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Cet opuscule n'a pas de prétention littéraire ; il ne pourait en avoir à aucun titre. C'est une série d'indications, extraites de sources fort variées; c'est aussi une compilation de documents, les uns inédits, les autres imprimés, sans autre ordre que celui des couvents et des religieux qu'ils

concernent.

Ce n'est pas non plus une histoire, mais un fragment d'une étude commencée dès longtemps, qui doit embrasser tous les départements de la France et tout le personnel franciscain qu'ils contenaient en 1790. Nous voulons suivre, pendant et après la Révolution, chacun des membres de ce personnel. Quand ce travail sera fini, l'historien et le statisticien en tireront leurs conclusions. Elles formeront, à l'honneur de Dieu et de la religion, une victorieuse réfutation des flétrissures, ineptes autant qu'imméritées, qui ont cours

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contre le clergé régulier du xvIIIe siècle. Entraînés par leur bonne foi, les écrivains catholiques admettent un trop grand nombre des calomnies de nos adversaires. Des esprits peu éclairés , prenant leur demi-science théologique et historique pour l'expression de la vérité, acceptent, et jetent à la face d'hommes vertueux les insinuations ou les appréciations de nos ennemis. Les faits indubitables que nous aurons exposés détruiront ces rengaines odieuses, toujours ressassées, du relâchement des ordres religieux en général, et des ordres franciscains en particulier. Comment le relâchement aurait-il pu produire tant d'héroïsme au moment où, pour nous punir de notre ferveur, la secte nous détruisait avec brutalité ?

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Déjà, trente-cinq ans auparavant, elle nous avait pris à partie, mais avec le désir de nous rendre complices de notre propre mort. Dans ce but, elle avait dissimulé son dessein sous un projet de réforme générale des ordres religieux; en même temps, elle avait fort habilement caché la méchanceté de ses intentions en se couvrant du prestige de la pourpre de deux cardinaux M. de Brienne, sectaire hypocrite et pervers, et M. de La Roche-Aymon, homme innocent et naif, incapable d'apercevoir la perfidie à laquelle il se trouvait associé (1). La bonne foi des religieux fut universellement surprise. Consultés insidieusement par la Commission des Réguliers, ils lui répondirent par leurs plaintes et leurs observations sur les abus qu'ils jugeaient exister dans leurs ordres respectifs, et par leurs vues personnelles sur le caractère et les moyens de la réforme qui pouvait utilement leur être opposée. En parcourant cette avalanche d'écrits de tout genre et de toute portée, l'homme ignorant de la vie religieuse éprouve quelque scandale; mais l'observateur judicieux y reconnaît, chez tous les nôtres, un grand amour de leur état, un ardent désir de voir la vertu régner plus haute

(1) Voir, au sujet de la suppression des ordres religieux et de la Commission des Réguliers, le très remarquable ouvrage du R. P. Prat, S. J, et les travaux de M. Gérin.

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ment dans leur ordre. Un certain nombre de leurs plaintes sont véritablement enfantines; d'autres, émanées d'esprits plus élevés, ont un caractère sérieux aucune n'indique le moindre affaissement dans la sévérité des mœurs et des observances monastiques; mais toutes s'accordent à témoigner d'un désordre administratif dont nul ne paraît avoir aperçu la cause elle était dans l'abolition du système de monarchie responsable que le génie du fondateur avait créé, et dans son remplacement par une hiérarchie élective à tous les degrés, semblable à l'invention hybride que l'Assemblée Nationale institua, quelques années plus tard, pour le gouvernement de la France, et qui presque immédiatement précipita le pays dans le plus horrible chaos que les nations aient jamais vu. Là, les garanties des droits, les prescriptions des devoirs, la cohésion des parties, ne sont plus que nominales. Qu'un pareil système, capable de détruire les puissances les plus solidement établies, et de dissoudre les peuples les plus unis, n'ait pas atteint, dans son foyer, la ferveur des ordres franciscains, c'est une des merveilles les plus étonnantes qui aient jamais été présentées au monde. La Commission ne sut pas la voir; elle crut qu'après tant de plaintes, elle arriverait promptement à ses fins par la tenue et les délibérations des chapitres nationaux de chaque ordre; mais là elle se heurta contre une résistance qui rendit impossible la continuation de son travail homicide. Cette première victoire en appelait une plus éclatante: les ordres religieux la gagnèrent par la mort, l'exil et les tribulations les plus inouies de leurs membres. Christus vincit inter martyres.

