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lieu que le triangle qu'on imagine est restreint à une certaine espèce de triangle, et à une grandeur déterminée.

Il faut juger de la même sorte des autres choses qu'on peut imaginer et entendre. Par exemple imaginer l'homme, c'est s'en représenter un de grande ou de petite taille, blanc ou basané, sain ou malade : et l'entendre c'est concevoir seulement que c'est un animal raisonnable, sans s'arrêter à aucune de ces qualités particulières.

Il y a encore une autre différence entre imaginer et entendre. C'est qu'entendre s'étend beaucoup plus loin qu'imaginer. Car on ne peut imaginer que les choses corporelles et sensibles; au lieu que l'on peut entendre les choses tant corporelles que spirituelles, celles qui sont sensibles et celles qui ne le sont pas: par exemple, Dieu et l'ame.

Ainsi ceux qui veulent imaginer Dieu et l'ame, tombent dans une grande erreur, parcequ'ils veulent imaginer ce qui n'est pas imaginable, c'est-à-dire ce qui n'a ni corps, ni figure, ni enfin rien de sensible.

A cela il faut rapporter les idées que nous avons de la bonté, de la vérité, de la justice, de la sainteté, et les autres semblables, dans les quelles il n'entre rien de corporel, et qui aussi conviennent, ou principalement, ou seulement aux choses spirituelles, telles que sont Dieu et l'ame; de sorte qu'elles ne peuvent pas être imaginées, mais seulement entendues.

Comme donc toutes les choses qui n'ont point de corps ne peuvent être conçues que par la seule intelligence, il s'ensuit que l'entendement s'étend plus loin que l'imagination.

Mais la différence essentielle entre imaginer et entendre, est celle qui est exprimée par la définition. C'est qu'entendre n'est autre chose que connoître et discerner le vrai et le faux; ce que l'imagination, qui suit simplement le sens, ne peut avoir.

Encore que ces deux actes d'imaginer et d'entendre soient si distingués, ils se mêlent toujours ensemble. L'entendement ne définit point le triangle ni le cercle, que l'imagination ne s'en figure un. Il se mêle des images sensibles dans la considération des choses les plus spirituelles; par exemple, de Dieu et des ames; et quoique nous les rejetions de notre pensée, comme choses fort éloignées de l'objet que nous contemplons, elles ne laissent pas de le suivre.

Il se forme souvent aussi dans notre imagination des figures bizarres et capricieuses, qu'elle ne peut pas forger toute seule, et où il faut qu'elle soit aidée par l'entendement. Les centaures, les

chimères, et les autres compositions de cette nature, que nous faisons et défaisons quand il nous plait, supposent quelque réflexion sur les choses différentes dont elles se forment, et quelque comparaison des unes avec les autres; ce qui appartient à l'entendement. Mais ce même entendement, qui donne occasion à la fantaisie de former et de lui présenter ces assemblages monstrueux, en connoît la vanité.

L'imagination, selon qu'on en use, peut servir ou nuire à l'intelligence.

Le bon usage de l'imagination est de s'en servir seulement pour rendre l'esprit attentif. Par exemple quand en discourant de la nature du cercle et du carré, et des proportions de l'un avec l'autre, je m'en figure un dans l'esprit, cette image me sert beaucoup à empêcher les distractions, et à fixer ma pensée sur ce sujet.

Le mauvais usage de l'imagination, est de la laisser décider; ce qui arrive principalement à ceux qui ne croient rien de véritable que ce qui est imaginable et sensible. Erreur grossière, qui confond l'imagination et le sens avec l'entende

ment.

Aussi l'expérience fait-elle voir qu'une imagination trop vive étouffe le raisonnement et le jugement.

Il faut donc employer l'imagination et les images sensibles seulement pour nous recueillir en nous-mêmes, en sorte que la raison préside toujours.

Par-là se peut remarquer la différence entre les gens d'imagination, et les gens d'esprit ou d'entendement. Mais il faut auparavant démêler l'équivoque de ce terme, esprit.

