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de poursuivre est indépendant de celui de saisir et que, dans un pays où la presse est véritablement libre, et où l'on ne commence pas par faire saisir les ouvrages pour les faire censurer judiciairement, on peut poursuivre les écrivains, quoiqu'on n'ait pas le droit de saisir leurs écrits. Mais en peut-il être de même dans un pays où l'on commence par se faire remettre en dépôt des exemplaires de tous les ouvrages qui doivent être publiés, où l'on en fait faire ensuite un examen préparatoire dans les bureaux de la police, et où, après ce premier examen, on les saisit et on les défère aux tribunaux, pour les faire censurer judiciairement. Lorsque, dans un tel pays, après avoir reçu en dépôt, examiné, saisi et séquestré un ouvrage, on renonce à la faculté de le retenir, et qu'on consent, par cela même, à le laisser librement circuler, peut-on prétendre encore avoir le droit d'en poursuivre l'auteur ? L'obligation de rendre l'écrit n'établit-elle pas, en faveur de l'écrivain, la présomption qu'il n'est pas coupable, et une présomption contre laquelle au cune preuve contraire ne saurait être admise ?

et

» IV. La loi du 28 février porte qu'on pourra former opposition à la saisie d'un ouvrage qu'en cas d'opposition le ministère public sera tenu de faire statuer dans la huitaine sur la sai- TOM. V.

Cens. Europ.

2.2

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sie. Lorsque la loi fut présentée à la chambre des pairs, un membre exprima la crainte que, d'après la loi, on ne pût faire statuer sur la saisie du livre en l'absence de l'auteur. Voici comment répondit à l'objection le ministre de la police, auteur du projet de loi, et qui le défendait devant la chambre : « Un noble pair suppose que, par un détour adroit, on a voulu, dans la loi proposée, substituer à la personne de l'auteur qui pourrait se défendre, et dont les réclamations seraient quelquefois embarrassantes, la personne muette de son livre, sorte de prévenu de bien meilleure composition. Il s'est récrié sur la nouveauté, sur la commodité de cette théorie. Mais elle lui appartient toute entière. La loi proposée, comme toutes nos lois criminelles, ne sépare point le délit et le prévenu. Elle poursuit à la fois l'un et l'autre, ou plutôt c'est à celui-ci qu'elle demande compte des torts causés par celui-là..... L'ouvrage et l'auteur sont déférés en même temps aux tribunaux.

Le jugement sur la saisie peut être préparatoire, sans doute; mais il n'en devra pas moins être rendu à la pluralité des voix. Il n'est pas plus exact de dire que ce jugement sera rendu à huis elos, et sans entendre de défenseurs..... Les

craintes manifestées à cet égard n'ont donc pas de fondement, etc. » Ainsi, M. le ministre de la police, auteur de la loi du 28 février, et qui, par conséquent, dévait bien en connaître l'esprit, a reconnu que les jugemens sur saisie pourraient être préparatoires, et que cependant, alors même qu'ils ne seraient que préparatoires, ils ne pourraient pas étre rendus à huis clos, et sans entendre de défenseurs, et il a affirmé. que les craintes manifestées à ce sujet étaient sans fondement.

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» D'un autre côté, la loi du 25 août 1790, veut (art. 14) qu'en toute matière civile ou criminelle, les plaidoyers, rapports et jugemens soient publics, et que tout citoyen ait le droit de défendre lui-même sa cause, soit verbalement, soit par écrit. L'article 190 du Code d'instruction criminelle, déclare qu'en matière correctionnelle l'instruction sera publique à peine de nullité. Enfin, l'article 64 de la charte déclare que les débats seront publics en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les mœurs, et que, dans ce cas, le tribunal le déclare par un ju gement.

» Maintenant, une question est à faire. Les juges d'un tribunal de première instance, réunis

en chambre du conseil, peuvent-ils, même provisoirement, statuer à huis clos et sans entendre de défenseurs, sur la saisie d'un ouvrage? Le peuvent-ils, quoiqu'il ait été formellement expliqué qu'ils ne le pourraient pas? Le peuventils, quoique M. le ministre de la police, en présentant la loi, ait avancé qu'il n'était pas exact de dire que les jugemens sur saisie seraient rendus à huis clos et sans entendre de défenseurs, et que les craintes manifestées à cet égard étaient sans fondement? Le peuvent-ils,. enfin, quoique la loi du 24 août 1790, l'article 190 du Code d'instruction criminelle, et l'article 64 de la charte, veulent que l'instruction soit publique à peine de nullité (1) ?

-(1) On peut dire que la chambre du conseil avait à statuer sur deux questions: d'abord, sur la mise en prévention des auteurs, et ensuite sur le maintien provisoire de la saisie; et que, devant statuer sur la première à

huis clos et sans entendre de défenseurs, ils devaient statuer de la même manière sur la seconde. Mais ce raisonnement manque d'exactitude : lorsqu'une affaire présente diverses questions à résoudre, il faut juger à huis clos celles qui doivent être jugées à huis clos, et renvoyer, en audience publique, celles qui doivent être jugées en audience publique. Déjà cette question s'est présentée dans la même affaire, et c'est ainsi qu'elle a été résolue

» V. Lorsque la chambre du conseil a rendu contre un individu une ordonnance qui le met en état de prévention, le ministère public, s'il trouve que la prévention est mal établie dans cette ordonnance, peut y former opposition; l'art. 135 du Code d'instruction criminelle lui en accorde expressément la faculté, et il lui donne, pour en faire usage, un délai de vingtquatre heures, qui commence à courir à dater du jour où l'ordonnance est rendue. Là-dessus, il a été fait une demande : lorsque le ministère public n'a pas usé de la voie que la loi Iui ou

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Nous avions demandé au tribunal, par le même acte, l'annullation des mandats d'arrêt décernés contre nous, et subsidiairement notre liberté provisoire sous caution; la loi autorisait les juges à prononcer à huis clos sur cette dernière demande, mais elle gardait le silence sur la première. Le tribunal a cru qu'il pouvait, en conséquence, statuer sur l'une et sur l'autre à huis clós, et sans entendre de défenseurs. Mais, sur notre appel, son jugement a été annullé par la Cour royale. (Voyez l'arrêt dans le tome 4 du Censeur Européen, page 333.) La question de savoir si la saisie de notre volume pouvait être maintenue à huis clos et sans entendre de défen¬ seurs est d'autant plus importante, que, si elle est résolue négativement, il s'ensuit que l'ouvrage doit être restitué, et qu'aucune poursuite ne peut être dirigée

contre nous.

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