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Que s'ils vont toujours un même train, comme les eaux et comme les arbres, c'est folie de leur donner un principe, dont on ne voit parmi eux aucun effet..

Et il faut ici remarquer que les animaux à qui nous voyons faire les ouvrages les plus industrieux, ne sont pas ceux où d'ailleurs nous nous imaginons le plus d'esprit. Ce que nous voyons de plus ingénieux parmi les animaux sont les réservoirs des fourmis, si l'observation en est véritable; les toiles des araignées, et les filets qu'elles tendent aux mouches; les rayons de miel des abeilles; la coque des vers a soie; les coquilles des limaçons et des autres animaux semblables, dont la bave forme autour d'eux des bâtiments si ornés, et d'une architecture si bien entendue. Et toutefois ces animaux n'ont d'ailleurs aucune marque d'esprit ; et ce seroit une erreur de les estimer plus ingénieux que les autres, puisqu'on voit que leurs ouvrages ont en effet tant d'esprit, qu'ils les passent, et doivent sortir d'un principe supérieur.

Aussi la raison nous persuade que ce que les animaux font de plus industrieux, se fait de la même sorte que les fleurs, les arbres, et les animaux eux-mêmes, c'est-à-dire, avec art du côté de Dieu, et sans art qui réside en eux.

Mais du principe de réflexion qui agit en nous, naît une seconde chose; c'est la liberté, nouveau principe d'invention et de variété parmi les hommes. Car l'ame élevée par la réflexion audessus du corps et au-dessus des objets, n'est point entraînée par leurs impressions, et demeure libre et maîtresse des objets, et d'elle-même. Ainsi elle s'attache à ce qu'il lui plaît, et considère ce qu'elle veut, pour s'en servir selon les fins qu'elle se propose.

Cette liberté va si loin, que l'ame, s'y abandonnant, sort quelquefois des limites que la raison lui prescrit; et ainsi, parmi les mouvements qui diversifient en tant de manières la vie humaine, il faut compter les égarements et les fautes.

De là sont nées mille inventions; les lois, les instructions, les récompenses, les châtiments, et les autres moyens qu'on a inventés pour contenir ou pour redresser la liberté égarée.

Les animaux ne s'égarent pas en cette sorte: c'est pourquoi on ne les blâme jamais. On les frappe bien de nouveau, par la même raison qui fait qu'on retouche souvent à la corde qu'on veut monter sur un certain ton. Mais les blåmer, ou se fâcher contre eux, c'est comme quand, de colère, on rompt sa plume qui ne marque pas, ou qu'on jette à terre un couteau qui refuse de couper.

Ainsi la nature humaine a une étendue en bien et en mal, qu'on ne trouve point dans la nature animale; et c'est pourquoi les passions dans les animaux ont un effet plus simple et plus certain. Car les nôtres se compliquent par nos réflexions, et s'embarrassent mutuellement. Trop de vues, par exemple, mêleront la crainte avec la colère, ou la tristesse avec la joie. Mais comme les animaux, qui n'ont point de réflexion, n'ont que les objets naturels, leurs mouvements sont moins détournés.

Joint que l'ame, par sa liberté, est capable de s'opposer aux passions avec une telle force, qu'elle en empêche l'effet. Ce qui étant une marque de raison dans l'homme, le contraire est une marque que les animaux n'ont point de | raison.

Car partout où la passion domine sans résistance, le corps et ses mouvements y font et y peuvent tout; et ainsi la raison n'y peut pas être.

Mais le grand pouvoir de la volonté sur le corps, consiste dans ce prodigieux effet que nous avons remarqué que l'homme est tellement maître de son corps, qu'il peut même le sacrifier à un plus grand bien qu'il se propose. Se jeter au milieu des coups, et s'enfoncer dans les traits par une impétuosité aveugle, comme il arrive aux animaux, ne marque rien au-dessus du corps car un verre se brise bien en tombant d'en haut de son propre poids. Mais se déterminer à mourir avec connoissance et par raison, malgré toute la disposition du corps, qui s'oppose à ce dessein, marque un principe supérieur au corps; et parmi tous les animaux, l'homme est le seul où se trouve ce principe.

