant en France, dans les premiers jours de mars, publia des proclamations, et rendit des décrets qui provoquaient ouvertement les Français à l'insurrection. Ces actes, bien évidemment, rendaient passibles de peines criminelles, non-seulement celui qui en était l'auteur, mais encore ceux qui les répandaient dans le dessein de favoriser son entreprise. Nous avons vu cependant, depuis le second rétablissement de la famille royale sur le trône, des écrivains s'en eniparer pour en faire des recueils, et les publier sans le moindre obstacle. L'auteur de l'Itinéraire de Bonaparte, de l'île d'Elbe à l'ile Sainte-Hélène, les a tous publiés sans exception; un autre écrivain les a aussi publiés dans une histoire des campagnes de 1814

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