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Tout ce qui est vague est poétique aux yeux de certaines gens. C'est bien étrangement détourner les mots de leur signification que de les employer de cette manière.

Au dire de ces gens, la peinture doit être toute poésie, la poésie doit être toute musique, et sans doute la musique sera toute peinture. Eh! pourquoi ne pas laisser la poésie poésie, la peinture peinture, et la musique musique? C'est le cœur que toutes trois vont chercher, mais à travers des organes physiques différens. Toutes trois ont à leur disposition des moyens particuliers pour exprimer des pensées; et ce sont ces pensées qui réveillent des sentimens qui peuvent exister vaguement en nous, mais qui doivent s'y produire nettement sous l'impression de l'œuvre du génie. Ce serait singulièrement ravaler les beaux-arts que de leur donner pour seule mission d'exciter en nous de ces vagues sensations de plaisir ou de peine, que quelques flacons de vin de Champagne ou quelques grains d'opium nous apporteraient plus infailliblement et à moins de frais.

Nous nous arrêtons sur ces considérations, parce que nous avons reconnu dans notre jeune école de peinture des tendances au nébuleux, que des prôneurs maladroits n'ont que trop souvent présentées comme une route vers la poésie intime.

Ayez une pensée grande et noble, ou gracieuse et piquante, exprimez-la clairement en observant le caractère du genre et les convenances du sujet; soyez sans crainte alors, plus votre reproduction sera exacte, et plus elle sera poétique.

Bien que les objets extérieurs et matériels n'aient qu'une forme, comme nous ne les percevons qu'au moyen de nos organes, et que ces organes sont sujets à une infinité de modifications chez les différens individus, la manière de voir un même objet diffère sensiblement d'un homme à un autre homme. De là cette variété de manière dans leur reproduction; la couleur est surtout sujette à ces variations.-Pour ce qui est des formes, elles peuvent se rapporter à des règles plus précises et plus générales.

Bien des élèves trouvent plus commode d'imiter leur maître, d'employer servilement ses procédés pour copier la nature, que de s'en tenir à la nature même.

Quand on a peint pendant un certain nombre d'années, on a acquis une habitude, on a des formes de style qui reviennent chaque fois que des idées analogues se représentent : cela donne à tous les ouvrages d'un même maître une physionomie uniforme très-facile à saisir et dont un talent médiocre fait la charge sans grande peine. C'est malheureusement souvent à cette seule imi

tation que s'attachent les commençans. S'ils y réfléchissaient cependant, ils verraient que ces traits de physionomie qu'ils ont saisis même avec fidélité, peuvent être des beautés chez leurs maîtres, et sont toujours des défauts chez eux, qui ne peuvent y joindre la science réelle que possèdent les premiers.

DEKEYSER.

Il y a quelques années, une dame d'Anvers, parcourant la campagne des environs, rencontre sur sa route un jeune homme gardant les vaches, et s'amusant à dessiner sur le sable avec le bout d'un bâton. « Vous aimez à dessiner, lui dit la dame; si vous le désirez, je vous procurerai du papier et des crayons! » Le jeune homme transporté accepta, et le lendemain il fut en possession non-seulement de crayons et de papier, mais encore d'une image de la Vierge, qu'il se mit à copier avec ardeur. Quelques jours après, il donna à la dame la copie qu'il avait faite. Celle-ci, ayant consulté des artistes, emmena le jeune pâtre chez elle, lui fit suivre les cours de dessin et de peinture, et l'entretint à ses frais.

A quelque temps de là, en 1834, le bruit se répandit dans le monde artistique qu'un jeune homme, âgé de vingt ans à peine, venait d'achever à Anvers, pour l'église catholique de Manchester, un immense tableau représentant le Christ en croix sur le Calvaire, sujet si magnifiquement traité, dans cette même ville d'Anvers, par l'immortel Rubens.

La curiosité fut vivement éveillée, et quand l'artiste déroula sa toile aux yeux de ses compatriotes, ce fut une stupéfaction générale. Une si grande audace, couronnée d'un succès inattendu, fut accueillie par acclamations, comme le présage et le gage certain d'un avenir riche en triomphes.

L'auteur de cette production, c'était le jeune pâtre; ce pâtre, c'était M. Dekeyser!

Bien que cette première œuvre ne fût, en beaucoup de points, qu'une heureuse réminiscence, il était facile d'y reconnaître le germe d'un talent qui n'avait besoin pour se développer que du temps, employé à de fortes et consciencieuses études. M. Dekeyser eut le bonheur de rencontrer des détracteurs et des critiques sévères, et il eut assez d'esprit, un jugement assez droit pour discerner les avis utiles au milieu des insinuations de la malveillance et de la jalousie. Il sut également se tenir en garde contre l'enivrement des louanges immodérées

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