La pensée d'Aristote est belle ici, que l'homme seul a la raison, parceque seul il peut vaincre et la nature et la coutume.

Par les choses qui ont été dites: il paroît manifestement qu'il n'y a dans les animaux ni art, ni réflexion, ni invention, ni liberté. Mais moins il y a de raison en eux, plus il y en a dans celui qui les a faits.

Et certainement c'est l'effet d'un art admirable, d'avoir si industrieusement travaillé la matière, qu'on soit tenté de croire qu'elle agit par elle-même, et par une industrie qui lui est propre.

Les sculpteurs et les peintres semblent animer les pierres, et faire parler les couleurs; tant ils représentent vivement les actions extérieures, qui marquent la vie. On peut dire, à peu près dans le même sens, que Dieu fait raisonner les animaux, parcequ'il imprime dans leurs actions une image si vive de raison, qu'il semble d'abord qu'ils raisonnent.

Il semble, en effet, que Dieu ait voulu nous donner, dans les animaux, une image de raisonnement, une image de finesse; bien plus, une image de vertu et une image de vice; une image de piété dans le soin qu'ils montrent tous pour leurs petits, et quelques uns pour leurs pères; une image de prévoyance, une image de fidélité, une image de flatterie, une image de jalousie et d'orgueil, une image de cruauté, une image de fierté et de courage. Ainsi les animaux nous sont un spectacle, où nous voyons nos devoirs et nos manquements dépeints. Chaque animal est chargé de sa représentation. Il étale, comme un tableau, la ressemblance qu'on lui a donnée; mais il n'ajoute, non plus qu'un tableau, rien à ses traits. Il ne montre d'autre invention que celle de son auteur; et il est fait, non pour être ce qu'il nous paroît, mais pour nous en rappeler le souvenir.

Admirons donc dans les animaux, non point leur finesse et leur industrie; car il n'y a point d'industrie où il n'y a pas d'invention; mais la sagesse de celui qui les a construits avec tant d'art, qu'ils semblent même agir avec art.

Il n'a pas voulu toutefois que nous fussions déçus par cette apparence de raisonnement que nous voyons dans les animaux. Il a voulu, au contraire, que les animaux fussent des instruments dont nous nous servons, et que cela même fût un jeu pour nous.

Nous domptons les animaux les plus forts, et venons à bout de ceux qu'on imagine les plus rusés. Et il est bon de remarquer que les hom⚫ mes les plus grossiers sont ceux que nous employons à conduire les animaux; ce qui montre combien ils sont au-dessous du raisonnement, puisque le dernier degré de raisonnement suffit pour les conduire comme on veut.

Une autre chose nous fait voir encore combien les bêtes sont loin de raisonner. Car on n'en a jamais vu qui fussent touchées de la beauté des objets qui se présentent à leurs yeux, ni de la douceur des accords, ni des autres choses semblables, qui consistent en proportions et en mesures; c'est-à-dire qu'elles n'ont pas même cette espèce de raisonnement qui accompagne toujours en nous la sensation, et qui est le premier effet de la réflexion.

blablement qu'ils entendent la nature et les convenances.

Et quand on croit pouvoir prouver la ressemblance du principe intérieur par celle des organes, on se trompe doublement. Premièrement, en ce qu'on croit l'intelligence absolument attachée aux organes corporels; ce que nous avons vu être très faux. Et le principe dont se servent les défenseurs des animaux, devroit leur faire tirer une conséquence opposée à celle qu'ils tirent. Car s'ils soutiennent, d'un côté, que les organes sont communs entre les hommes et les bêtes; comme d'ailleurs il est clair que les hommes entendent des objets dont on ne peut pas même soupçonner que les animaux aient la moindre lumière, il faudroit conclure nécessairement que l'intelligence de ces objets n'est point attachée aux organes, et qu'elle dépend d'un autre principe.

Mais, secondement, on se trompe quand on assure qu'il n'y a point de différence d'organes entre les hommes et les animaux. Car les organes ne consistent pas dans cette masse grossière que nous voyons et que nous touchons. Ils dépendent de l'arrangement des parties délicates et imperceptibles, dont on aperçoit quelque chose en y regardant de près; mais dont toute la finesse ne peut être sentie que par l'esprit.

