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Etienne de la Forge, à la mémoire duquel Calvin a rendu un si beau témoignage 1, François Ier fit paraître de un édit par lequel il défendait, sous peine de mort, donner asile aux hérétiques, et promettait aux dénonciateurs le quart des amendes et des confiscations. A partir de ce moment, les malheureux réformés se virent les objets d'incessantes poursuites, et la France se couvrit de bûchers.

Courault et Gérard Roussel parvinrent à se soustraire à la fureur des persécuteurs. Le premier se retira d'abord à Bâle, puis à Genève. Le second se rendit dans les États de la Reine de Navarre, qui avaient déjà servi de refuge à Lefèvre, à Marot 2 et à d'autres personnages que Marguerite protégeait depuis longtemps contre la fureur de leurs ennemis.

1 Calvin. Contre les liberlins, chap. iv.

Marot, qui joue un rôle dans l'histoire de la réformation française, pour avoir mis en vers français les psaumes de David, faisait partie de la maison de la princesse Marguerite dès 1520. Pendant la captivité de François Ier, l'inquisiteur Bouchard le fit jeter en prison comme suspect d'hérésie. Il en fut délivré par une lettre du roi, à la date du 1er novembre 1527. Il vécut quelque temps à Blois, puis se refugia en Béarn. Ne s'y croyant pas assez en sûreté, il se rendit en Italie, auprès de la duchesse de Ferrare. François Ier lui permit de rentrer en France. Mais la crainte du bucher l'en fit partir de nouveau. Il se sauva à Genêve, et finit par se retirer en Piémont, où il mourut en 1544, âgé de soixante-et-un ans. Nous avons inséré, dans l'Appendice au no 11, une lettre que nous avons copiée dans un manuscrit de la bibliothèque royale et qui fournit une nouvelle preuve de la sollicitude avec laquelle la sœur de François Ier s'occupait des premiers réformés.

CHAPITRE VII.

1534-1535..

La réforme s'introduit dans plusieurs villes du Midi.

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Martyre de Jean de Caturce.

- Progrès de la réforme dans la Guienne et dans le Béarn. — Gérard Roussel, abbé de Clairac et évêque d'Oloron. La Reine de Navarre recommande la lecture de la Bible. — Pieuse activité de Gérard Roussel. -François [er écrit à Mélanchton. — Èdit de Coucy. Lettre de Mélanchton au Roi de France. L'Électeur de Saxe refuse de laisser partir le réformateur.- Renouvellement des persécutions.- Plaintes des princes allemands. Les réformés accusés faussement de sédition et de rebellion.

Depuis quelque temps, la réforme commençait à prendre pied dans plusieurs villes du Midi de la France. Toulouse, siége d'une Université, n'avait point échappé au mouvement religieux. L'étude des lettres, dont le savant médecin italien, Jules César de l'Escale, avait beaucoup contribué à répandre le goût, y avait conduit, comme à Paris, à Orléans et à Bourges, à celle des livres saints. Bientôt, dans cette ville, toute remplie de reliques et d'images superstitieuses, et où le fanatisme régnait à ce point, que, ne pas fléchir les genoux lorsque la cloche de l'Ave Maria se faisait entendre, oublier de saluer les statues des saints, manger de la chair un jour défendu, ou apprendre le grec et l'hébreu, passaient pour des signes certains d'hérésie, plusieurs personnes embrassèrent secrètement les doctrines évangéliques, et se mirent à les répandre autour d'elles. De ce nombre, fut un licencié en droit, nommé Jean de Caturce, qui exerçait les fonctions de professeur à Toulouse.

La persécution ne tarda pas à éclater. Une de ses premières victimes fut le licencié lui-même. Il fut accusé d'avoir présidé une assemblée hérétique, à Limoux, sa ville natale, le jour de la Toussaint. C'était là le premier grief. On lui reprocha ensuite d'avoir engagé, la veille des Rois, ceux qui assistaient avec lui à un souper, non seulement à s'écrier: Christ règne en nos cœurs, au lieu de prononcer le phrase ordinaire le Roi boit, mais encore d'avoir proposé aux convives de remplacer les gais propos et les danses d'habitude par l'explication faite à tour de rôle, de certains sujets de l'Écriture Sainte, sur lesquels il avait exprimé lui-même des opinions condamnées par l'Église.

