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sanglante, quitte Paris à la hâte et s'apprête à châtier Louvain. Cependant toute sa colère se borna à condamner les métiers au payement d'une forte amende, ainsi qu'à exiger du plus grand coupable un pèlerinage d'outre-mer, tandis que, de son côté, il promit au peuple satisfaction du meurtre de Gautier de Leyde.

C'est ainsi que se termina ce terrible drame, malheureusement si ordinaire dans nos annales, que les auteurs contemporains négligent de le rapporter avec d'autres détails que ceux que nous extrayons ici de la chronique manuscrite de Edmond de Dinter, d'Haræus, Divæus, Juste Lipse, et de l'Excellente Chronycke van Brabandt, imprimée à Anvers en 1530.

Muni des documens historiques qui précèdent, nous nous présenterons de nouveau devant le tableau de M. Leys. Nous reconnaîtrons d'abord la Grand'Place de Louvain, telle qu'il est assez facile de se la figurer, d'après ce qui subsiste de son élégante et originale architecture. Nous reconnaîtrons, en somme, dans cette place, un peuple accomplissant son œuvre de vengeance, avec sa fougue, avec sa fureur, avec son désordre. Nous trouverons, mêlées à cette terrible tragédie, des scènes burlesques, comme celles que Shakespeare a jetées dans ses drames.

C'est contre les nobles que les métiers se soulèvent ;

ils vont massacrer leurs magistrats appartenant à cette classe privilégiée ; mais ils ne se borneront pas à prendre leur sang, il faut encore qu'une cruelle raillerie rende plus poignante leur vengeance. Voyez-vous, au milieu de la foule, un cavalier armé de pied en cap, la tête tournée vers la croupe de son cheval, et bizarrement accoutré de toutes sortes d'insignes ridicules et satiriques? C'est un des tisserands qui fait ce personnage de mascarade, sanglante caricature contre les nobles. On l'a chargé des emblèmes les plus capables d'exciter la risée, son casque est paré de deux hautes cornes de cerf. Vous ne pouvez vous empêcher de rire, quand vous êtes parvenu à démêler l'intention comique de cette espèce de mannequin. Vous éprouvez alors une impression de dégoût et d'horreur en apercevant, tout à côté, des objets beaucoup plus faciles à reconnaître : des scènes de sang, des pendus, des cadavres nus jetés en travers sur le dos des chevaux, des cadavres à moitié dépouillés étendus par terre et que de hideuses harpies achèvent de détrousser; de malheureux vieillards tremblans sous le fer des assassins, tombant sans résistance. Assassinats continuels, où ne se montre pas la moindre idée de lutte; ignobles saturnales d'une populace effrénée qui n'est pas même obligée d'avoir du courage. Quelle pensée M. Leys a-t-il voulu mettre dans cette

composition? Quel enseignement sa toile va-t-elle donner au peuple sous les yeux duquel elle est déployée? Quelle est donc la noble fibre qu'il veut faire vibrer dans nos cœurs? Où donc a-t-il placé la vive impression du sentiment qui doit nous saisir? Oh! si nous trouvions, dans cette confusion, quelque chose de grand, de noble, de propre à nous élever l'âme, nous passerions sur tous les défauts d'exécution. Vis-à-vis d'un beau sentiment, puissamment excité, devant une scène qui nous ferait verser des larmes, ou qui rehausserait à nos yeux la dignité humaine, nous ne nous apercevrions pas des fautes d'exécution, nous commencerions par rendre hommage au génie. Mais quand un tableau ne nous présente qu'un effet tout artificiel, consistant seulement dans des oppositions plus ou moins bizarres de couleurs, de jours, de lignes, alors nous devenons exigeant; nous demandons compte à l'auteur de ses procédés et de son faire, puisque c'est dans des procédés matériels, dans un faire particulier qu'il a placé tout son effet. A celui qui veut se distinguer par l'exécution seule, nous pourrons demander compte de ce dessin, presque toujours incorrect, de cette couleur fausse et mal motivée dans ses applications, bien qu'elle produise un bon effet général; de cette lumière qui semble partir à la fois des quatre points cardinaux.

Il y a dans l'aspect de ce tableau quelque chose de si étrange, que nous avons eu bien de la peine à nous expliquer d'où peut venir l'effet qu'il produit, et, après un long examen, nous pensons que cet effet résulte de la combinaison extrêmement heureuse des couleurs, qui produisent un ensemble de ton d'une vigueur et d'une harmonie extraordinaires. Il faut, pour apprécier tout le mérite de cette couleur, faire abstraction de tout le reste, ne pas s'inquiéter du sujet, ne plus penser aux lignes du dessin, ne pas se demander les motifs des ombres et des lumières ; il faut se laisser saisir par l'effet d'ensemble, qui n'agit ici que sur les yeux. Cet effet est bien puissant, puisqu'il fait oublier un moment tout ce qui d'ordinaire est le principal objet de la peinture.

On peut donner une idée d'un tableau en le reproduisant avec de simples traits noirs sur une page blanche, c'est ce que fait tous les jours la gravure; si l'on imaginait un moyen de faire l'inverse, pour donner une idée d'une peinture, dont on négligerait tout le dessin, on obtiendrait quelque chose d'analogue au massacre de M. Leys, vu d'un peu loin.

Tel qu'il est, avec ses imperfections, le tableau dont nous nous occupons est un des plus étonnans du Salon; tout le monde se réunit pour y reconnaître une chaleur, une puissance de coloris qui promettraient un Rem

brandt à la Belgique, si l'on pouvait espérer du jeune peintre de sérieuses études de dessin. Il y a là une exubérance de séve et de fougue que l'âge sans doute saura modérer. Déjà même, quand l'artiste a pu soutenir son attention sur un point, il obtient un résultat bien remarquable; nous allons passer en revue chacune des figures de son tableau où nous avons reconnu des qualités d'exécution du premier ordre. Quelques poses sont pleines d'énergie et de naturel. Nous citerons ce tisserand, en cape noire, le dos appuyé contre l'échafaud, regardant en haut le magistrat que ses amis vont poignarder; son compagnon n'est pas moins bien posé. Il y a un très-beau mouvement dans cette jeune femme en robe de velours rouge, à larges manches, vue de profil, les cheveux épars, s'efforçant d'arrêter les assassins qui vont frapper l'échevin debout sur l'escalier. La vieille femme, dans le coin à gauche, occupée à enlever un collier d'or à un jeune gentilhomme, mort et déjà presque entièrement dépouillé, est bien à sa besogne, avec son attention avide qui l'empêche de s'occuper de tout ce qui se passe autour d'elle; elle ne voit butin; ses mains, tremblantes d'impatience, le saisissent vivement. Levez les yeux, vous distinguerez un corps que l'on précipite du perron de l'Hôtel-de-Ville sur les piques que des hommes du peuple avancent pour le re

que son

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