Or personne ne peut savoir jusqu'où va dans le cerveau cette délicatesse d'organes. On dit seulement que l'homme, à proportion de sa grandeur, contient dans sa tête, sans comparaison, plus de cervelle qu'aucun animal, quel qu'il soit.

Et nous pouvons juger de la délicatesse des parties de notre cerveau, par celle de notre langue. Car la langue de la plupart des animaux, quelque semblable qu'elle paroisse à la nôtre dans sa masse extérieure, est incapable d'articulation. Et pour faire que la nôtre puisse articuler distinctement tant de sons divers, il est aisé de juger de combien de muscles délicats elle a dû être composée.

Maintenant il est certain que l'organisation du cerveau doit être d'autant plus délicate, qu'il y a, sans comparaison, plus d'objets dont il peut recevoir les impressions, qu'il n'y a de sons que la langue puisse articuler.

Mais, au fond, c'est une méchante preuve de raisonnement que celle qu'on tire des organes, puisque nous avons vu si clairement combien il est impossible que le raisonnement y soit attaché et assujetti de lui-même.

Qui considérera toutes ces choses, s'apercevra aisément que c'est l'effet d'une ignorance grossière, ou de peu de réflexion, de confondre les animaux avec l'homme, ou de croire qu'ils ne diffèrent que du plus ou du moins; car on doit avoir aperçu combien il y a d'objets dont les animaux ne peuvent être touchés, et qu'il Ce qui fait raisonner l'homme n'est pas l'arn'y en a aucun dont on puisse juger vraisem-rangement des organes, c'est un rayon et une

image de l'esprit divin; c'est une impression,, au rapport de Plutarque, que les bêtes ne sennon point des objets, mais des vérités éternel- toient pas, à cause de la grossièreté de leurs orles, qui résident en Dieu comme dans leur sour- ganes, il n'avoit point eu de sectateurs. Du temps ce: de sorte que vouloir voir les marques du de nos pères, un médecin espagnol' a enseigné raisonnement dans les organes, c'est chercher à la même doctrine au siècle passé, sans être suivi, mettre tout l'esprit dans le corps. à ce qu'il paroit, de qui que ce soit. Mais depuis peu M. Descartes a donné un peu plus de vogue à cette opinion, qu'il a aussi expliquée par de meilleurs principes que tous les autres.

Et il n'y a rien assurément de plus mauvais sens que de conclure qu'à cause que Dieu nous a donné un corps semblable aux animaux, il ne nous a rien donné de meilleur qu'à eux. Car sous les mêmes apparences il a pu cacher divers trésors; et ainsi il en faut croire autre chose que les apparences.

La première opinión, qui donne le sentiment pour instinct, remarque, 1o que notre amé à deux parties, la sensitive et la raisonnable. Elle remarque, 2o que puisque ces deux parties ont en nous des opérations si distinctes, on peut les séparer entièrement; c'est-à-dire, que comme on comprend qu'il y a des substances purement intelligentes, comme sont les anges, il y en aura de purement sensitives, comme sont les bêtes.

Ce n'est pas en effet par la nature ou par l'arrangement de nos organes que nous connoissons notre raisonnement. Nous le connoissons par expérience, en ce que nous nous sentons capables de réflexion : nous connoissons un pareil talent dans les hommes nos semblables, parceque nous voyons par mille preuves, et surtout par le langage, qu'ils pensent et qu'ils réfléchissent comme nous; et comme nous n'aper-le corps et les organes, mais encore les sénsacevons dans les animaux aucune marque de réflexion, nous devons conclure qu'il n'y a en eux aucune étincelle de raisonnement.

Je ne veux point ici exagérer ce que la figure humaine a de singulier, de noble, de grand, d'adroit et de commode au-dessus de tous les animaux : ceux qui l'étudieront, le découvriront aisément; et ce n'est pas cette différence de l'homme d'avec la bète, que j'ai eu dessein d'expliquer.

Ils y mettent donc tout ce qu'il y a en nous qui ne raisonne pas, c'est-à-dire, non seulement

tions, les imaginations, les passions, enfin tout ce qui suit les dispositions corporelles, et qui est dominé par les objets.

