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trop élevée, peu remarquée des spectateurs, qu'attiraient, suivant la nuance d'opinion qu'ils épousaient, ou la couleur éclatante d'Anvers, ou le dessin froid mais correct de ses concurrens. Cependant, il y avait dans cette toile plus d'espérances que dans aucune de celles qui s'étaient exclusivement partagé la lice. Quelques-uns la remarquèrent enfin, la signalèrent à l'attention, mais vainement; l'auteur du Christ guérissant l'aveugle fut oublié dans les récom- · penses distribuées après la clôture du Salon, il n'obtint même une mention honorable.

pas

M. Gallait, fort jeune alors, avait déjà commencé ce noviciat de peines, cette lutte contre les obstacles, élément presque indispensable à la croissance du talent.

Peu de temps auparavant, il avait concouru à Gand pour le prix de peinture, qu'il avait obtenu à l'unanimité. La malveillance avait, dès ce début, attribué le travail du lauréat à son maître, le célèbre Hennequin, mort depuis.

Il y avait dans cette accusation autant d'ignorance que de mauvaise foi. Il fallait fermer les yeux à l'évidence pour attribuer à l'auteur d'Oreste poursuivi les Furies, le premier début de M. Gallait. Tous les artistes savaient bien que de longs malheurs, joints à l'âge, avaient rendu M. Hennequin incapable même

par

d'égaler alors son élève.-Cette observation ne peut faire aucun tort à la mémoire d'un artiste dont le chefd'œuvre subsistera, et qui a subi la loi de la nature trop prématurément dans l'intérêt des arts.

Le tableau de M. Gallait, comme nous l'avons dit, avait cependant attiré l'attention de quelques connaisseurs. Ce que que n'avait n'avait pas fait la Commission Directrice du Salon de 1833, quelques habitans de Tournai, amis des beaux-arts, entreprirent de le faire. Ils réussirent à réparer l'oubli. Une souscription fut ouverte, et le tableau, acheté par ce moyen, alla décorer la cathédrale de la ville qui avait donné naissance à Gallait.

L'administration municipale de Tournai ne borna pas là sa sollicitude, elle pourvut aux besoins de cet enfant qui promettait de faire un jour rejaillir sa gloire sur elle. La Province et le Gouvernement s'associèrent aussi à cette excellente idée. M. Gallait put donc aller poursuivre à Paris des études si bien commencées.

Presqu'à son arrivée dans la capitale de France, il s'y

fit remarquer en exposant au Salon trois tableaux qui attirèrent les yeux vers lui. C'était d'abord un portrait dont nous parlerons tout à l'heure, un tableau de

ménétriers, et le duc d'Albe.

genre, Les

Vers la même époque, le Salon de Liége possédait une preuve irrécusable du bon emploi que le jeune homme

avait fait de son temps. Le tableau que M. Gallait avait exposé attira cette fois l'attention générale : ce n'était pourtant qu'une étude bien peinte et bien disposée, mais cette étude était déjà plus qu'une promesse. La régence de Liége en fit l'acquisition.

Enfin, en mars 1836, quand s'ouvrirent les portes du Louvre devant la foule des visiteurs affluant de tous les points de l'Europe, les journaux de Paris nous apportèrent la nouvelle qu'un jeune Belge avait placé sur ce vaste théâtre, où se pressent tant de noms illustres, une production qui attirait tous les regards, qui réunissait tous les suffrages. C'était la troisième apparition de Gallait. Job sur son fumier lui assurait désormais un rang distingué parmi les peintres de l'époque.

Quelle fut alors notre impatience de voir arriver, pour notre Exposition, un ouvrage de notre compatriote, qui permît d'apprécier l'importance de son succès.

Quand s'ouvrit le Salon, un seul portrait de M. Gallait s'y trouvait (celui qui avait été exposé à Paris en même temps que le duc d'Albe et les Ménétriers), belle production, d'une grande puissance de coloris, d'une sagesse de touche remarquable, mais où la pensée du peintre s'est mise à la place de la vérité, pour obtenir un effet saisissant.

Avec ce seul tableau, le jeune artiste eût déjà pris un

beau rang parmi ceux de son pays; mais l'ouvrage qui devait nous le montrer lui-même était retenu en route par quelques retards: Nous vîmes enfin Montaigne visitant le Tasse.

La vue de cette toile produisit un effet difficile à rendre. On s'attendait à une œuvre de jeunesse, à une peinture hardie, passionnée, fougueuse, et l'on trouva un fruit de l'âge mûr, une production réfléchie, sage, soutenue, forte et modérée. On osait bien compter sur une heureuse inspiration de l'âme, sur un éclair de génie; M. Gallait nous montre le jugement maîtrisant l'imagination, le goût sûr élaguant tous les effets, tous les ornemens superflus. Nous nous apprêtions à encourager l'élève, c'est le maître qui se montre.

Il n'entre point dans nos intentions de comparer les artistes entre eux ; nous les prenons tous pour leurs qualités propres. Il en est cependant que nous mettons hors de ligne, parce que l'acclamation universelle l'a fait avant nous M. Gallait a pris une belle place parmi ceux-là.

Montaigne visitant le Tasse dans l'hospice des fous à Ferrare'.

Pour bien apprécier l'ouvrage du jeune peintre, il est

1 Hauteur, mètre, 1,02; largeur, mètre, 0,32.

nécessaire de connaître et la situation physique et morale du poëte qu'il a représenté, et l'effet que la vue du Tasse, dans ce déplorable état, a produit sur l'esprit du philosophe le plus positif de son temps, Michel de Montaigne.

Il importe de connaître la nature de l'aliénation qui avait troublé cette tête puissante, d'où la Jérusalem délivrée venait à peine d'éclore. Quels avaient été les malheurs du poëte, quelle en était la source. L'influence des événemens sur son caractère, et l'influence de son caractère sur sa vie?

Les pages suivantes, empruntées à la vie du Tasse, placée en tête de la traduction de la Jérusalem délivrée, par M. Panckoucke, nous ont parues très-propres à procurer la parfaite intelligence du sujet.

Le duc Alphonse d'Est avait perdu sa seconde femme; il venait de se remarier avec la fille du duc de Mantoue. Le Tasse pensa que ce mariage était une circonstance favorable pour lui, et que la protection du duc de Mantoue et de sa fille pourrait le faire rentrer en grâce avec son premier bienfaiteur. Malgré les conseils et les instances des nouveaux amis qu'il avait trouvés à Turin, il voulut en partir pour retourner à Ferrare, où il arriva le 21 février 1579; mais, loin de recouvrer la faveur qu'il avait espérée et le repos dont il avait tant besoin, il

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