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avaient exaspéré une nation jalouse de ses droits. Quant à la noblesse, c'est une erreur de croire qu'elle n'ait point pris part à la lutte; l'injustice qui venait d'être commise envers son seigneur (Gui, comte de Flandre), par la violation du droit féodal, et l'emprisonnement de plus de cinquante des plus nobles Flamands, n'excitaient que trop légitimement la haine contre la France. Pour le clergé, il ne voyait dans Philippe-le-Bel qu'un prince orgueilleux et impie, qui lui semblait prendre plaisir à humilier le souverain pontife; il devait ainsi faire cause commune avec le reste de la nation. C'est ainsi que toute la Flandre, à l'exception du parti français, se leva en masse, mit, par la victoire de Courtrai, la France à deux doigts de sa perte, et se fût peut-être emparée de Paris, s'il se fût trouvé parmi nos ancêtres un homme qui eût su profiter de la victoire '. »

La lutte dont le peintre nous représente le dernier acte et le glorieux dénoûment était donc une lutte nationale, où nos pères combattaient pour leur liberté contre l'oppression étrangère. La notice de M. GoethalsVercruysse, traduite du flamand en français par M. Voisin, et insérée, en 1834, dans le Messager des Sciences et des Arts de Gand, donne les détails les plus circonstanciés

1 A. Voisin, notice sur la bataille de Courtrai. Messager des sciences et des arts, 1834, 5 livraison.

sur cet événement et sur ceux qui l'ont amené. Nous lui empruntons encore le passage qui a donné à M. Dekeyser l'idée de son tableau.

« Il était neuf heures du matin quand le comte d'Artois, transporté de désespoir et de rage en apprenant la défaite des siens, vint lui-même attaquer les Flamands avec son corps, qui formait l'élite de son armée. Un chevalier champenois de sa suite l'avertit que le ruisseau était déjà rempli de morts en plusieurs endroits. Mais il n'y fit point attention, donna de l'éperon à son coursier, et s'élança sur l'autre bord, suivi de tout son monde. Gui reconnaît ses armes et sa bannière; il accourt à sa rencontre, et le carnage recommence avec un nouvel acharnement. Quelques Gantois et ceux de Bruges renversèrent tout ce qui s'offrit à leurs coups. Le comte d'Artois poussa son impétueux coursier jusqu'auprès de l'étendard de Flandre; il le saisit par la hampe, et malgré les coups de massue et de hache qui pleuvaient sur lui, il en déchira un lambeau. Dans cette lutte, il perdit, malheureusement pour lui, un étrier. Il n'en continua moins à se défendre bravement, jusqu'à ce que Guillaume van Saeftingen, frère-lai de l'abbaye de Ter Doest, dans le franc-nord de Bruges, qui, entraîné par son brûlant patriotisme, vint avec un carme du même endroit prendre part à la

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bataille, lui porta un coup si violent, qu'il le renversa en même temps que son cheval. Le prince fut alors assailli de toutes parts et couvert de blessures avec tant de fureur, qu'il fut obligé de s'écrier qu'il était le comte d'Artois et de demander s'il n'y avait pas là un noble auquel il pût rendre son épée. On lui répondit en flamand qu'on n'entendait pas sa langue, et qu'au reste on ne faisait pas de prisonniers. Il fut achevé à ces mots. Un boucher de Bruges, qui lui avait déjà abattu le bras d'un seul coup, lui coupa la langue qui lui sortait de la bouche, et offrit, après la bataille, ce dégoûtant trophée à Jean van der Marct. Le comte d'Eu et nombre d'autres grands de France perdirent aussi la vie en cet endroit, tandis que partout ailleurs l'on se battait encore avec acharnement, mais toujours au désavantage des ennemis. Le chevalier Hugon Butterman, d'Arckel, se distingua au-dessus de tous les autres et rapporta l'étendard français, comme il l'avait juré, avant la bataille, aux généraux Flamands; mais il fut si grièvement blessé, qu'il en mourut peu de temps après. »

«Ce Guillaume van Saeftingen, qui avait abattu le comte d'Artois, fut l'un de ceux qui se distinguèrent le plus en cette terrible journée. Il travaillait à sa récolte de foin, lorsqu'il apprit que Jean de Renesse, seigneur de son village, était sur le point de combattre les Français

près de Courtrai. Il dételle à l'instant une jument de son chariot, pour s'en servir comme de monture, vend l'autre pour un glaive, une massue et quelque argent, et part en toute hâte. Il arriva au milieu du plus fort de la bataille, y assomma quantité de chevaliers renversés, et se vanta d'en avoir, pour sa part, jeté en bas de leurs coursiers environ quarante. C'était, à ce qu'il paraît, un homme bien redoutable. En 1308, quelques difficultés s'étant élevées entre les frères-lais et les moines de son couvent, il blessa son abbé, tua son prieur, et se sauva sur la tour de Liswege, où il fut cerné par les amis de l'abbé ; heureusement pour lui, Jean Breydel et le fils de Pierre de Coninck vinrent le dégager à cause de la vaillance dont · il avait donné des preuves si brillantes à la bataille de Courtrai, et lui facilitèrent les moyens de sortir du pays; il se retira en Syrie, où l'on dit qu'il apostasia '. »

L'artiste a donc bien choisi le moment décisif de l'action. Tout dans son tableau porte le caractère d'une victoire qui s'accomplit, si l'on peut s'exprimer ainsi. La lutte se continue encore sur quelques points, mais on voit que l'avantage doit demeurer au lion de Flandre. D'un côté, cette belle et brillante noblesse française résiste encore, avant d'abandonner aux vainqueurs les 700 éperons d'or, qui vont bientôt aller parer la voûte de l'église de 1 Voyez Chronyke van Vlaenderen. Brugge, Wydts. In-fol. vol. 1,

p. 425.

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