Mais comme nos imaginations et nos passions ont souvent beaucoup de raisonnement mêlé, ils retranchent tout cela aux bêtes; et en un mot, ils n'y mettent que ce qui se peut faire sans réflexion.

Il est maintenant aisé de déterminer cé qui s'appelle instinct, dans cette opinion; car, en donnant aux bêtes tout ce qu'il y a en nous de sensitif, on leur donne par conséquent le plaisir et la douleur, les appétits ou les aversions qui les suivent: car tout cela ne dépend point du raisonnement.

Máis après avoir prouvé que les bêtes n'agissent point par raisonnement, examinons par quel principe on doit croire qu'elles agissent. Car il faut bien que Dieu ait mis quelque chose en elles, pour les faire agir convenablement comme elles font, et pour les pousser aux fins L'instinct des animaux ne sera donc autre auxquelles il les a destinées. Cela s'appelle or- chose que le plaisir et la douleur, que la nature dinairement instinct. Mais comme il n'est pas aura attachés en eux, comme en nous, à cerbon de s'accoutumer à dire des mots qu'on n'en-tains objets, et aux impressions qu'ils font dans tende pas, il faut voir ce qu'on peut entendre par celui-ci.

le corps.

Et il semble que le poète ait voulu expliquer cela, lorsque, parlant des abeilles, il dit qu'elles ont soin de leurs petits, touchées par une cer

Le mot d'instinct, en général, signifie impulsion. Il est opposé à choix; et on a raison de dire que les animaux agissent par impulsion plu-taine douceur. tôt que par choix.

Mais qu'est-ce que cette impulsion et cet instinct? Il y a sur cela deux opinions qu'il est bon de rapporter en peu de paroles.

La première veut que l'instinct des animaux soit un sentiment. La seconde n'y reconnoît autre chose qu'un mouvement semblable à celui des horloges et autres machines.

Ce dernier sentiment est presque né dans nos jours. Car quoique Diogène le Cynique eût dit,

Ce sera donc par le plaisir et par la douleur, que Dieu poussera et incitera les animaux aux fins qu'il s'est proposées. Car à ces deux sensations sont joints naturellement les appétits convenables.

A ces appétits seront jointes, par un ordre de la nature, les actions extérieures, comme s'ap

Gomesius Pereira, dans l'ouvrage intitulé du nom de son père et de sa mère: Antoniana Marguerila,

procher ou s'éloigner; et c'est ainsi, disent-ils, que poussés par le sentiment d'une douleur violente nous retirons promptement et avant toute réflexion notre main du feu.

Et si la nature a pu attacher les mouvements extérieurs du corps à la volonté raisonnable, elle a pu aussi les attacher à ces appétits brutaux dont nous venons de parler.

Pour cela, il faut entendre ce qu'on appelle proprement spirituel.

Spirituel, c'est immatériel. Et saint Thomas appelle immatériel ce qui non seulement n'est pas matière, mais qui de soi est indépendant de la matière.

Cela même, selon lui, est intellectuel. Il n'y a que l'intelligence qui d'elle-même soit indépendante de la matière, et qui ne tienne à aucun organe corporel.

Telle est la première opinion touchant l'instinct. Elle paroit d'autant plus vraisemblable, qu'en donnant aux animaux le sentiment et ses suites, elle ne leur donne rien dont nous n'ayons l'expérience en nous-mêmes, et que d'ailleurs elle sauve parfaitement la dignité de la na-nom, parcequ'en effet nous les avons vues toutture humaine, en lui réservant le raisonne-à-fait assujetties à la matière et au corps. Elles

ment.

Il n'y a donc proprement en nous d'opération spirituelle, que l'opération intellectuelle. Les opérations sensitives ne s'appellent point de ce

servent à la partie spirituelle, mais elles ne sont pas spirituelles; et aucun auteur, que je sache, ne leur a donné ce nom.

