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cevoir. Cette scène est artistement disposée, les gestes en sont pleins d'expression et de justesse. Revenez au premier plan, et voyez ces deux hommes traînant un cadavre nu dans un linceul, une jeune femme éperdue tente de retenir ces dépouilles chéries. Cette figure, drapée de rouge écarlate, produit un fort bel effet, elle se précipite bien naturellement. A droite, sous une

sorte de portique soutenu par deux colonnes, un homme, blessé à la tête, est assis sur un banc, le front dans la main, dans une attitude sombre et morne. Contre la colonne, en avant, un jeune homme debout, dont la figure est la ressemblance de M. Leys, soutient deux femmes éplorées. L'une d'elles est à genoux et presse ceux du jeune homme avec des mains suppliantes ; l'autre, debout, en longue robe d'un bleu éclatant, s'appuie sur son épaule. Ce jeune cavalier est sans doute quelque riche bourgeois que ces dames nobles implorent en faveur de leurs parens dévoués au massacre. On remarque dans sa pose, dans l'expression de sa physionomie, quelque chose qui montre qu'il ne partage pas la fureur du peuple, qu'il ne peut applaudir à ses cruautés. Sans doute les richesses de ce bourgeois l'auront mis en rapport avec des familles nobles dont il déplore aujourd'hui les malheurs, sans oser prendre ouvertement leur défense, dans un moment où elle ne leur

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serait d'aucune utilité, où elle le ferait comprendre dans la proscription, sans avantage pour ceux qu'il voudrait protéger.-Une troisième femme, en longue robe jaune, dans une attitude très-passionnée, se précipite encore vers ce côté. La figure de cette femme est belle, ses cheveux noirs encadrent des traits méridionaux trèsprononcés, elle tient entre ses bras quelque chose, qui pourrait bien être un enfant, mais qu'il est fort difficile de distinguer. Le cadavre nu jeté en travers sur le cheval, est extrêmement remarquable pour la manière dont il pend de chaque côté, la tête et les bras par ici, les jambes par là. La couleur en est excellente, cet homme n'est mort que d'un instant, il n'est pas encore refroidi.-Un peu au-dessus, deux figures de moines, regardant avec une grande attention du côté opposé à la scène, mériteront encore au peintre des éloges pour la manière supérieure dont ils sont traités. Il y a encore une foule de détails qui, pris isolément, sont d'une bonne facture : les maisons qui entourent la place reproduisent bien l'aspect des villes du moyen âge, comme on se les figure d'après les romans de Jacob et de Victor Hugo. Cette idée est-elle bien celle que l'on doit se faire de l'époque? D'autres décideront cette question. Le lieu que M. Leys a choisi pour la scène est devant le portail de Saint-Pierre, sur la place actuelle de

l'Hôtel-de-Ville de Louvain. En cela il a manqué à l'histoire. La scène qu'il retrace a eu lieu devant l'Hôtel-deVille de cette époque, qui n'était pas celui d'aujourd'hui. Le bâtiment par les fenêtres duquel les magistrats de Louvain furent jetés sur les piques des hommes des métiers révoltés, le 13 novembre 1379, est celui que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de la Bibliothèque, sur le Vieux Marché. Nous appuyons sur cette observation, parce que M. Leys paraît s'attacher beaucoup à la vérité historique.

Nous avons mis une bonne part d'éloges à côté de notre critique; nous désirions que le jeune artiste ne se méprît pas sur notre intention.

Nous éprouvons un véritable plaisir à pouvoir louer, presque sans réserve, les deux autres tableaux de M. Leys, surtout son no 304, Une famille de Gueux, se défendant contre une troupe d'Espagnols. Cette petite toile est pleine d'intérêt; le sujet qu'elle représente est très-intelligible; on n'y rencontre ni la confusion, ni l'indécision qui règnent dans la grande. La scène est dans une rue de ville prise d'assaut et mise au pillage. Une troupe de soldats espagnols veulent forcer l'entrée d'une maison bourgeoise. Des gueux (patriotes belges du xvre siècle), placés au haut d'un escalier extérieur, en défendent la porte, tandis que deux femmes, l'une

vieille, enveloppée dans sa cape noire, et l'autre jeune, emportant son nourrisson dans ses bras, se sauvent en hâte, pour éviter la brutalité des vainqueurs. Sur le devant sont semés des objets qui témoignent que cette maison a déjà été pillée en partie. Un Espagnol, mort dans son armure, est là étendu, roide et livide. Dans le fond, une scène d'incendie et de pillage. A part quelques parties lâchées et ébauchées plutôt que peintes, à part aussi quelques incorrections de dessin, ce tableau mérite de grands éloges. La couleur en est vigoureuse et chaude, l'effet est bien senti et rendu d'une manière frappante. Les détails sont vrais et peints avec soin.

Le n° 303, Une sorcière prédisant à un chef de bandits la malheureuse fin qui l'attend. Charmant intérieur d'une maison gothique. A droite, un escalier léger et orné de délicates découpures, une tribune au milieu de cet escalier, où se penche, pour voir la scène principale, un jeune garçon aux longs cheveux blonds. Au fond, l'entrée d'une vaste voûte. Au milieu du tableau, le chef des bandits, cuirassé, assis sur une escabelle de bois, donne sa main droite à examiner à la sorcière, debout de ce côté. A sa gauche et derrière lui, les autres bandits, couverts de leurs manteaux, et écoutant avec intérêt la suite des prédictions de la devineresse. Du côté de la vieille, le dos contre la muraille, une jeune

fille, de douze à treize ans, joint ses mains en signe d'étonnement et de terreur. Cette petite figure est d'une vérité de pose, de geste et d'expression fort heureuse. Elle rappelle peut-être un peu trop la Marguerite des aquarelles de Scheffer. Le chef de bandits, la vieille, le bandit debout à droite, le jeune homme au haut de l'escalier, ont tous une expression convenable; la scène est bien éclairée, la touche est spirituelle et large. Nous préférons cependant beaucoup les Gueux à ce dernier tableau.

Nous voudrions maintenant que M. Leys s'occupât sérieusement de l'étude du corps humain, qu'il dessinât beaucoup d'après nature, qu'il s'attachât à rendre tous les détails du modelé des figures, qu'il peignît en grandeur naturelle. Nous ne doutons pas que quelques mois exclusivement consacrés à ces études consciencieuses, ne lui donnassent bientôt une grande supériorité dans son genre. Il tient de la nature les plus heureuses dispositions la couleur ; les qualités qui en résultent, pour

il

les possède déjà, et elles ne feront que s'accroître chez lui. Qu'il tâche donc d'acquérir les autres par un travail soutenu, qu'il ne se laisse pas trop aller à une facilité qui finirait par le perdre.

Qu'il ne méprise pas non plus l'étude de l'antique, non pas pour l'imiter, mais pour y chercher comment

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