L'esprit s'étend quelquefois tant à l'imagination qu'à l'entendement, et en un mot à tout ce qui agit au dedans de nous. Ainsi quand nous avons dit qu'on se figuroit dans l'esprit un cercle ou un carré, le mot d'esprit signifioit là l'imagination.

Mais la signification la plus ordinaire du mot d'esprit, est de le prendre pour entendement : ainsi un homme d'esprit, et un homme d'entendement, est à peu près la même chose, quoique le mot d'entendement marque un peu plus ici le bon jugement.

Cela supposé, la différence des gens d'imagination et des gens d'esprit est évidente. Ceux-là sont propres à retenir et à se représenter vivement les choses qui frappent les sens. Ceux-ci savent démêler le vrai d'avec le faux, et juger de l'un et de l'autre.

Ces deux qualités des hommes se remarquent dans leurs discours et dans leur conduite. Les premiers sont féconds en descriptions, en

peintures vives, en comparaisons, et autres choses semblables que les sens fournissent. Le bon esprit donne aux autres un fort raisonnement avec un discernement exact et juste qui produit des paroles propres et précises.

On distingue aussi entre les pensées de l'ame qui tendent directement aux objets, et celles où elle se retourne sur elle-même et sur ses propres opérations, par cette manière de penser qu'on appelle réflexion.

Cette expression est tirée des corps, lorsque,

Les premiers sont passionnés et emportés, parceque l'imagination, qui prévaut en eux, ex-repoussés par d'autres corps qui s'opposent à leur cite naturellement et nourrit les passions. Les mouvement, ils retournent, pour ainsi dire, sur autres sont réglés et modérés, parcequ'ils sont eux-mêmes. plus disposés à écouter la raison, et à la suivre. Un homme d'imagination est fécond en expédients, parceque la mémoire qu'il a fort vive, et les passions fort ardentes, donnent beaucoup de mouvement à son esprit. Un homme d'entendement sait mieux prendre son parti, et agit avec plus de suite. Ainsi l'un trouve ordinairement plus de moyens pour arriver à une fin, l'autre en fait un meilleur choix et se soutient mieux.

Comme nous avons remarqué que l'imagination aide beaucoup l'intelligence, il est clair que, pour faire un habile homme, il faut de l'un et de l'autre. Mais, dans ce tempérament, il faut que l'intelligence et le raisonnement prévalent.

Et quand nous avons distingué les gens d'imagination d'avec les gens d'esprit, ce n'est pas que les premiers soient tout-à-fait destitués de raisonnement, ni les autres d'imagination. Ces deux choses vont toujours ensemble; mais on définit les hommes par la partie qui domine en

eux.

Il faudroit parler ici des gens de mémoire, qui est comme un troisième caractère entre les gens de raisonnement et les gens d'imagination. La mémoire fournit beaucoup au raisonnement; mais elle appartient à l'imagination, quoique dans l'usage ordinaire on appelle gens d'imagination ceux qui sont inventifs, et gens de mémoire ceux qui retiennent ce qui est inventé par les autres.

Après avoir séparé l'intelligence d'avec les sens et l'imagination, il faut maintenant considérer quels sont les actes particuliers de l'intelligence.

C'est autre chose d'entendre la première fois une verité, autre chose de la rappeler à notre esprit après l'avoir sue. L'entendre la première fois, s'appelle entendre simplement, concevoir, apprendre et la rappeler dans son esprit, s'appelle se ressouvenir.

On distingue la mémoire qui s'appelle imaginative, où se tiennent les choses sensibles et les sensations, d'avec la mémoire intellectuelle, par laquelle se retiennent les vérités et les choses de raisonnement et d'intelligence.

Par la réflexion, l'esprit juge des objets, des sensations, enfin de lui-même et de ses propres jugements, qu'il redresse ou qu'il confirme. Ainsi il y a des réflexions qui se font sur les objets et les sensations simplement, et d'autres qui se font sur les actes mêmes de l'intelligence, et celles-là sont les plus sûres et les meilleures.

Mais ce qu'il y a de principal en cette matière, est de bien entendre les trois opérations de l'esprit.