Tous les philosophes, même les païens, ont distingué en l'homme deux parties: l'une rai

Elle a pourtant ses inconvénients, comme toutes les opinions humaines. Le premier est que la sensation, par toutes les choses qui ont été dites, et par beaucoup d'autres, ne peut pas être une affection des corps. On peut bien les subti-sonnable, qu'ils appellent vou, mens, en notre liser, les rendre plus déliés, les réduire en vapeurs et en esprits; par-là ils deviendront plus vites, plus mobiles, plus insinuants, mais cela ne les fera pas sentir.

Toute l'école en est d'accord. Et aussi, en donnant la sensation aux animaux, elle leur donne une ame sensitive distincte du corps.

Cette ame n'a point d'étendue; autrement elle ne pourroit pas pénétrer tout le corps, ni lui être unie, comme l'école le suppose.

Cette ame est indivisible selon saint Thomas, toute dans le tout, et toute dans chaque partie. Toute l'école le suit en cela, du moins à l'égard des animaux parfaits; car à l'égard des reptiles et des insectes dont les parties séparées ne laissent pas de vivre, c'est une difficulté à part, sur laquelle l'école même est fort partagée, et qu'il ne s'agit pas ici de traiter.

Que si l'ame qu'on donne aux bêtes est distincte du corps; si elle est sans étendue et indivisible, il semble qu'on ne peut pas s'empêcher de la reconnoître pour spirituelle.

Et de là naît un autre inconvénient. Car si cette ame est distincte du corps, si elle a son être à part, la dissolution du corps ne doit point la faire périr; et nous retombons par-là dans l'erreur des platoniciens, qui mettoient toutes les ames immortelles, tant celles des hommes, que celles des animaux.

Voilà deux grands inconvénients, et voici par où on en sort.

Et premièrement, saint Thomas et les autres docteurs de l'école ne croient pas que l'ame soit spirituelle précisément, pour être distincte du corps, ou pour être indivisible.

langue esprit, intelligence; l'autre qu'ils appellent sensitive et irraisonnable.

Ce que les philosophes païens ont appelé », mens, partie raisonnable et intelligente, c'est à quoi les saints Pères ont donné le nom de spirituel en sorte que, dans leur langage, nature spirituelle, et nature intellectuelle, c'est la même chose.

Ainsi le premier de tous les esprits c'est Dieu, souverainement intelligent.

La créature spirituelle est celle qui est faite à son image; qui est née pour entendre, et encore pour entendre Dieu selon sa portée.

Tout ce qui n'est point intellectuel n'est ni l'image de Dieu, ni capable de Dieu : dès-là il n'est pas spirituel.

De cette sorte, l'intellectuel et le spirituel c'est la même chose.

Notre langue s'est conformée à cette notion. Un esprit, selon nous, est toujours quelque chose d'intelligent; et nous n'avons point de mot plus propre pour expliquer celui de vous et de mens, que celui d'esprit.

En cela nous suivons l'idée du mot d'esprit et de spirituel qui nous est donnée dans l'Écriture, où tout ce qui s'appelle esprit, au sens dont il s'agit, est intelligent, et où les seules opérations qui sont nommées spirituelles sont les intellectuelles.

C'est en ce sens que saint Paul appelle Dieu, le Père de tous les esprits; c'est-à-dire de toutes les créatures intellectuelles, capables de s'unir à lui

Dieu est esprit, dit notre Seigneur, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en

vérité : c'est-à-dire que cette suprême intelligence doit être adorée par l'intelligence.

Selon cette notion, les sens n'appartiennent pas à l'esprit.

Quand l'apôtre distingue l'homme animal d'avec l'homme spirituel, il distingue celui qui agit par les sens, d'avec celui qui agit par l'entendement, et s'unit à Dieu.

Quand le méme apótre dit que la chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair, il entend que la partie intelligente combat la partie sensitive; que l'esprit, capable de s'unir à Dieu, est combattu par le plaisir sensible attaché aux dispositions corporelles.

Le même apôtre en séparant les fruits de la chair, d'avec les fruits de l'esprit, par ceux-ci entend les vertus intellectuelles, et par ceux-là entend les vices qui nous attachent aux sens et à leurs objets.