Le département du Gard a eu sa bonne part dans ce triomphe. Environ, cent trente-cinq religieux franciscains l'habitaient en 1790. Un dixième d'entr'eux se montrèrent inférieurs à la sainteté de leur état; les autres l'honorèrent par les plus héroïques sacrifices. Prétendra-t-on qu'en ces ordres, et en cette région, l'éclat des vertus monastiques était

obscurci?

Avant de présenter au lecteur nos victimes de la Révolution, il importe de lui faire part de certaines observations qui, pour tout chercheur, résultent de l'examen attentif des détails révolutionnaires, et doivent servir de règle pour l'appréciation de la conduite de chaque persécuté, en face des exigences du persécuteur :

Du moment où le gouvernement de la France fut aux mains des athées, ils demandèrent à ceux qui croyaient en Dieu plus de serments et de déclarations que jamais il n'avait été fait. Les principaux furent :

1. L'option entre la vie privée et la vie commune, imposée à chaque religieux par les lois de février et mars 1790, portant suppression de toutes les congrégations ;

2. Le serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, exigé, par la loi du 26 décembre 1790, de tout prêtre qui prenait du service dans le clergé constitutionnel;

3. Le serment de liberté-égalité, rendu obligatoire pour tous les pensionnaires de l'État par la loi du 26 août 1792;

4. L'abdication du sacerdoce et la livraison des lettres de prêtrise, demandée en pleine Terreur ;

5. Le serment de haine à la royauté, ordonné par la loi du 19 fructidor an V.

C'est un tort très grand que de voir, chez un religieux, un signe certain de fatigue de son état dans l'option pour la vie privée, et un signe de constance dans l'option pour la vie commune. Il y a là tout au plus un motif de présomption, à moins que l'optant n'ait usé de termes plus clairs et plus étendus que les formules officielles adoptées par les bureaucrates révolutionnaires. C'est par l'ensemble de sa conduite que chaque religieux doit être apprécié.

Le serment à la Constitution civile du clergé était schismatique et largement criminel. Quelques départements, notamment les Bouches-du-Rhône et le Var, l'ont exigé de tous les pensionnaires.

Partout les rétractations furent nombreuses, les unes dès

l'année 1791, la plupart dans le cours de l'année 1795; pour se les permettre, il ne fallait pas un médiocre courage.

Le serment de liberté-égalité fut l'objet des discussions les plus vives. Certains prélats le condamnèrent et le punirent avec une inexorable sévérité. D'autres le tolérèrent expressément. Une lettre du cardinal Zelada circula dans le clergé, recommandant de ne pas inquiéter ceux qui l'avaient prêté. Rome, se refusant à le condamner, se contenta d'inviter ceux-ci à pourvoir à leur conscience, s'ils ne l'avaient pas sentie en sécurité lors de la prestation.

L'abdication du sacerdoce et la livraison des lettres de prêtrise ne pouvaient qu'être un comble d'impiété. Toutefois, il faut observer que la bureaucratie révolutionnaire prit soin de l'attribuer à beaucoup d'infortunés qui ne l'ont pas en réalité commis. Par exemple, on rencontre des pensionnaires qui, pour vivre, ayant été obligés de déposer leurs lettres de prêtrise, les ont ensuite réclamées avec énergie, en protestant contre l'abus de pouvoir par lequel on les leur avait arrachées.

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Le serment du 19 fructidor pouvait, dans ses termes, donner lieu à des interprétations fort variées. Rome le condamna, mais assez tardivement de braves gens l'avaient déjà prêté, surtout de pauvres Frères laïques, moins instruits que les prêtres au sujet de la conduite qu'il était permis de tenir. Du reste, en l'an V, le nombre des pensionnaires avait diminué à tel point, qu'il n'est pas possible d'attribuer à la mort la cause de tant de disparitions: les religieux étaient fatigués d'acheter leur pain par tant de serments.

De tout ceci nous concluons :

Une quantité considérable de religieux disparaissent dès les années 1790, 1791, 1792, sans qu'ensuite on les rencontre jamais dans le cours de la Révolution. Il y a lieu de présumer leur abstention de tout serment, leur renonciation absolue à la pension, et leur entière fidélité à leur saint état. Cette présomption est un puissant argument négatif en faveur de chacun, et hautement positif en faveur de la masse,

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