Dans une proposition, c'est autre chose d'entendre les termes dont elle est composée, autre chose de les assembler ou de les disjoindre: par exemple, dans ces deux propositions: Dieu est éternel; l'homme n'est pas éternel, c'est autre chose d'entendre ces termes, Dieu, homme, éternel; autre chose de les assembler, ou de les disjoindre en disant, Dieu est éternel, ou, l'homme n'est pas éternel.

Entendre les termes par exemple entendre que Dieu veut dire la première cause, qu'homme veut dire animal raisonnable, qu'éternel veut dire ce qui n'a ni commencement ni fin; c'est ce qui s'appelle conception, simple appréhension, et c'est la première opération de l'esprit.

Elle ne se fait peut-être jamais toute seule, et c'est ce qui fait dire à quelques uns qu'elle n'est pas. Mais ils ne prennent pas garde qu'entendre les termes, est chose qui précède naturellement les assembler: autrement on ne sait ce qu'on assemble.

Assembler ou disjoindre les termes, c'est en assurer un de l'autre, ou en nier un de l'autre, en disant, Dieu est éternel; l'homme n'est pas éternel. C'est ce qui s'appelle proposition ou jugement, qui consiste à affirmer ou nier; et c'est la seule opération de l'esprit.

A cette opération appartient encore de suspendre son jugement quand la chose ne paroit pas claire; et c'est ce qui s'appelle douter.

Que si nous nous servons d'une chose claire pour en rechercher une obscure, cela s'appelle raisonner; et c'est la troisième opération de l'esprit.

Raisonner, c'est prouver une chose par une autre. Par exemple, prouver une proposition d'Euclide par une autre; prouver que Dieu hait

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le péché, parcequ'il est saint, ou qu'il ne change | triangle sont égaux à deux droits; c'est raisonjamais ses résolutions, parcequ'il est éternel et ner en matière certaine, universelle et nécesimmuable dans tout ce qu'il est. saire. Le raisonnement que je fais est démon

Toutes les fois que nous trouvons dans le dis-stratif, et s'appelle démonstration. cours ces particules, parceque, car, puisque, donc, et les autres qu'on nomme causales, c'est la marque indubitable du raisonnement.

Mais sa construction naturelle, et celle qui découvre toute sa force, est d'arranger trois propositions dont la dernière suive des deux autres. Par exemple pour réduire en forme les deux raisonnements que nous venons de proposer sur Dieu, il faut dire ainsi :

Ce qui est saint, hait le péché;
Dieu est saint:

Donc Dieu hait le péché.

Ce qui est éternel et immuable dans tout ce Ce qui est éternel et immuable dans tout ce qu'il est, ne change jamais ses résolutions.

Le fruit de la démonstration est la science. Tout ce qui est démontré ne peut pas être autrement qu'il est démontré. Ainsi toute vérité démontrée est nécessaire, éternelle et immuable. Car en quelque point de l'éternité qu'on suppose un entendement humain, il sera capable de l'entendre. Et comme cet entendement ne la fait pas, mais la suppose, il s'ensuit qu'elle est éternelle et par-là indépendante de tout entendement créé.

Il faut soigneusement remarquer qu'il y a des propositions qui s'entendent par elles-mêmes, et dont il ne faut point demander de preuve ; par exemple, dans les mathématiques: Le tout est plus grand que sa partie: Deux lignes paralteles ne se rencontrent jamais, à quelque élendue qu'on les prolonge. De tout point donné on peut tirer une ligne à un autre point; et dans

Dieu est éternel et immuable dans tout ce qu'il est. Donc Dieu ne change jamais ses résolutions. la morale: Il faut suivre la raison: L'ordre vaut mieux que la confusion : et autres de cette nature.

Nous entendons naturellement que si les deux premières propositions, qu'on appelle majeure et mineure, sont bien prouvées, la troisième, qu'on appelle conclusion ou conséquence, est indubitable.