:

Emprisonné, au mois de janvier 1532, pour avoir agi de la sorte, Jean de Caturce offrit à ses juges de justifier de point en point les articles de sa foi devant des gens compétents. Mais ceux-ci, voyant la facilité avec laquelle il réfutait les objections, au moyen de citations des livres saints, aimèrent mieux lui demander la rétractation de quelques assertions, et exiger de lui pour toute amende honorable de reconnaître purement et simplement dans une de ses leçons, et devant son auditoire accoutumé qu'il avait erré. La crainte du supplice le fit un moment hésiter. Mais il reprit bientôt sa fermeté et refusa de faire aucune concession. Déclaré alors hérétique, on le conduisit au commencement de juin, sur la place Saint-Etienne, pour procéder à la cérémonie de la dégradation. Cette opération dura près de trois heures. Pendant tout ce temps, Jean de Caturce, auquel on avait laissé la liberté de la parole, ne cessa de parler à ses juges, et de répondre aux

discours qu'ils lui adressèrent, de manière à les couvrir de confusion et de honte, en présence des étudiants de l'Université accourus pour être témoins d'un spectacle si nouveau. Un jacobin s'avança ensuite pour prononcer le sermon qu'on avait coutume de prêcher, à cette occasion, aux hérétiques. Ayant pris pour texte de son discours ces paroles de saint Paul: Tim., chap. IV :

L'Esprit dit expressément que dans les derniers temps quelques-uns se révolteront de la foi, s'attachant à des esprits séducteurs et aux doctrines des démons. » Et s'étant arrêté là, il allait commencer à parler, lorsque de Caturce s'écria avec vivacité : Continuez, continuez la lecture de votre texte. Le moine fut interdit, et son émotion fut telle qu'il demeura court. Si vous ne voulez pas achever, dit de nouveau le licencié, je le ferai à votre place. En achevant ces mots, il se mit de suite à réciter les versets suivants qu'il savait par cœur : Enseignant des mensonges par hypocrisie, étant cau»térisés dans leur propre conscience. Défendant de se » marier, commandant de s'abstenir des viandes que » Dieu a créées, afin que les fidèles et ceux qui ont » connu la vérité en usent avec actions de grâces, etc. »

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Après avoir prononcé sur ces passages quelques paroles qui furent entendues avec plaisir par les assistants, Jean de Caturce, recouvert de vêtements ridicules, fut conduit devant la cour du parlement de Toulouse, qui passait déjà pour être l'un des plus sanguinaires du royaume, afin d'y recevoir son arrêt de mort. Après ávoir entendu prononcer la sentence, il ne put s'empêcher de s'écrier en latin, tandis qu'on l'emmenait : O palais d'iniquité, ô siége d'injustice! Il s'avança vers le bûcher, en louant et glorifiant Dieu, et continua à

exhorter, du milieu des flammes, la foule qui était présente, à ne point se lasser de rechercher la vérité. Crespin nous apprend que ce martyre fit une impression salutaire sur les spectateurs. On ne saurait exprimer, dit-il, le grand fruit que fit sa mort, spécialement vers les Escholiers qui lors estoyent en ceste université de Toulouse, assavoir, l'an 1532 1.

Le supplice de cet homme généreux ne fit pas cesser la prédication de la réforme dans cette ville et les lieux circonvoisins. Trois protégés de Marguerite, le protonotaire d'Armagnac, un Cordelier, nommé de Nuptiis ou plutôt Desnosses; un autre, qui portait le nom de Melchior Flavin, continuèrent à enseigner les doctrines évangéliques. Mais leur zèle était plutôt apparént que · réel. Le premier, porté par la faveur de la Reine de Navarre à l'évêché de Rhodez, devint un des adversaires les plus décidés du mouvement religieux. Desnosses, après avoir prêché à la Daurade, une des principales églises de Toulouse, échappa avec Melchior Flavin, aux poursuites du parlement, en se réfugiant dans la ville de Bourges, mais ne persévéra pas plus que ce dernier dans la profession de l'Évangile. Il n'en pas de même d'un autre Cordelier, nommé Marcii, qui leur succéda. Celui-ci prêcha avec le plus grand succès à Castres et dans le Rouergue, et mourut martyr à Toulouse.

fut

Mais, ce fut surtout dans le Béarn, et dans la partie de la Guienne qui appartenait au roi de Navarre, que la réforme fit le plus de progrès. Elle y prit, toutefois, au commencement, un caractère particulier. Soit que

1 Liv. 1, p. 99. Bèzc, Hist. Eccl., liv. 1, p. 7.

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