Et encore que parmi les fruits de la chair il range beaucoup de vices qui semblent n'appartenir qu'à l'esprit, tels que sont l'orgueil et la jalousie, il faut remarquer que ces sentiments vicieux s'excitent principalement par les marques sensibles de préférence, que nous desirons nous-mêmes, et que nous envions aux autres; ce qui donne lieu de les ranger parmi les vices, qui tirent leur origine des objets sensibles.

Il se voit donc que les sensations, d'ellesmêmes ne font point partic de la nature spirituelle, parcequ'en effet elles sont totalement assujetties aux objets corporels, et aux dispositions corporelles."

Ainsi la spiritualité commence en l'homme où la lumière de l'intelligence et de la réflexion commence à poindre, parceque c'est là que l'ame commence à s'élever au-dessus du corps, et non seulement à s'élever au-dessus, mais encore à le dominer, et à s'attacher à Dieu, c'està-dire, au plus spirituel et au plus parfait de tous les objets.

Quand donc on aura donné les sensations aux animaux, il paroît qu'on ne leur aura rien donné de spirituel. Leur ame sera de même nature que leurs opérations, lesquelles en nous-mêmes, quoiqu'elles viennent d'un principe qui n'est pas un corps, passent pourtant pour charnelles et corporelles, par leur assujettissement total aux dispositions du corps.

qu'elle est sans intelligence, incapable de posséder Dieu, et d'être heureuse.

Ils résoudront par le même principe l'objection de l'immortalité. Car encore que l'ame des bêtes soit distincte du corps, il n'y a point d'apparence qu'elle puisse être conservée séparément, parcequ'elle n'a point d'opération qui ne soit totalement absorbée par le corps et par la matière. Et il n'y a rien de plus injuste ni de plus absurde, aux platoniciens, que d'avoir égalé l'ame des bêtes, où il n'y a rien qui ne soit dominé absolument par le corps, à l'ame humaine, où l'on voit un principe qui s'élève au-dessus de lui, qui le pousse jusques à sa ruine pour contenter la raison, et qui s'élève jusques à la plus haute vérité, c'est-à-dire, jusques à Dieu même.

C'est ainsi que la première opinion sort des deux inconvénients que nous avons remarqués. Mais la seconde croit se tirer encore plus nettement d'affaire. Car elle n'est point en peine d'expliquer comment l'ame des animaux n'est ni spirituelle ni immortelle, puisqu'elle ne leur donne pour toute ame que le sang et les esprits.

et

Elle dit donc que les mouvements des animaux ne sont point administrés par les sensations, qu'il suffit, pour les expliquer, de supposer seulement l'organisation des parties, l'impression des objets sur le cerveau, et la direction des esprits, pour faire jouer les muscles.

C'est en cela que consiste l'instinct, selon cette opinion; et ce ne sera autre chose que cette force mouvante, par laquelle les muscles sont ébranlés et agités.

Au reste, ceux qui suivent cette opinion observent que les esprits peuvent changer de nature par diverses causes. Plus de bile mêlée dans le sang, les rendra plus impétueux et plus vifs. Le mélange d'autres liqueurs les fera plus tempérés. Autres seront les esprits d'un animal repu, autres ceux d'un animal affamé. Il y aura aussi de la différence entre les esprits d'un animal qui aura sa vigueur entière, et ceux d'un animal déja épuisé et recru. Les esprits pourront être plus ou moins abondants, plus ou moins vifs, plus grossiers ou plus atténués; et ces philosophes prétendent qu'il n'en faut pas davantage pour expliquer tout ce qui se fait dans les animaux, et les différents états où ils se trouvent.

De cette sorte, ceux qui donnent aux bètes des sensations et une ame qui en soit capable; Avec ce raisonnement, cette opinion jusqu'ici interrogés si cette ame est un esprit ou un corps, entre peu dans l'esprit des hommes. Ceux qui la répondront qu'elle n'est ni l'un ni l'autre. C'est combattent, concluent de là qu'elle est contraire une nature mitoyenne, qui n'est pas un corps, au sens commun; et ceux qui la défendent, réparcequ'elle n'est pas étendué en longueur, lar-pondent que peu de personnes les entendent à geur et profondeur; qui n'est pas un esprit, parce- cause que peu de personnes prennent là peine de

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