Nous ne nous astreignons guère à construire le raisonnement de cette sorte, parceque cela rendroit le discours trop long, et que d'ailleurs un raisonnement s'entend très bien sans cela. Car on dit, par exemple, en très peu de mots: Dieu, qui est bon, doit être bienfaisant envers les hommes; et on entend facilement que parcequ'il est bon de sa nature, on doit croire qu'il est bienfaisant envers la nôtre.

Un raisonnement est, ou seulement probable, vraisemblable et conjectural, ou certain et démonstratif. Le premier genre de raisonnement se fait en matière douteuse ou particulière et contingente. Le second se fait en matière certaine, universelle et nécessaire. Par exemple j'entreprends de prouver que César est un ennemi de sa patrie, qui a toujours eu le dessein d'en opprimer la liberté, comme il a fait à la fin; et que Brutus, qui l'a tué, n'a jamais eu d'autre dessein que celui de rétablir la forme légitime de la république : c'est raisonner en matière douteuse, particulière et contingente, et tous les raisonnements que je fais sont du genre conjectural. Et, au contraire, quand je prouve que tous les angles au sommet, et les angles alternes sont égaux, et que les trois angles de tout

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Ainsi nous n'en cherchons point de preuves; mais nous les faisons servir de preuves aux autres qui sont plus obscures. Par exemple de ce que l'ordre est meilleur que la confusion, je conclus qu'il n'y a rien de meilleur à l'homme que d'être gouverné selon les lois, et qu'il n'y a rien de pire que l'anarchie, c'est-à-dire, de vivre sans gouvernement et sans lois.

Ces propositions claires et intelligibles par elles-mêmes, et dont on se sert pour démontrer la vérité des autres, s'appellent axiomes, ou premiers principes. Elles sont d'éternelle vérité, parcequ'ainsi qu'il a été dit, toute vérité certaine en matière universelle est éternelle; et si les vérités démontrées le sont, à plus forte raison celles qui servent de fondement à la démonstration.

Voilà ce qui s'appelle les trois opérations de l'esprit. La première ne juge de rien, et ne discerne pas tant le vrai d'avec le faux, prépare la voie au discernement, en démêlant qu'elle les idées. La seconde commence à juger; car elle reçoit comme vrai ou faux ce qui est évidemment tel, et n'a pas besoin de discussion. Quand elle ne voit pas clair, elle doute, et laisse la chose à examiner au raisonnement, où se fait le discernement parfait du vrai et du faux.

Mais on peut douter en deux manières. Car on doute premièrement d'une chose, avant que de l'avoir examinée, et on en doute quelquefois encore plus, après l'avoir examinée. Le premier doute peut être appelé un simple doute, le second peut être appelé un doute raisonné, qui tient beaucoup du jugement, parceque, tout considéré, on prononce avec connoissance de cause que la chose est douteuse.

Quand par le raisonnement on entend certainement quelque chose, qu'on en comprend les raisons, et qu'on a acquis la facilité de s'en ressouvenir, c'est ce qui s'appelle science. Le contraire s'appelle ignorance.

Il y a de la différence entre ignorance et erreur. Errer, c'est croire ce qui n'est pas; ignorer, c'est simplement ne le savoir pas.

Parmi les choses qu'on ne sait pas, il y en a qu'on croit sur le témoignage d'autrui; c'est ce qui s'appelle foi. Il y en a sur lesquelles on suspend son jugement, et avant et après l'examen, c'est ce qui s'appelle doute. Et quand dans le doute on penche d'un côté plutôt que d'un autre, sans pourtant rien déterminer absolument, cela s'appelle opinion.

Lorsque l'on croit quelque chose sur le témoi gnage d'autrui, ou c'est Dieu qu'on en croit, et alors c'est la foi divine; ou c'est l'homme, et alors c'est la foi humaine.

La foi divine n'est sujette à aucune erreur, parcequ'elle s'appuie sur le témoignage de Dieu qui ne peut tromper ni être trompé.

