Images de page
PDF
ePub

tution du jury, c'est de mettre l'accusateur, les témoins et l'accusé en présence d'hommes qui les connaissent tous et qui peuvent apprécier la moralité des uns et des autres, non-seulement par les faits qui sont soumis aux débats, mais par les actions de toute leur vie. Mais cet avantage est perdu, si les accusés, au lieu d'ètre jugés par leurs voisins, sont jugés par des hommes qui ne les ont jamais connus. C'est cependant ce qui se pratique en France; les préfets, quand il s'agit de juger des crimes ordinaires, forment leurs listes au hasard. Il résulte de là, d'abord,`que les jurés ne connaissent ni les accusés ni les témoins; et, en second lieu, que les accusés ne peuvent faire aucun usage raisonnable du droit de récusation qui leur est accordé, puisqu'ils ne connaissent ordinairement aucune des personnes qui leur sont présentées pour être jurés.

Le code d'instruction criminelle autorise les cours royales à désigner le lieu dans lequel se tiendront les assises. Ce lieu devrait toujours être le chef-lieu de canton ou tout au moins d'arrondissement dans le ressort duquel le délit ou le crime a été commis. Cela aurait, il est vrai, l'inconvénient de faire déplacer le magistrat qui doit présider les assises ou les juges

[ocr errors]

qui doivent l'assister mais aussi le déplacement des jurés ou des témoins n'aurait pas lien, et cela faciliterait beaucoup l'instruction de la procédure; cela la rendrait même plus économique, puisque le déplacement des témoins et des jurés est toujours plus coûteux que ne le serait le déplacement des juges. Cette manière de procéder aurait d'ailleurs, outre l'avantage dont nous avons déjà parlé, de mettre les accusateurs, les accusés et les témoins en présence d'hommes qui les connaîtraient, tout le bon effet que doit produire la prononciation du châtiment dans le lieu même où le crime a été commis. Enfin, elle donnerait le moyen d'appliquer l'institution du jury à des matières auxquelles on ne l'a pas appli qué jusqu'ici.

[ocr errors]

Il n'est rien qui s'oppose aux progrès de l'agriculture comme la difficulté d'en faire respecter les produits. Il est des pays, où faute d'avoir une justice prompte et peu coûteuse on ne cultive que les choses qui ne sont presque pas susceptibles d'être volées. La raison en est toute simple: pour faire punir les voleurs, il faut aller plaider à huit ou dix lieues; il faut y faire transporter des témoins à grands frais; c'est-à-dire, qu'il faut dépenser vingt fois la valeur de la chose volée, pour obtenir une condamnation qui ne produira

rien, si, comme cela arrive presque toujours, le voleur est insolvable ; on aime mieux alors renon; cer à poursuivre, et même à cultiver des terres qu'on n'a pas le moyen de faire respecter. Si un jury de cultivateurs, formé devant le juge de paix, était appelé à prononcer sur tous les délits ruraux, et même sur tous les délits actuellement soumis aux tribunaux correctionnels, les citoyens pourraient jouir d'une justice prompte, peu dispendieuse et bien administrée. Une institution de cette nature sorait plus utile peut-être qu'une chambre des représentans ou qu'une chambre des pairs.

Mais par qui devrait être formée la liste des jurés, et quels sont les hommes qui devraient y être portés ? Dans nos temps modernes, ce sont les gouvernemens qui se chargent de la poursuite des délits ; ils sont toujours accusateurs, souvent même ils sont parties plaignantes ou lésées : c'est assez dire que ce n'est point à eux que doit être dévolue l'obligation de former la liste sur laquelle les jurés doivent être pris. S'il est contre le bou sens d'être tout à la fois juge et partie, il ne l'est pas moins d'être tout à la fois accusateur et élec-teur des juges qui doivent prononcer sur le sort de l'accusé. En Angleterre, c'est le shérif, magistrat nommé par le peuple, qui est chargé de

la formation des listes. En France, on pourrait en charger les juges de paix, si, comme cela avait lieu dans l'origine, ils étaient à la nomination des citoyens. Mais peut-être serait-il mieux de porter dans chaque canton, ou dans chaque arrondissement, le nom de tous les citoyens sur une liste, et de les appeler à remplir les fonctions de juré à tour de rôle. Tel paraît être l'avis de M. Ricard.

« La loi organique des élections, dit-il, doit servir de type à celle du jury, Ces deux lois réunies doivent former la base de notre droit public. Quelle inconséquence y aurait-il à ce qu'on fût juré comme on est électeur? Celui dont la quotité contributive est jugée, suffisante pour participer au choix de nos premiers mandataires, doit avoir assez d'intérêt au maintien de l'ordre pour coopérer à en réprimer les abus. On ne, propose rien de nouveau d'après la constitution de 1791, qui s'éleva sur la concession de tous les privilèges, il fallait, pour être juré, payer la même quotité d'impositions que pour

être électeur ou membre d'une administration supérieure. Un revenu ou bail de 150 à 200 fr, suffisait. C'était un excès de popularité; les deux tiers au moins des jurés pouvaient être pris dans une classe où les lumières, le courage et la respon

sabilité ne sont pas de rigueur. On exige aujour d'hui qn'un électeur paie 300 fr. de contribu tions, ce qui suppose un revenu au moins de 1200 fr. L'on voit que la loi du 5 février a quadruplé la garantie des électeurs, et c'est à ce taux qu'on voudrait élever celle des jurés, ce qui ne serait pas rabaisser leur ministère. »

En laissant l'organisation du jury telle qu'elle existe, c'est-à-dire en ne l'appliquant qu'au cas où les accusés peuvent avoir encouru des peines afflictives et infamantes, et en obligeant les parties, les jurés et les témoins, à se transporter au loin, afin de ne pas déplacer les juges, on pourrait exiger sans doute que les personnes appelées à être jurés, remplissent les conditions prescrites pour être électeurs. Mais si l'institution du jury était appliquée à tous les cas où elle devrait l'être, on pourrait se contenter de conditions moins rigoureuses. L'homme qui ne paie que 150 fr. de contributions, se croit aussi intéressé au respect des propriétés que l'homme qui paie 300 fr.; il peut même l'être davantage, et ce n'est pas sans raison. Le dégât que peut cau ser un individu sur des terres d'une vaste étendue, est peu de chose pour celui qui jouit d'une grande fortune. Mais l'homme qui ne possède que quelques arpens de terre, et qui les voit

« PrécédentContinuer »