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qui les avait rendus aussi à craindre que des juges spéciaux. Sur cette observation et sur quelques autres aussi simples, les juges de la police correctionnelle ont considéré que nous provoquions, dans le système général du gouvernement et de l'administration, des changemens, des modifications qui se rapprochent des formes républicaines et s'écartent des principes de la monarchie, telle qu'elle est actuellement constituée en conséquence, nous avons été condamnés.

Mais les condamnations ne changent pas la nature des choses; ce qui était vrai avant le jugement qui nous condamne, n'a pas cessé de l'être; ce qui était faux l'est encore et le sera toujours: et eussions-nous été condamnés au dernier supplice, Bonaparte n'en aurait pas moins été un tyran; la plupart des institutions qu'il nous a données n'en seraient pas moins des institu tions essentiellement despotiques. L'affection que paraissent avoir conservé pour elles ceux de ses anciens serviteurs qui ont changé d'habit et de langage, n'est pas pour nous une raison de changer de principes; et, si c'est un délit que de demander la réformé régulière des institutions qui nous paraissent nuisibles au bien public, nous la demanderons encore, sans songer plus qu'auparavant à ce qui pourra nous en arriver.

Le jury est une des institutions sur lesquelles il nous paraît le plus urgent d'appeler l'attention. de la législature. Jusqu'en 1800, cette institution, quoique défectueuse sous quelques rapports, n'a cependant rien eu d'alarmant pour les accusés : le plus grand défaut qu'on pouvait lui reprocher, c'était de n'être pas assez générale : on ne l'appliquait que lorsqu'il y avait lieu de prononcer des peines afflictives ou infamantes; tandis qu'on aurait dû en faire l'application à toutes les matières criminelles, et souvent même aux matières civiles, comme cela se pratique chez d'autres peuples. En 1800, Bonaparte l'a complétement dénaturée, et cela, sans qu'on s'en soit, presque aperçu.

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Depuis 1791 jusqu'en 1800, époque de l'établissement du consulat, il avait existé dans tous les chefs-lieux de département, des administrations dont les membres étaient à la nomination du peuple. Ces administrations étaient chargées de la formation des listes sur lesquelles les jurés devaient être pris le gouvernement ne pouvait donc exercer aucune influence légale sur le choix des hommes appelés à prononcer sur l'honneur, la vie ou la liberté des citoyens, Mais, en 1800 Bonaparte ayant envahi le pouvoir à l'aide de ses soldats, fit tracer, à la pointe de son sabre,

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une constitution qui mit toutes les autorités à sa disposition.

S'il avait expressément déclaré que les hommes appelés à former un jury, seraient choisis par ses agens, cela aurait jeté l'épouvante dans la nation , parce qu'on n'aurait vu dans un jury ainsi composé, qu'une commission spéciale nommée par le gouvernement. Il s'y prit donc plus

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adroitement il ne fit aucune mention de cette institution, afin de ne pas attirer l'attention publique; mais il inséra dans l'article qui fixait ses attributions une petite disposition qui pouvait à peine être aperçue à la place où elle se trouvait, et qui paraissait être sans conséquence.

« Le premier consul, disait l'article 41 de sa constitution, promulgue les lois ; il nomme et révoque à volonté les membres du conseil d'état, les ministres, les ambassadeurs et autres agens extérieurs en chefs, les officiers de l'armée de terre et de mer, les membres des administrations locales, et les commissaires du gouvernement près les tribunaux. Il nonime tous les juges criminels et civils, autres que les juges de paix et les juges de cassation, sans pouvoir les révoquer.

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Les membres des administrations locales placés ainsi, comme par mégarde, au milieu des

accuser,

conseillers d'état, des ministres, des officiers de terre et de mer, et des ambassadeurs, disparurent pour faire place à des commissaires spéciaux, dont la mission fut de faire exécuter la conscription militaire, de lever des impôts, de désigner les individus qui devaient prononçer sur la vie des citoyens que le gouvernement faisait et de juger eux-mêmes les contestations qui s'élevaient entre le gouvernement et les ticuliers, quand il était question d'impôts. Ainsi furent anéanties les franchises que les communes avaient achetées de Louis-le-Gros, et que Saint-Louis et Philippe-le-Bel leur avaient confirmées. De toutes les usurpations de Bonaparte, ce fut, sans contredit, la plus criminelle; car elle lui donna les moyens d'exécuter toutes celles de ses conceptions qui ont réduit la France à l'état où elle se trouve.

par

Nous n'avons pas à examiner ici l'effet qu'a produit, sur la prospérité publique, la destruction des priviléges des communes (1); nous voulons seulement faire voir l'influence qu'a pu exercer

(1) Voyez la Correspondance poli'ique et administrative commencée au mois de mai 1814, et dédiée à M. le comte de Blacas d'Aulps, par J. Fiévée, 1re. partie, page 25.

le gouvernement sur les jugemens en matière criminelle, depuis la destruction des administrations locales. Nous allons, à cet effet, donner une analyse de notre Code d'instruction criminelle. Nous ne nous occuperons que des dispositions fondamentales.

Un préfet, c'est-à-dire un commissaire du gouvernement révocable à volonté, instruit du nom des personnes qu'il faut faire juger et du crime qui leur est imputé, forme une liste de soixante personnes. 11 peut porter sur cette liste des agens du gouvernement, ou des employés de l'administration; il peut y porter aussi des personnes qui ne remplissent pas les conditions requises par la loi pour être jurés; la loi lui impose seulement l'obligation d'en obtenir l'autorisation d'un ministre, c'est-à-dire encore d'un homme du gouvernement,

Cette liste, de soixante individus choisis par le gouvernement, est transmise au président de la Cour d'assises, qui la réduit à trente-six. Sur ces trente-six, le ministère public, qui s'exerce encore par un agent du gouvernement, révocable à volonté, peut en récuser douze; les accusés en récusent douze de leur côté, et ce sont les douze qui restent qui forment ce qu'on appelle un jury, et qu'on ferait beaucoup mieux de nom

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