La foi humaine, en certains cas, peut aussi être indubitable, quand ce que les hommes rapportent passe pour constant dans tout le genre humain, sans que personne le contredise: par exemple, qu'il y a une ville nommée Alep, et un fleuve nommé Euphrate, et une montagne nommée Caucase, et ainsi du reste; ou quand nous sommes très assurés que ceux qui nous rapportent quelque chose qu'ils ont vu, n'ont aucune raison de nous tromper: tels que sont, par exemple, les apôtres, qui dans les maux que leur attiroit le témoignage qu'ils rendoient à JésusChrist ressuscité, ne pouvoient être portés à le rendre constamment jusqu'à la mort, que par l'amour de la vérité.

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appuyer tout-à-fait, et ce n'est jamais sans quelque crainte.

Ainsi nous avons entendu ce que c'est que science, ignorance, erreur, foi divine et humaine, opinion et doute.

Toutes les sciences sont comprises dans la philosophie. Ce mot signifie l'amour de la sagesse, à laquelle l'homme parvient en cultivant son esprit par les sciences.

Parmi les sciences, les unes s'attachent à la seule contemplation de la vérité, et pour cela sont appelées spéculatives: les autres tendent à l'action, et sont appelées pratiques.

Les sciences spéculatives sont la métaphysique, qui traite des choses les plus générales et les plus immatérielles, comme de l'être en général; et en particulier, de Dieu et des êtres intellectuels faits à son image: la physique, qui étudie la nature : la géométrie, qui démontre l'essence et les propriétés des grandeurs, comme l'arithmétique celle des nombres : l'astronomie qui apprend le cours des astres, et par-là le système universel du monde, c'est-à-dire, la disposition de ses principales parties, chose qui peut être aussi rapportée à la physique.

Les sciences-pratiques sont la logique et la morale, dont l'une nous enseigne à bien raisonner, et l'autre à bien vouloir.

Des sciences sont nés les arts, qui ont apporté tant d'ornement et tant d'utilité à la vie humaine.

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Les arts diffèrent d'avec les sciences, en ce que, premièrement, ils nous font produire quelque ouvrage sensible; au lieu que les sciences exercent seulement, ou règlent les opérations intellectuelles : et secondement, que les arts travaillent en matière contingente. La rhétorique s'accommode aux passions et aux affaires présentes: la grammaire au génie des langues, et à leur usage variable: l'architecture aux diverses situations: mais les sciences s'occupent d'un objet éternel et invariable, ainsi qu'il a été dit.

Quelques uns mettent la logique et la morale parmi les arts, parcequ'elles tendent à l'action: mais leur action est purement intellectuelle ; et il semble que ce doit être quelque chose de plus qu'un art, qui nous apprenne par où le raisonvraisembla-nement et la volonté est droite; chose immuable, et supérieure à tous les changements de la nature et de l'usage.

Hors de là, ce qui n'est certifié que par les hommes, peut être cru comme plus ble, mais non pas comme certain.

Il en est de même toutes les fois que nous croyons quelque chose par des raisons seulement probables, et non tout-à-fait convaincantes. Car alors nous n'avons pas la science, mais seulement une opinion, qui encore qu'elle penche d'un certain côté, ainsi qu'il a été dit, n'ose pas s'y

Il est pourtant vrai qu'à prendre le mot d'art pour industrie et pour méthode, on peut dire qu'il y a beaucoup d'art dans les moyens qu'emploient la logique et la morale, à nous faire bien raisonner, et bien vivre; joint aussi que,

dans l'application, il peut y avoir certains préceptes qui changent selon les apparences.

son image, et capable d'entrer, quoique foiblement, dans ses desseins.

Il n'y a donc rien que l'homme doive plus cultiver que son entendement, qui le rend semblable à son auteur. Il le cultive en le remplissant de bonnes maximes, de jugements droits, et de connoissances utiles.

La vraie perfection de l'entendement est de

Juger, c'est prononcer au dedans de soi sur le vrai et sur le faux; et bien juger, c'est y prononcer avec raison et connoissance.

