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mer une commission spéciale nommée par le

gouvernement.

Le droit de récusation accordé aux accusés, ne peut porter ni sur le préfet qui forme arbitrairement la liste des soixante, ni sur le président qui réduit cette liste à trente-six, ni sur le ministère public qui réduit cette dernière liste à vingt-quatre. Il peut donc arriver qu'un individu soit accusé par le gouvernement, c'est-àdire par le ministère; que le préfet qui forme la première liste et qui peut la former arbitrairement, soit choisi par les accusateurs, et qu'il soit l'ennemi personnel de l'accusé; que le président et l'avocat du Roi qui réduisent à vingtquatre la liste du préfet, soient également ses ennemis; enfin, que les vingt-quatre individus, sur lesquels douze doivent être choisis, soient tous dévoués au gouvernement qui accuse, ou ennemis personnels de l'accusé.

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Si cela peut arriver, 'si cela doit même arriver lorsque le ministère croit avoir des raisons de faire condamner un individu, quelle est la garantie des accusés dans les affaires politiques? Si, dans les vingt-quatre individus qu'on leur présente comme juges, ils voient vingt-quatre ennemis, ou vingt-quatre personnes dévouées à leurs accusateurs, n'est-ce pas une grande faveur qu'on

leur accorde en leur permettant d'en récuser la moitié, quand il est évident à leurs yeux que, sur les douze qui restent, il ne faut que sept voix pour les condamner ?

Toutes ces précautions que Bonaparte avait prises pour que les hommes qu'il voulait poursuivre ne pussent pas lui échapper, ne lui avaient pas paru suffisantes. Il avait voulu mettre, jusque dans le texte même des lois, un appât pour tenter les hommes qui se montreraient ardens pour son service? « Sa majesté impériale se réserve, » disait l'article 391 du Code d'instruction cri» minelle, de donner aux jurés qui auront » montré un zèle louable, des témoignages » honorables de sa satisfaction. >>> On sait ce que c'est que le zèle louable d'un juge spécial choisi par un agent du gouvernement, pour juger un homme que le gouvernement accuse. Il est des hommes qui s'effraient à l'apparition des cours prévôtales: nous ne dirons pas s'ils ont tort ou raison; mais il nous semble que ce que nous appelons en France un jury, n'est pas beaucoup plus rassurant.

Il est sans doute arrivé fort souvent en France, que les hommes accusés de délits politiques ont été absous; la loyauté et la justice des ministres, des préfets, des présidens et des procureurs im

que

périaux ou royaux que nous avons eus pendant l'espace de quinze ans, ne nous permettent pas d'en douter. Nous avouerons cependant qu'il n'est parvenu à notre connaissance qu'une seule décision qui ait renvoyé les accusés absous: c'est la décision du jury qui acquitta les municipaux d'Anvers, accusés de concussion. Il est vrai le préfet qui avait formé la liste des soixante, était M. d'Argenson; qu'il fut destitué pour n'avoir pas agi selon les vues du gouvernement; que la décision du jury fut annullée par un sénatus-consulte, et qu'il fut ordonné que les jurés qui n'avaient pas montré le zèle louable prescrit par l'art. 391 du code d'instruction criminelle seraient eux-mêmes mis en jugement. Mais, quoique les préfets comme M. d'Argenson, soient assez rares, cela ne prouve pas que notre jury pas absous beaucoup de personnes accusées par le gouvernement. D'ailleurs, si cela ne lui est pas arrivé, tout ce qu'on peut en conclure, c'est que tous les hommes qui lui ont été déférés étaient criminels, et qu'il a toujours rendu de bons arrêts, bien justes.

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Si le code d'instruction criminelle donne aux agens du gouvernement le moyen de faire condamner les accusés, il leur fournit aussi le moyen de les faire absoudre. Ainsi, par exemple, si un

homme qui aurait déplu à un ministre ou à un préfet était assassiné; et, si l'on était obligé de mettre l'assassin en jugement, rien ne serait plus facile que de le faire absoudre : il suffirait pour cela de faire le contraire de ce qu'on ferait pour obtenir sa condamnation. Le préfet n'aurait qu'à mettre sur sa liste soixante individus bien dévoués à l'accusé, ou bien ennemis de celui qui aurait été tué : il pourrait même, pour se donner un air d'impartialité, y mettre quelques hommes probes que l'accusé ou la partie publique feraient disparaître par le moyen de la récu

sation.

Ce danger pent paraître moins grave que le danger des condamnations injustes; cependant, dans les temps de trouble, il l'est peut-être davantage; car, dans des temps pareils, il menace le corps social de dissolution, en livrant la vie de chaque citoyen à la merci de tout malfaiteur qui sait flatter les passions des hommes en pouvoir. Supposez un préfet qui, ayant des passions exaltées, s'imagine rendre service au gouvernement, en faisant disparaître des hommes qui professent des opinions religieuses ou politiques contraires aux siennes, quelle sûreté y aura-t-il pour eux, s'il est possible de les frapper impunéntent? Depuis deux ans, plusieurs crimes politiques ont

été commis dans les provinces méridionales de la France. Nous devons rejeter loin de nous l'idée que les autorités locales aient composé les listes des jurés de manière à faire absoudre les criminels; et, si les individus accusés ont été absous, nous devons croire qu'ils étaient innocens. Il est cependant à regretter qu'on n'ait pas pu, au moins pour l'édification publique, découvrir ou convaincre un seul coupable, lorsqu'il est constant que la plupart des attentats qui ont été commis, ont été exécutés en plein jour et en public.

C'est sans doute le sentiment des vérités que nous venons d'exposer, qui a fait desirer à M. Ricard de voir le jury rendu à son indépendance naturelle. « L'essence du jury, dit-il, est d'être libre. Il ne doit être soumis à aucune sorte d'influence, ni pour sa formation, ni pour son emploi. Pourquoi les élémens de la liste des jurés sont-ils fournis aux tribunaux par les préfets ? Qu'ont de commun deux opérations entièrement distinctes? Lorsque la loi de septembre 1791 attribuait aux directoires de département le droit de présenter la liste des jurés, les membres de ces administrations étaient électifs, et les préfets qui les ont remplacés sont à la nomination du gouvernement. »

Un des principaux avantages qu'offre l'insti

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