Les principaux arts sont la grammaire, qui fait parler correctement : la rhétorique, qui fait parler éloquemment la poétique, qui fait parler divinement, et comme si on étoit inspiré : la musique, qui, par la juste proportion des tons, donne à la voix une force secrète pour délecter et pour émouvoir : la médecine et ses dépendan-bien juger. ces, qui tiennent le corps humain en bon état : l'arithmétique-pratique, qui apprend à calculer sûrement et facilement l'architecture, qui donne la commodité et la beauté aux édifices publics et particuliers, qui orne les villes et les fortifie, qui bâtit des palais aux rois et des temples à Dieu la mécanique, qui fait jouer les ressorts et transporter aisément les corps pesants, comme les pierres pour élever les édifices, et les eaux pour le plaisir, ou pour la commodité de la vie: la sculpture et la peintúre, qui, en imitant le naturel, reconnoissent qu'ils demeurent beaucoup au-dessous, et autres semblables.

Ces arts sont appelés libéraux, parcequ'ils sont dignes d'un homme libre, à la différence des arts qui ont quelque chose de servile, que notre langue appelle métiers, et arts mécaniques, quoique le nom de mécanique ait une plus noble signification, lorsqu'il exprime ce bel art qui apprend l'usage des ressorts, et la construction des machines. Mais les métiers serviles usent seulement de machines, sans en connoître la force et la construction.

Les arts règlent les métiers. L'architecture commande aux maçons, aux menuisiers et aux autres. L'art de manier les chevaux dirige ceux qui font les mors, les fers, les brides, et les autres choses semblables.

Les arts libéraux et mécaniques sont distingués, en ce que les premiers travaillent de l'esprit plutôt que de la main; et les autres, dont le succès dépend de la routine et de l'usage plutôt que de la science, travaillent plus de la main que de l'esprit.

La peinture, qui travaille de la main plus que les autres arts libéraux, s'est acquis rang parmi eux, à cause que le dessin, qui est l'ame de la peinture, est un des plus excellents ouvrages de l'esprit ; et que d'ailleurs le peintre, qui imite tout, doit savoir de tout. J'en dis autant de la sculpture, qui a sur la peinture l'avantage du relief, comme la peinture a sur elle celui des couleurs.

Les sciences et les arts font voir combien l'homme est ingénieux et inventif. En pénétrant par les sciences les œuvres de Dieu, et en les ornant par les arts, il se montre vraiment fait à

C'est une partie de bien juger que de douter quand il faut. Celui qui juge certain ce qui est certain, et douteux ce qui est douteux, est un bon juge.

Par le bon jugement, on se peut exempter de toute erreur. Car on évite l'erreur non seulement en embrassant la vérité, quand elle est claire, mais encore en se retenant quand elle ne l'est pas.

Ainsi la vraie règle de bien juger, est de ne juger que quand on voit clair: et le moyen de le faire, est de juger après une grande considération.

Considérer une chose, c'est arrêter son esprit à la regarder en elle-même, en peser toutes les raisons, toutes les difficultés et tous les inconvénients.

C'est ce qui s'appelle attention. C'est elle qui rend les hommes graves, sérieux, prudents, capables de grandes affaires, et des hautes spéculations.

Être attentif à un objet, c'est l'envisager de tous côtés; et celui qui ne le regarde que du côté qui le flatte, quelque long que soit le temps qu'il emploie à le considérer, n'est pas vraiment

attentif.

C'est autre chose d'être attaché à un objet, autre chose d'y être attentif. Y être attaché, c'est vouloir, à quelque prix que ce soit, lui donner ses pensées et ses desirs; ce qui fait qu'on ne le regarde que du côté agréable : mais y être attentif, c'est vouloir le considérer pour en bien juger, et pour cela connoître le pour et le contre.

Il y a une sorte d'attention après que la vérité est connue; et c'est plutôt une attention d'amour et de complaisance, qué d'examen et de recherche.

La cause de mal juger est l'inconsidération, qu'on appelle autrement précipitation.

Précipiter son jugement, c'est croire ou juger avant que d'avoir connu.

Cela nous arrive, ou par orgueil, ou par impatience, ou par prévention, qu'on appelle autrement préoccupation.

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